LE SAUVETAGE DU POMORZE le 28 Décembre 1929


C'est à travers le regard du quotidien régional "l'Ouest Eclair" que nous allons suivre l'odyssée malheureuse du Pomorze.


OUEST-ECLAIR dU 28 DECEMBRE 1929

Ce jour là, le quotidien nous informe que, traîné par un remorqueur hollandais, le trois-mâts "Pomorze" a quitté Nantes à destination de Nakskow mais il a dû s'abriter au Palais devant la citadelle. Il attendra à Belle-Ile une mer plus calme. Le "Pomorze" est l'ancien Prince Eitel-Frédéric, navire-école de la marine allemande.



LE POMORZE
(Pomorze signifie "Pays de la Mer" en Polonais)
Voilier type Trois-mâts carré
Date de construction :1909 sous le nom de Prinzess Eitel Friedrich, par le Chantier Blohm Voss à Steinwerder, Hambourg.
Tonnage : 1 566 t
Voilure 2 115 m² pour 25 voiles + 3 focs.
Dimensions : 72,60 (93 hors-tout) x 12,60 m.


HISTORIQUE RAPIDE

Le "Pomorze" sert de bateau école au profit de l'amicale des navires écoles allemands (Deutscher Schulchiff Vereins) créée en 1900 sous la présidence du Grand Duc d'Oldenbourg et rentre en service le 6 avril 1910 en embarquant pour son voyage inaugural le premier officier et les cadets du Grossherzogin Elisabeth qui doit être révisé. Son premier commandant est le capitaine Dressler.

En 1920, il est donné à la France au titre des dommages de guerre. Il est confié à la SA de Navigation "Les Armateurs Francais" et en 1924, il est remis à sa filiale la S.A. de Navigation "Les Navires Ecoles Francais", basée à Nantes qui le rebaptise Colbert. En 1927, il est acheté par le Baron de Forest.

Dar Pomorza © Akademia Morska w Gdyni


Remisé en 1929, il est vendu à la Pologne et acquis par l'École Maritime polonaise à l'aide des fonds rassemblés par les habitants de Poméranie. Il est alors rebaptisé Pomorze et attaché au port de Gdynia. Le 29 décembre 1929, lors de son convoyage, il manque de s'échouer sur Les Etocs de Penmarc'h. Ayant talonné sur les roches, il doit être réparé.


Remis en service le 13 juillet 1930 sous le nom de Dar Pomorza, il est affecté comme navire école de la marine marchande polonaise et navigue encore. (Source Wikipédia)


OUEST-ECLAIR dU 30 DECEMBRE 1929

Par l'Ouest Eclair du 30-12-1929, le lecteur apprend qu'un voilier anglais, Le Pool-Zee, est en détresse.
Le commandant de la marine a été avisé d'une demande de secours du voilier anglais Poolzee, monté par 12 hommes d'équipage, qui signalait sa position en détresse dimanche et craignait de faire côte sur les grèves finistériennes ; sa situation a été signalée aussitôt à tous les postes de secours du littoral et notamment aux stations de sauvetage de Lesconil et Penmarch. Ce soir, on ne sait rien du sort de ce navire, d'ailleurs il est impossible de communiquer avec les sémaphores dont les lignes téléphoniques et télégraphiques ont été brisées au cours de l'ouragan.

Ndr : A ce stade de l'information, on hésite encore à savoir qui est en détresse, le pseudo voilier Anglais qui s'avérera être un remorqueur à vapeur Hollandais, ou le Komorze / Pomorze...


OUEST-ECLAIR DU 31 DECEMBRE 1929

L' Ouest Eclair du 31-12-1929 nous en apprend un peu plus :

La situation critique du trois mats Polonais à Penmarc'h

Quimper, 30 décembre. L'Ouest-Eclair a relaté hier les circonstances dans lesquelles un trois-mâts polonais, remorqué par le vapeur hollandais Poolzee, avait été jeté à proximité des dangereux écueils des étocs situés entre Kérity et Le Guilvinec, où il avait réussi à mouiller, en attendant les secours. Ce navire, qui doit se nommer le Komorze, est monté par un équipage hollandais et se dirigeait de Saint-Nazaire vers l'Angleterre pour y être gréé. Il s'agit de l'ancien Prince-Eugène-Frédéric qui, on le sait, fut retrouvé, il y a quelques temps, en Manche, abandonné par son équipage.

Ndr : Le véritable rôle et le nom des protagonistes commence à se préciser... Reste un "Komorze" incertain...

