Julien Toussaint Marie Trevedy

Julien Toussaint Marie Trevedy (°1830 à Chatelaudren, +1908 à Laval). Président du Tribunal de Quimper et vice-président de la Société Archéologique du Finistère. Il est l'auteur de plusieurs petites études sur la Bretagne, le Finistère et le Pays Bigouden.
Une de ces études, Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille, a été publiée dans les compte-rendus de 4 séances de la Société Archéologique de Brest (Bulletin Tome XVIII, 1891).

Bulletin De La Société Archéologique Du Finistère Tome XVII - 1891.

Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille.

Bulletin de la Société archéologique du Finistère Tome XVII - 1891. 
§ Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille. Extraits des pages 146 à 154


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C'est surtout ce dernier paragraphe qui nous intéresse. Vous le voyez : le baron par droit de sécherie entend non-seulement la sécherie du poisson, mais celle des filets qui servent à le prendre. En vertu de la maxime : Nulle terre sans seigneur, il est maître des terres vagues improprement appelées communs, et il ne permet d'y sécher qu'à des conditions qu'il va énoncer plus loin dans l'énumération des droits en chaque paroisse.

Ces droits sont surtout mentionnés à l'article de Tréoultré Penmardh ; ils sont compris sous le titre de varrantage, marénage, sécherie et pêcherie (1).

Les deux derniers mots se passent d'explication, les deux autres en demandent une :

Que veulent dire les mots varantage, varrant ou varranteur, que nous trouverons un peu plus loin ? que veut dire marénage ?
On peut sans doute rapprocher le mot varrantage et varrant du verbe varrer. D'après nombre de dictionnaires, notamment celui de Littré, varrer c`est pêcher ou prendre les tortues au moyen d'une sorte de lance, nommée varre.


(1) F° 139, v°

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Ce n'est pas à ce sens que nous pouvons nous attacher. Le mot a un autre sens que signale le dictionnaire de Trévoux : varrer, c'est mettre en mer, faire voile. Le varrant ou varranteur serait donc celui qui met un bateau à la mer, par extension, le maître du bateau, l'armateur ; et le varrantage serait le droit exigé du varrant. Je m'arrête a cette traduction du mot : les détails qui suivent vont, je crois, la justifier. (1)

Le mot marénage s`explique assez naturellement : on peut, semble-t-il, le rapprocher du mot mareyeur, qui veut dire pêcheur a pied ou marchand de marée. Le marénage serait le droit payé par l'un et l'autre, plus ordinairement par le premier.

L'énoncé de ces droits est très long et peu clairement exposé : je vais essayer de le rendre plus clair en l’abrégeant.

L'année est partagée en deux saisons de pêche : l° de Pâques à la Saint-Jean-Baptiste (24 juin) « chaque homme pêcheur » doit 45 sols monnaie, et chaque varrant marié ou l'ayant été, vingt-cinq sols monnaie payables au jour de la Toussaint. Le varrant célibataire n'est pas soumis au


(I) V. le curieux et instructif mémoire . Penmarc'h et les barons de Pont, par M. l'abbé Peyron. (Bull. de la Société arch. XVII, 2° partie, P. 272). L'auteur a lu vacantage dans une procédure de 1709 édifiée à la requête du baron de Pont. L'aveu de 1732 permet de lire tantôt vaccantage tantôt varrantage. L'aveu de Pont-Croix de la même époque (1730), dit varantage. M. l'abbé Peyron adoptant d'après la procédure la leçon vaccantage, suppose ce mot dérivé du breton baghea qui veut dire naviguer par divertissement. Le droit de vaccantage serait celui qui serait perçu à propos d'une licence analogue à notre rôle de plaisance. Mais M. Peyron trouve (très naturellement) ce sens trop restreint, et propose d'entendre par vaccanteurs les hommes d'équipage employés par les maîtres pêcheurs.» « D'autant, dit-il, que nous allons voir le procureur fiscal exiger de chaque maître de barque la déclaration du nombre d'hommes d'équipage.» Ce qui justement nous semble démontrer que le varranteur est le maître de la barque, c'est lui seul qui peut passer cette déclaration.


