LES DENTELLIERES ou PICOTEUSES

La population de Penmarc'h, nombreuse au début du XXème siècle, présentait une main d'oeuvre féminine abondante. Cependant, les revenus des famille de Kérity ne dépendaient uniquement que du secteur de la pêche : Les hommes en mer à pêcher la sardine (le plus souvent) et les femmes à terre à la conserverie. De Mai à Septembre.

Que le petit poisson argenté soit en retard ou pire qu'il change tout simplement de "villégiature" (plusieurs fois entre 1902 et 1907) et voilà la misère noire qui tombe sur le dos de ces pauvres gens. A titre d'exemple, ce sont 15 à 20 000 ouvrières des conserveries et 30 à 40 000 pêcheurs qui sont au chômage tout au long des côtes Bretonnes et Vendéennes !

Pas question d'exode comme pour ces familles de l'Ile Tudy parties pour Saint Nazaire ou comme cet essai désastreux de vouloir reconvertir des marins de Concarneau en mineurs de fond (!!!) à Courrières dans le Pas de Calais, ou...

La pauvreté était donc générale et les femmes de la côte essayaient de procurer au foyer un salaire d'appoint qui ne dépende pas de la vitalité de la pêche.


Après l'air pur de la baie, la mine...



Or, ces femmes au foyer-usinières étaient habituées aux fins travaux d'aiguille tels la confection de rideaux, bandeaux de cheminées, coussins et pour certaines a confectionner et embellir leurs coiffes brodées sur tulle ou linon, bourledenn de fil brodé, etc...

Nombre d'entre elles aidaient aussi au ramandage des filets familiaux...

Les brodeuses professionnelles quant à elles, fabriquaient des coiffes fines et ouvragées, pendant que les tailleurs-brodeurs confectionnaient les habits et brodaient les lourds giletenn de magnifiques broderies jaune d'or et rouges. Tout indiquait la prédisposition naturelle des Bigoudens à devenir des "dentelliers".

A partir de 1902, Madame Marthe Chauvel, femme du riche Docteur Chauvel ( trésorier de l'œuvre des Abris du Marin), douée d'un sens aigu de l'initiative sociale et de la compassion, eut l'idée d'apprendre à ces femmes la confection de la dentelle au point d'Irlande, ou picot dans le langage local. Elle pensait que leur habitude et leur habileté à manier le crochet leur permettrait rapidement d'exécuter une belle dentelle en vue d'un écoulement commercial. La présence d'enseignantes Irlandaises facilita la chose.


Agrandissement partiel photo de gauche

Le travail à la maison plutôt qu'en atelier ou en coopérative finit de convaincre celles qui voulaient garder un oeil sur leurs enfants et qui avaient nécessité d'entretenir leur foyer. Celles qui voulaient rester libre d'organiser leur travail comme elles l'entendaient furent convaincues elles aussi. Ainsi étaient nées celles qu'on appellera "les picoteuses"...


Puis les religieuses "Les Filles du Saint Esprit" ont pris le relais, se faisant enseignantes, recevant les travaux, les payant honnêtement suivant un barème horaire fixé puis les vendant. La Maison Pichavant de Pont l'Abbé, était un des principaux acheteurs de la région et le seul vendeur de fil.


                                                                                  La Dentelle Bigoudene


Quand Mme Chauvel se retira, l'industrie resta aux mains des "Filles du Saint Esprit" et des commerçants. Les prix, calculés à l'origine pour permettre à ceux qui pratiquaient la dentelle de vivre décemment (Travailler plus pour gagner plus ! Hé, hé...) dérapèrent et ce qui avait été oeuvre devint commerce.



Les prix chutèrent tellement que souvent toute la famille se mit au point d'Irlande et que l'homme, quand il n'était pas en pêche, s'occupait du foyer : Ménage, cuisine, vaisselle, éducation et surveillance des enfants en bas âge... pendant que tout le reste de la famille, mère, filles et gars travaillaient à la dentelle parfois bien après minuit à la lueur des lampes à pétrole ou du feu de bois.

Comble, les jeunes mousses étaient aussi initiés à la dentelle dans les "Abris du Marin", parfois même avec leurs pères : Il fallait bien vivre et mettre sa fierté de côté quand ses enfants souffraient de la faim.

L'activité de cette industrie domestique dépendait de la mode et de la présence de la sardine. On commença à faire de la dentelle au mètre pour garnir la lingerie intime et les draps, nappes, etc... On picotait partout où cela était possible et dès qu'on avait "rien à faire". Les dentellières achetaient souvent le fil (env. 6 kilogrammes/an) et le cordonnet aux merceries-épiceries, merceries-bistrots,... qui les faisaient vivre en leur achetant la dentelle ou plus généralement en leur échangeant contre ce qu'ils vendaient. Leur rémunération servait souvent à payer l'ardoise ! Une dentelle bon marché que ces commerçants revendaient aux fabricants-assembleurs.

Les dentellières pouvaient aussi acheter le fil à une entrepreneuse, intermédiaire entre le fabriquant-assembleur et la dentellière qui lui revendait la majorité de son ouvrage. Bref, toute une chaîne où chacun trouvait son compte.

Pour aller plus vite, utiliser moins de fil et produire donc à moindre coût, on simplifia le point d'Irlande. Mais la Grande Guerre arriva et stoppa le commerce. Après guerre, la petite industrie reprit, mais pour peu de temps. La mode changea et les textiles indémaillables arrivèrent sur le marché. En 1926, les dentelles Indochinoises finirent de tuer le commerce, par leur prix plus bas à qualité égale.


En 1931, Auguste Le Berre, héritier de la maison Pichavant, inventa un nouveau produit, le gant d'Irlande. La demande est pour ainsi dire mondiale. C'est le "boum" économique, sinon pour les dentellières du moins pour ceux qui achètent leurs travaux. 

Par appât du gain, certains firent appel aux Indochinois. Mais cela n'eut qu'un temps et le gouvernement sur demande expresse d'une délégation Bigoudène, fixa des quotas à l'importation. Copie industrielle et coups bas firent que le gant Indochinois, meilleur marché se vendait bien dans le reste du monde.

En 1936, Mme Le Minor inventa la poupée Bretonne et fonda son entreprise "Poupées de Bretagne". Ses poupées étaient habillées avec réalisme avec des broderies miniatures faites au point d'Ilande.

Réalisation d'un couvre-lit dans les années 1930.
Photo prise chez la Grand-mère de Serge Poitevin. De g à d :

                                                                              - Eugénie Guennec ép Jégou Jacques (dite tante Loutte)
                                                                              - Séraphine Le Guen, épouse Guégaden Louis (ma grand-tante)
                                                                              - Marie Louise Lucas, épouse Gloaguen.


En 1939, la seconde Guerre Mondiale fut déclarée et la dentelle s'arrêta presque complètement. Elle reprit en 1941 quand l'occupant s'est aperçu que cette dentelle était un beau, typique et peu encombrant cadeau à ramener en Allemagne.

Soldats allemands achetant de la dentelle 

Pour compléter heureusement ce bref exposé, vous pourrez trouver dans le commerce ces quelques livres fort intéressants.