Situation angoissante

Ces détails nous ont été communiqués par le sémaphore de Penmarch, sur la foi de renseignements recueillis par T. S. F., car il a été impossible jusqu'ici de s'approcher du navire, malgré la valeur et le courage bien connu des sauveteurs de Penmarch et de Guilvinec. La mer est toujours décharnée et une perte certaine attend les bateaux assez téméraires pour se risquer à aborder les récifs dont la ligne sombre se dresse menaçante à 3 kilomètres environ du rivage.
Le Komorze a mouillé deux ancres. Les chaînes paraissent solides, puisqu'elles ont pu tenir depuis plus de 24 heures dans une mer de plus en plus furieuse, sous le violent ouragan. Très près des roches, le navire et ses 12 hommes d'équipage seraient irrémédiablement perdus si, par malheur, ces chaînes venaient à se rompre et c'est là une éventualité qui peut se réaliser d'un moment à l'autre. On peut s'imaginer avec quelle angoisse la population de toute la côte suit les péripéties de cet émouvant drame. Toute la nuit dernière, les malheureux marins du bateau polonais ont allumé des torches pour demander du secours d'urgence. Hélas tant que le vent ne diminuera pas d'intensité, toute tentative est impossible. Cette constatation d'impuissance, alors que la mort guette des êtres humains là devant vos yeux, est atroce et déchire le coeur cependant bien accroché de cette rude et si brave population de marins. Les efforts héroïques des sauveteurs sont vains, car, on peut le dire hautement, tout ce qu'il a été possible de faire depuis l'instant où le Komorze s'est mis dans cette périlleuse situation, a été fait. Qui pourrait en douter, au reste, quand on connaît l'héroïsme légendaire des équipages des quatre bateaux de sauvetage de Saint-Pierre, Saint-Guénolé, Kérity et Le Guilvinec, et des marins-pêcheurs de ce littoral ? Aidés de quelques canots de pêche à moteur, ces quatre bateaux n'ont cessé un instant depuis hier matin dimanche, ensemble ou se relayant, faisant la relève des équipages exténués, de croiser autour des dangereux écueils, cherchant, attendant une brève accalmie ou un endroit favorable pour s'approcher du navire, luttant contre les vagues monstrueuses au risque d'être projetés par l'une d'elles sur l'un des rochers noirs et terribles. Mais rien. La mer semble vouloir garder sa victime jalousement.
Les marins du Léon-Dufour, du Maman-Poydenot, du canot de Kérity, du Charles-Duperré, ainsi que ceux du Cajoleur, patron Le Gall, et des autres bateaux de pêche ont encore une fois et d'ores et déjà inscrit une belle page aux annales du sauvetage.


Le Pomorze aux Etocs © JL Guégaden


Signalons que le Léon-Dufour a eu son gouvernail cassé. La tempête est toujours violente.
A l'heure où nous télégraphions, les sauveteurs viennent de tenter avant la nuit de nouveaux essais, mais toujours sans résultat.
Le remorqueur hollandais Poolzee a subi lui aussi des avaries et croise dans les parages. Il faut attendre une accalmie. Viendra-t-elle ? Selon les gardiens du sémaphore de Penmarc'h, il ne parait pas qu'il y ait lieu d'y compter tout de suite car le baromètre a toujours tendance à la baisse. C'est donc une deuxième nuit que les marins hollandais du Komorze ont dû passer dans leur critique situation, à moins que l'inévitable, hélas se soit produit. On peut toujours évidemment avoir confiance, mais comme les espoirs sont faibles !


REMORQUEUR SS POOLZEE (I)

(Poolzee signifie "Mer Arctique" en Hollandais)
Capitaine-commandant lors des événements : B.C. Weltevreden
Propriété de la Cie Hollandaise Sleepdienst L Smith & Co, Rotterdam
Date de construction : 1900 par Smit J & K Scheepswerven, Kinderdijk (Rotterdam)
Tonnage : 304 t
Chaudière 3 cylindres à triple expansion de 1000 cv
Dim. : 40,97 x 8,38 m
Divers :
Coulé en 1941 au Pirée

Le Polzee 1 © JL Guégaden



OUEST-ECLAIR dU 2 JANVIER 1930

Les rescapés de la mort
L'angoissante odyssée du trois-mats Polonais "Pomorze"
Par suite d'une accalmie,
le canot de sauvetage Amiral-Duperré du Guilvinec,
a pu sauver l'équipage.

Ndr : Le Pomorze a enfin retrouvé son nom...