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droit. (1) 2° De la fête de saint Jean à celle de saint Michel (24 juin-29 septembre), « est dû la moitié seulement des sommes ci-dessus, moitié payable aux fêtes de Noël.»

Ces deux saisons de pêche ne comprennent au plus que six mois ou la moitié de l'année. (2) Pendant les six autres mois la pêche est libre ; et le baron entend bien que les pêcheurs exerceront leur industrie et en retireront quelques profits ; la preuve, c'est que la redevance due pour la première saison, finissant au 24 juin, ne sera exigible qu'à la Toussaint (1er novembre) et la redevance due pour la seconde, finissant au 29 septembre, n'est due qu'aux fêtes de Noël (25 décembre).

L'exercice de la pêche sans autorisation entraîne la saisie et confiscation des poissons pêchés et des instruments de pêche, et la condamnation de chaque homme en trois livres d'amende outre le paiement des droits qu'il aurait dû acquitter.

Tels sont les anciens droits de la baronnie déclarés dans des aveux du 29 mars 1480, rendu par Pierre du Pont, du 11 novembre 1494, rendu par sa veuve Hélène de Rohan, et reconnus par sentence du sénéchal de Quimper, du 5 juin 1546, au profit de Jean du Quelenec, et par arrêts du Parlement du 24 octobre 1564, au profit de Jeanne de Maure, veuve de Jean et tutrice de son fils, et du 9 octobre 1674, au profit du duc de Richelieu (3).



(1) Cette distinction entre l'homme marié ou veuf et le célibataire n”est pas particulière à Pont-l'Abbé. La seigneurie de Coatfao (Pluguffan) exigeait dans le fief de l'evèque de Quimper « deux œufs de chaque maison où il y a des gens mariés, un œuf de chaque veuf ou veuve.» et ne demandait rien aux célibataires. -- Aven de 1638, arch. du Finistère. Promenade à Pratanras et Cootfao. Bull. de la Soc arch , t. IX et X.
(2) Elles pourront même n'en comprendre guère que cinq. Pâques ne tombe qu'aux derniers jours de mars au plus tôt. puisqu'il est le dimanche après la pleine lune qui suit l'équinoxe (21 mars) et peut tomber le 25 avril.
(3) L'aveu de 1732 ne vise pas les deux aveux de 1480 et 1494.


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« À l'approche de Pâques et de la Saint-Jean, points de départ des deux saisons, un sergent du seigneur va dans chaque paroisse à l'issue de la grand'messe » ; et par « un ban et cri public » il annonce « qu'un juge ou un notaire du seigneur viendra dans chaque paroisse aux jours et heures indiqués pour recevoir les déclarations de ceux qui veulent mettre un bateau en mer ou aller à la pêche « avec soumission de payer les droits ». C'est à cette condition seulement qu'il leur est remis une permission par écrit, nous dirions aujourd'hui une licence. Tous les noms des varrants et pêcheurs sont inscrits sur un rôle signé du juge ou du notaire et du greffier.

C'est sur ce rôle que le seigneur pourra, « en cas de non paiement, faire procéder à l'exécution sur les biens des pêcheurs et varranteurs pour les sommes ci-dessus énoncées ».

Les redevances ci-dessus copiées dans l'aveu de 1732 étaient anciennement payées par les varrants et pêcheurs de Combrit, Loctudy, Plonivel, Trefliagat, Tréoultré Penmarc'h et Tréguennec (1) ; mais dans le cours des siècles quelques changements s'étaient produits.

Dans la période de deux siècles et demi qui sépare les deux aveux de 1480 et 1732, la valeur monétaire a considérablement diminué : pour que la redevance payée gardât sa valeur primitive, le chiffre nominal aurait dû être notablement augmenté. Or c'est le contraire qui s'est produit.

Le droit de 45 sols pour la première période de pêche et


(1) trouve cette indication dans le mémoire de 1709. Ce mémoire vise les deux arrêts du Parlement ; mais omet la sentence de 1546, visée dans l'aveu de 1732. 
Ces dates marquent, jalonnent, plusieurs transmissions de la baronnie. Sur ce point Lettres sur la baronnie de Pont-l'Abbé (p. 26 et 27), j'aurais quelques compléments à faire à ce travail et une rectification. Le duc de Richelieu se démit de la baronnie par acte du 6 juillet 1681 en faveur de Louis Armand, marquis de Richelieu. Celui-ci n'était pas fils du duc, comme je l'ai écrit, mais neveu ; son père, Jean-Baptiste Amador, frère cadet du duc, était mort en 1652.


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de moitié pour la seconde a été réduit pour une partie des pêcheurs de Penmarc'h, et pour la plupart de ceux de Treffiagat (1).... Bien plus !... les pêcheurs de Combrit ne sont plus individuellement assujettis au paiement du droit : le général de la paroisse a obtenu anciennement un abonnement.

On lit au f° 241 : 
« Sur le général de la paroisse de Combrit, selon les anciens titres, il est dû un droit appelé pescherie, sécherie, varrantage et marénage apprécié anciennement et abonné par le général à la somme de 100 liv. 10 s. monnaie -- pour avoir la permission continue d'aller à la pêche dans les côtes de la baronnie du Pont, en payant la même somme annuellement. -- De laquelle (somme) les deux cinquièmes ont été cédés par les barons de Pont à M. de Rosmadec (2). Il ne reste payable à cette seigneurie (de Pont) que les trois autres cinquièmes montant à 72 liv. 4 s. 9 deniers, qui se paient annuellement par les mains du procureur terrien en charge et qui se lèvent sur la paroisse avec les tailles et rôles dus a Sa Majesté. »

Dans cette même paroisse de Combrit se trouve l`ile Chevalier; et dans l'île les « ruines d'un vieux château qui suivant la tradition était une maison de plaisance des ducs, nommé communément Castel-ar-Roue Guinvarch ; lequel a été cédé aux barons de Pont avec généralement tous les droits royaux des ducs a la réserve de la seule souveraineté ». (3)

Autour de l'île est une grève propice à la sécherie du poisson. Les barons y ont anciennement établi un droit spécial que voici : (f° 254 v°).


(1) Il est cependant à savoir que à Tréoultré les pêcheurs au-dessous du pont Minou seuls paient 45 sous, ceux au-dessus du pont ne paient que 35 sols. -- A Treffiagat, les pêcheurs de Lehan et du bourg de Lechíagat (àl'entrée du Guilvinec) seuls paient 45 sous, les autres 35 seulement. (f° 141 v°).
(2) Nous verrons cela plus loin.
(3) F° 244.


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« Sur chaque bateau qui pèche et sèche autour du château de l'Île (Chevalier) droit appelé de quipage (1) qui consiste, suivant les anciennes inféodations, à prendre huit deniers sur chaque bateau, somme à payer en la ville du Pont le jour de l`Aseension. Faute de paiement, l'amende de 7 sols 6 deniers est de droit encourue et elle est recouvrable de droit sans condamnation, par exécution et vente des meubles des le lendemain de l'Ascension. »

Voilà un droit qui n'est pas onéreux pour le pêcheur. Un denier est la douzième partie d'un sou, huit deniers c'est huit deuxièmes ou deux tiers d'un sou : moins de deux centimes.

Pour ce prix une fois payé obtenir le droit de pêcher dans des eaux poissonneuses et le droit de sécher sur une belle plage aspectée au soleil et pendant toute l'année, ce n'est pas cher ! Et qui serait assez malavisé pour laisser vendre ses meubles en s'obstinant à ne pas payer l'amende de sept sols et demi encourue de plein droit?

Ces chiffres heureusement reproduits par les notaires du dernier siècle nous reportent à une époque extrêmement reculée, à l'époque où un denier et un sou étaient quelque chose !

En résumé, supposez un varrant marié et pêcheur. Il payait ses deux droits de varrer, de pêcher, de sécher, 105 sous par an; et, s'il voulait se donner le luxe de pêcher et sécher à l'Île Chevalier, il ajoutait à cette somme 8 deniers, ou 2/3 de sous. Quel varrant pêcheur de nos jours ne serait trop heureux de ne pas payer un droit plus élevé ?