QUIMPER, 31 décembre. La bourrasque s'est enfin calmée sur les côtes de Penmarc'h et de Guilvinec. Cependant, dans le crachin qui recouvre la mer comme d'un léger voile de brume, on voit encore le moutonnement des vagues déferlant sur les terribles récifs, et en particulier autour des étocs où le navire polonais Pomorze dresse encore ses mâts qui oscillent sous le terrible ondoiement des flots.
A contempler ce spectacle déjà impressionnant, on se prend à songer à celui que la tourmente déchaînée doit offrir aux yeux des personnes non averties et aux épouvantables dangers courus en ces parages par les malheureux navires en détresse. Le Pomorze danse sur les vagues, mais ses douze occupants, dont une femme, sont désormais à l'abri au Guilvinec grâce aux héroïques sauveteurs bretons, grâce au canot de sauvetage Vice-amiral Charles-Duperré, du Guilvinec, qui, arrivé le premier ce matin sur les lieux, a pu leur jeter l'amarre de salut.

Ce que nous dit le second du Pomorze !!

Nous avons vu les rescapés déambulant dans les rues de la petite ville de pêche, mais surtout aux environs de la poste, ou ils se sont précipités pour télégraphier à leurs familles anxieuses des nouvelles de leur sort. Tous ont aujourd'hui un sourire heureux, le sourire de gens qui, durant 48 heures, ont vu la mort on peut le dire à leur seuil, et qui ont pu échapper à son emprise.
Jeune, affable, courtois, le second capitaine, Meissner, un Polonais de 27 ans, parle français presque sans accent. Il veut bien nous conter la terrible odyssée que lui et ses compagnons, viennent de vivre. Le trois mâts Pomorze, nous dit-il, est un ancien navire allemand, le Prinzess Etél Friedrich, qui fut cédé à la France au titre des réparations. Il jauge 1.622 tonneaux et mesure 80 mètres de long. C'est un beau bateau, allez ! A son arrivée à Saint-Nazaire, où il fut désarmé, il reçut le nom de Colbert.
Dernièrement, l'état polonais s'en rendit acquéreur et le destina à servir d'école pour les élèves officiers de la marine marchande polonaise. C'est dans ces conditions que nous partîmes, le commandant Maciejewicz et moi-même, le maître d'équipage Kaleta et deux hommes, le 20 décembre de Gdynia, Ma jeune femme m'accompagnait, le 26 décembre, nous primes place à bord du navire, en même temps que six matelots hollandais. Le remorqueur Polzée, d'une compagnie hollandaise de remorquage s'était chargé de nous emmener à Nakskov (Danemark) pour l'installation d'un moteur et divers travaux de gréement. Il faut vous dire que nous n'avions à bord aucun appareil de T. S. F., ni en général aucune moyen de naviguer. Le commandant du Polzée était le maître, nous n'étions que ses subordonnés.
Nous partîmes vers 3 heures du matin. Au début tout marcha bien, mais bientôt la tempête commença vivement à faire sentir ses effets. Rudement secoué, notre trois-mats donnait des embardées et la remorque menaçait de se rompre a tout instant. Cet événement redouté se produisit le samedi 28 décembre vers midi, alors que nous étions au sud-ouest de Belle- Île.
Le Polzée réussit, après trois heures d'efforts, à nous passer une deuxième remorque et nous continuâmes tant bien que mal notre route. Dimanche 29, vers 2 heures du matin, nous voguions à 35 milles environ à l'ouest de Penmarc'h. La mer était épouvantable. Dans la nuit noire comme de l'encre, les vagues furieuses s'écrasaient sur le pont. L'air était obscurci par les embruns. La visibilité était nulle. Tous nous veillons car si un deuxième accident semblable au premier survenait, pensions-nous, qu'adviendrait-il du navire sans voile, sans moteur, une véritable épave en somme ?

A la dérive

C'est cependant ce qui arriva quelques instants plus tard. Tout d'un coup, dans le tonnerre de la tempête et de la houle, nous sentîmes que nous n'étions plus dirigés. La remorque venait de se briser et, dans les ténèbres, nous ne distinguions plus rien. Le remorqueur avait disparu il était quatre heures du matin.

Terrible situation

L'épave, livrée à elle-même, se mit a dériver lentement vers l'Est, vers la côte, vers la pointe de Penmarc'h. D'abord, l'angoisse étreignait tout le monde. Qu'on se figure la situation de ces gens livrés au seul caprice de la tempête et de la mer qui les poussent d'un commun accord sur certains endroits qu'ils savent dangereux à l'extrême.
Et rien à faire. Aucune manœuvre à tenter. Il n'y a qu'à se laisser, à se fier au hasard à la destinée.
La plus forte énergie comme l'audace la plus grande est ici impuissante. On ne peut pas diriger un trois mâts de 1.600 tonnes avec 1 aviron.