Pour les contraventions même différence ! D'après l'aveu, naviguer sans autorisation c'est s'exposer à la confiscation du bateau, et une amende de 3 livres. D'après nos lois actuelles naviguer à la petite pèche sans rôle d'équipage c'est encourir l'amende de 100 francs, plus celle de 25 à 50 francs


(I) Faut-il lire d'équipage ? Peut-être. Ce n'est pas chaque pêcheur, c'est le bateau qui paie le droit.


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par homme embarqué, les deux contraventions pouvant être cumulées (1).

Au dernier siècle, le baron de Pont-l”Abbé déclarait que « le droit de pêche considérable autrefois ne rapportait plus que cent livres de revenu. » (2) Nous l'avons vu, en effet : malgré la dépréciation progressive de la valeur monétaire, la redevance avait été réduite. Avec quelle peine pourtant le baron obtenait-il le paiement de cette minime redevance ! C'est ce que nous apprend le mémoire récemment publié.

Je n'ai pas à mentionner à propos de droit de pêche nombre de merlus secs dus par des villages : cette redevance est due comme cheffrente, ou rente féodale, au même titre que les gelines (poules), boisseaux, ou écuellées de blé ou d'avoine, les livres, sous, deniers ou même oboles dus par d'autres villages.

Voilà pour les droits de pêcherie et de sécherie du baron de Pont.

Mais la paroisse de Tréoultré-Penmarc'h relevait du Roi, aux derniers siècles, et sans doute auparavant des ducs. C'était le lieu principal de la pèche du merlus et surtout de la morue. Les ducs n'auraient-ils pas eu une pêcherie sur ce point ? On a signalé en effet une pêcherie ducale dans la rade de Poulbras, en avant de Kerity ; et cette pêcherie était abritée par une jetée en pierres de taille dont on voit encore des vestiges (3). M. de Fréminville n'affirme pas l'existence de la pêcherie ducale : il dit simplement que le port de Kerity était abrité par une longue jetée, et il ajoute : « On retrouve encore des vestiges de cette jetée en pierres de


(1) Art. 3, 4, 8 du décret du 19 mars 1852. Voilà des lois qui coûtent à appliquer !
(2) Mémoire de 1709, publié par l'abbé Peyron. Ci-dessus p. 147.
(3) M. de Courcy. ltin. de Nantes à Brest, p. 278.


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taille, qui s'étendait depuis Kerity jusqu'au rocher nommé la Chaise, qui en est à un quart de líeue.» (1)

Je n'ai trouvé dans aucun des titres et documents que j'ai pu consulter mention expresse de la sécherie ducale de Penmarc'h ; mais son existence doit paraître vraisemblable.

Enfin, non loin des sêcheries concédées par le baron de Pont, ou du moins dans les mêmes parages, se trouvait, une sécherie seigneuriale établie là apparemment en vertu de concession ducale. Nous la trouvons mentionnée dans un acte de 1442, sous le nom de sécherie du Pont.

Alain IX, vicomte de Rohan et de Leon, Édouard son oncle paternel, Loyse de Rohan, fille d'Édouard, veuve de Patri de Chàteaugiron, et Jehan de Rostrenen, son second mari, transigent sur la difficulté que voici : Alain Vlll, opère de Alain IX, a partagé (et très parcimonieusement.) son frère Édouard : il avait promis en plus une rente de 200 livres à sa nièce Loyse, lors de son premier mariage, et « avait assis la somme de six vingt dix livres (130 liv.) ès paroisses de Trégueuses et de Tréfiron, en la châtelleníe de Conq et de Quimperlé, avec une sécherie nommée la sécherie du Pont. »

La table de dom Morice interprète le nom de Pont, par Pont-l`Abbé (3). L'indication « châtellerie de Conq et de Quimperlé » m'avait fait d'abord accueillir avec quelque défiance l'interprétation du savant historien ; mais à la réflexion, je pense qu'il ne se trompe pas.

Les noms des paroisses Trégueuses et de Tréfiron sont assurément mal écrits. Au lieu de Trégueuses est-il permis de lire Trégunc, paroisse située dans la châtellenie de Concarneau ? C'est douteux. Où trouver d'ailleurs, en ces parages, une paroisse dont le nom se rapproche de celui de Tréfiron ?


(1) Antiquités du Finistère, Il, p. 111.
(2) Morice Pr. ll, col. 1354.
(3) Morice Pr. II., col. l834.

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Je pense que au lieu de Trégueuses il est perniis de lire Tréguennec, et au lieu de Tréfiron je lis Tref-Rumon (ancien nom de Saint-Jean-Trolimon) faisant partie de la paroisse de Beuzec et relevant du Roi au dernier siècle, et peut-être des ducs anciennement (1). Le nom de sécherie du Pont s'explique naturellement ou par le voisinage de la baronnie ou par l'origine de la sécherie qui a bien pu autrefois appartenir au baron.

Il faut le rappeler d'ailleurs : le vicomte de Léon est voisin du baron de Pont : ne possède-t-il pas, comme seigneur de Quéménet, la paroisse de Plomelin et celle de Plouhinec ? Bien plus, entre Plonéour et la mer, touchant Treguennec, il possède la seigneurie de Trégalet (2).

Quant à l'indicatíon châtellenie de Conq et de Quimperlé, n'y attachons pas plus d'importance qu'elle ne mérite. Que savons-nous si ce domaine perdu au fond de la baronnie de Pont n'était pas rattaché à une des seigneuries ducales de Conq ou de Quimperlé ? D'ailleurs les parties en l'acte de 1442 sont-elles si bien informées de ce point ?


(1) On peut faire une expérience : écrire l'un au-dessous de l'autre, en caractères gothiques. Trégueuses et Tréguennec : on reconnaîtra une extrême ressemblance entre les deux mots qui ont le même nombre de lettres.
(2) C'est comme seigneur de Trégalet que le vicomte de Rohan et de Léon, bienfaiteur de l'église de Penmarc'h, y avait ses armes.


Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille 


Bulletin de la Société archéologique du Finistère Tome XVII - 1891. 
§ Pêcheries et sécheries de Léon et de Cornouaille. Extraits des pages 202 à 211


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PENMARC'H

Les lieux principaux de pêche et de sécherie en Cornouaille paraissent avoir été, dès le XllIeme siècle, les environs de Concarneau et les côtes de la baronnie de Pont-l'Abbé. Dans ces parages un point surtout attire l'attention, c'est Penmarc`h.

On a souvent imprimé que Penmarc'h était une grande ville ; et l'imagination trace des rues à perte de vue entre les quatre églises ou chapelles de Saint-Nonna, aujourd`hui paroissiale, de Saint-Guénolé, de Notre-Dame-de-la-Joie et Kérity. Or, de l'église paroissiale, à l'est, tirez une ligne sur Saint-Guénolé au nord-ouest, puis vers Kérity au sud-ouest et revenez de là à Saint-Nonna ; vous aurez circonscrit un triangle à peu près régulier dont chaque côté mesure au moins 2.200 mètres. Calculez la surface du triangle : elle est de plus de deux cents hectares ; plus de treize fois la surface de la ville close de Quimper.

Était-ce là toute l'assiette de la ville de Penmarc'h ? Non, sans doute. On ne peut supposer l'église paroissiale construite presque en dehors de la ville : il faut donc étendre la ville vers l'est et augmenter d'autant son périmètre. Comment admettre aussi que les autres églises ou chapelles aient été systématiquement bâties aussi loin que possible du centre de l'agglomération urbaine ?

Pour ces motifs, je crois prudent de m'en tenir à l'idée que Moreau nous donne de 


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Penmarc`h quand il le nomme bourg et non ville, et à la description qu'a faite dom Taillandier du bourg de Penmarc'h.

Remarquons-le, en effet, Moreau qualifie du nom de ville des agglomérations bien moins populeuses que Penmarc'h, par exemple Quimperlé : (1) il ne refuse même pas ce titre à Concarneau. (2) C'est, me dira-t-on, parce que ces lieux étaient clos de murailles. Soit ! Mais il donne le même nom à Carhaix, à Quintin, à Châteauneuf-du-Faou et à Pont-Croix, (3) qui n'étaient pas fermés et dont la population n'a jamais été comparable à la population totale de Penmarc'h.

Le chanoine, qui avait assurément vu Penmarc'h, avait ses raisons ; et la description que dom Taillandier donne de Penmarc'h nous présente la même pensée. L'auteur avait sous les yeux non seulement l'histoire du chanoine Moreau, mais les mémoires de Sourdéac, malheureusement perdus pour nous. Or, que dit-il ? (4)

« Penmarc'h était un des bourgs les plus considérables de France et le plus riche de Bretagne.»