A 6 mètres de la roche

Ayant ainsi, poursuit notre interlocuteur, parcouru quelques milles, nous nous aperçûmes bientôt par la direction du phare d'Eckmühl, que nous approchions de la terre. Tout-a-coup, nous vîmes les têtes menaçantes des récifs émergeant de l'eau. C'étaient les Etocs. Encore quelques minutes et nous allions nous briser sur cette barre de rochers.
Vite, le commandant ordonna de mouiller. Durant l'opération le maître d'équipage Kaleta fut blessé au coté gauche, mais sans trop de gravité. Les deux ancres purent par bonheur accrocher le fond par 86 brasses. Elles étaient solides. Mais tiendraient-elles sous la bourrasque. C'était là l'angoissante question,
Une roche était tout près de nous, à 6 mètres à peine de notre arrière. Elle effleurait l'eau et on voyait celle-ci se couvrir d'écume au-dessus. Que les chaînes se rompissent et le navire s'entrouvrait sur cette messe noirâtre dont la présence en cet endroit constituait vraiment pour nous comme la porte de la mort. Et l'attente se prolongeait dans la nuit. Bientôt vint le matin. Puis nous vîmes, continue le second, les vaillants canots de sauvetage accourir de notre côté. Dites bien quelle admiration et quelle reconnaissance nous éprouvons pour tous ces héroïques marins, mais que pouvaient-ils dans la situation où nous nous trouvions ? Rien. Nous nous en rendions bien compte, allez.
La journée de dimanche passe. Puis voici encore la nuit. Tout à coup une des deux chaînes se brise. Plus désormais qu'une seule attache pour garantir la sécurité du navire et la roche est là à 6 mètres, menaçante, narguant les malheureux passagers, semblant leur dire "Je vous attends".
Et le navire, sur sa seule ancre, tourne, vire maintenant, présente son arrière au récif et le talonne même à coups sourds, mais heureusement sans trop de force. Tous nos soins consistèrent désormais, en attendant l'accalmie, veiller précieusement sur cette chaîne, notre unique salut. Nous la renforçâmes au moyen d'un filin d'acier attaché au long des mâts et une inspection constante fut organisée.

"L'attente se prolongea ainsi jusqu'au matin au lever du jour, durant 48 heures".


La pointe de Penmarc'h et le lieu du naufrage
© Serv. Hydrographique de la Marine - 1904

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Détail du lieu du naufrage : les Etocs
© Serv. Hydrographique de la Marine - 1904

Le sauvetage

La situation, comme on le voit, était désespérée. Que le vent continuât de souffler encore pendant quelques jours ou même quelques heures, et la chaîne tendue par l'effort violent ne tarderait pas à se rompre comme l'autre. Mais les sauveteurs veillaient. Depuis dimanche matin sur le qui-vive, sur les lieux de jour, l'œil aux aguets la nuit, ne dormant pas, ils attendaient la bienheureuse accalmie. Elle vint enfin dans la matinée d'aujourd'hui. Dès que les premières lueurs du jour pointèrent à l'horizon, ceux de Saint-Guénolé, de Saint-Pierre, de Kérity sautèrent sur leurs avirons, car, hélas ils n'ont que des canots à rames tandis que le patron Legall, à Kérity, armait son canot et que le patron Courtès et son équipage du canot de sauvetage de Guilvinec mettait en marche l'unique moteur qui consentit à fonctionner à bord. C'est ce canot, l'Amiral-Duperré, qui arriva le premier sur les lieux. Pour cela il dut prendre par le grand chenal, c'est-à-dire par une passe dangereuse.
Et la houle était encore cependant très forte. Le Charles-Duperré ne put accoster le navire et dut organiser, d'accord avec l'équipage de celui-ci, un système de cordages double auquel s'accrochèrent un à un les marins pour descendre dans le canot. Pour sauver la femme du second on prit, comme il se doit, un peu plus de précautions.
Pour elle, on confectionna un orin qu'on lui enroula autour du cou et qu'on fixa ensuite au cordage. Elle glissa ainsi sans encombre dans le bateau sauveteur et tout le monde s'en revint à la station du canot de sauvetage de Guilvinec,
Une foule énorme, répandue sur la Jetée et au bord de l'eau, attendait sauveteurs et naufragés et leur fit à tous une belle et réconfortante réception.
Et maintenant. les marins polonais et hollandais attendent des ordres, soit de Pologne, soit de Hollande, cependant que le Pomorze continue de tanguer là-bas auprès de la roche.