Ainsi, pour l'historien, Penmarc`h n'était pas une ville, mais un bourg, et qu'entendre par bourg ? -- L'auteur va s'expliquer :

« Ce bourg... est composé de quantité de hameaux de soixante ou quatre-víngts maisons distants les uns des autres de la portée de l'arquebuse. »

Les chapelles qui subsistent encore ou dont nous voyons les ruines marquent sans doute la place de plusieurs de ces hameaux, dont les principaux étaient le bourg actuel et le port, Kérity : ce sont ces deux points que les habitants avaient fortifiés en prévision de l'attaque de La Fontenelle (5).


(1) P. 76.
(2) P. 60.
(3) P. 118, 136, 185, 279.
(fl) II, p. 465.
(5) Moreau, 274. Dom Taillandier veut parler de Kérity quand il nomme Kerouzy (ll, p. 445)


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C'est au voisinage de ces deux points que la tradition place la Grand'rue (nom ancien qui se trouve dans toutes les villes et mêmes bourgades), la rue des Marchands, la rue des Argentiers ou Orfèvres, on dit même des Juifs. Mais il est impossible aujourd'hui de reconnaître la trace de ces rues. Freminville visita Penmarc'h en 1819 : « Les ruines,dit-il, présentaient encore un ensemble considérable. » Mais elles étaient, dès cette époque, exploitées comme carrières ; et, quand l'auteur y revint, en 1833, il n'y retrouva pas la moitié de ce qu'il avait vu quatorze ans auparavant. Après cinquante ans passés, nous ne pourrons nous étonner de retrouver moins encore.

Toutefois, je remarque que l'aveu de Pont, vieux aujourd'hui d'un siècle et demi, n'a pas mentionné ces noms de rues significatifs. Ce silence me parait un argument contre l’antiquité de la tradition. Je l'ai dit, l'aveu de 1732 est la reproduction d'anciens et très anciens aveux. C'est presque un mémoire d'archéologie : les notaires rapporteurs signalent chaque village par tous les noms qu'il a successivement portés dans le cours des siècles. (2) Pourquoi auraient-ils été moins scrupuleusement exacts en ce qui concerne les noms des rues ?

Or, l'aveu nomme seulement les rues Kerc'hromme, Saliou, Strays, Trouesson, Baccus, Gorrey.

Un siècle plus tard, ces cinq derniers noms se retrouvent à la matrice cadastrale identiques ou à peine modifiés : Saliou, Strayer, Tronson, Baccus, Gorré, avec les noms suivants : Lann d'al laë et d'an traon, Velen, Guelen, Croazic, Vanel, C'habiten, Longès.

Quelques-uns de ces noms offrent un sens assez clair ;


(1) Fréminville. Ant. du Finistere, II, p. II3 et suiv.
(2) Deux seuls exemples: f° 55. Kervelegan, Kerlégan, Keranlegan, Kerléan. -- Kermalezen, Kenvaléguen, Kermenhir, Kernizan, Kerogan, Kerondat, Keroullè.


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mais je ne me chargerai pas de donner le sens des autres. (1)

Mais voici une observation qui m'est suggérée par un amí connaissant bien mieux que moi la presqu'île de Penmarc'h.

C'est que ce nom de rue, en breton ru, très souvent employé, n'est pas particulier à Penmarc'h. Il est en usage à Plomeur et dans plusieurs communes du rayon voisin. Ce nom se retrouve surtout aux abords des agglomérations. Les rues sont des sentiers mettant en communication des villages ou les habitations disséminées dans la campagne. Généralement ces sentiers prennent le nom des villages qu'ils desservent, quelquefois celui du propriétaire de quelque maison voisine.

Dans des communes comprenant de grandes étendues sous prairie ou culture et dans lesquelles de simples bornes délimitent les propriétés, comme à Penmarc'h et les communes limitrophes, l'utilité de ces sentiers s'explique d'elIe-même ; sans qu'il soit nécessaire ni peut-être permis de chercher dans le nom de rues le souvenir et la preuve de l'existence d'une ville aujourd'hui disparue.

Je m'arrête à cette pensée. A mon sens, les noms de rues des Marchands et des Argentiers éveilleraient l'idée de voies bordées, comme les rues de nos villes, de maisons et de magasins ; mais les noms de rues de la Maison du Bossu, des Salles, des Chemins, etc., employés au dernier siècle, fait penser à des voies rurales, à des sentiers du genre de ceux


(1) Lan d'al laë, d'an traon (lande d'en haut, d'en bas). -- Velen en composition pour melen (jaune).-- Guelen, (houx).-- Croazic, petite croix. Vanel, venelle -- C'habiten, capitaine -- Gorré, en haut -- Saliou, des Salles (mot ordinairement appliqué à des ruines).-- Kerc'homme, en composition c'hromm signifie courbe, bossu. (L'habitation Courbe ou du Bossu).
Restent à expliquer Trouesson ou Tronson, Strays ou Strayer (peut être pluriel de Streat, chemin), Longès et Baccus. La carte de l'Etat-Major donne le mot Rubaceus entre le bourg de Penmarc'h, la mer et Kérity. Ru Baccus signifierait tertre de Baccus (en admettant qu'il faille lire Baccus). Les noms mythologiques existent sur plusieurs points : il y a une famille Vénus à Plougastel-Daoulas.


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que désignent aujourd'hui les noms de rues de la Lande d'en bas, de la Lande d'en haut, de la petite Croix, de la Venelle, du Capitaine, etc.

Et, qu'il me soit permis de faire remarquer, que cette supposition ne contrarie en rien la description que fait dom Taillandier du bourg de Penmarc`h, composé de plusieurs agglomérations distinctes, mais nécessairement réunies par «des voies tracées à travers la campagne.»

Un rapprochement qui se présente naturellement à l'esprit fera bien comprendre ma pensée. Douarnenez est nommé bourg par le chanoine Moreau (p. 268) et dans un titre un peu postérieur (l'aveu de Nevet de 1644) ; enfin, au dernier siècle dom Taillandier le nomme gros bourg. (1) Or, qu'entendre par ce mot bourg de Douarnenez ? La réunion de villages distincts « distants l'un de l'autre de la portée de l'arquebuse », et formant les trois agglomérations de Port-Rhu, Le Guet et le Vieux Port, qui, malgré tant de constructions élevées depuis le commencement du siècle, se rejoignent à peine de nos jours.

Mais si l'on peut contester à Penmarc`h le nom de ville (au sens où nous entendons ce mot aujourd'hui), personne ne niera qu'il y a eu pendant plusieurs siècles sur ce coin de terre une population nombreuse se livrant à la pêche, à la sécherie du poisson, au commerce maritime, avec un plein succès.

Fréminville a trouvé la preuve authentique de cette prospérité dès le milieu du Xllleme siècle. Il cite un titre de 1266, publié dans les « Anciens jugements de la mer. Art. 26, p. 87 des constitutions du duché de Bretagne. (2) » Il cite au même endroit « une ordonnance ducale relative au négoce de Penmarch, datée de l`an 1404 » et il copie


(1) II p. 444.
(2) II p. 109.


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un article de l'ordonnance en mettant en marge : « Ordonnance du duc Jean V relative aux négocians de Penmarc'h.»

Enfin, il se croit fondé à nous dire qu'aux XIVeme et XVeme siècles, les armateurs de Penmarc'h attiraient à eux les animaux de toutes sortes, « les graisses, cuirs, œuvre de cordonnerie, fil, lin, chanvre, pour en charger leurs navires.» Les cultivateurs des environs, affriandés par l'appât du gain, délaissaient leurs terres en friche et venaient trafiquer à Penmarc'h. Il fallut que le duc Jean V intervint, en 1404, pour limiter les exportations des armateurs de Penmarc'h aux blés, vins, poissons, et les cultivateurs furent ainsi retenus sur leurs champs.

Or, les anciens Jugements de la mer ont été publiés plusieurs fois. Vous y chercherez en vain le nom de Penmarc'h. (1)

Le second texte sur lequel se fonde Fréminville est l'article II de la constitution de Jean V de 1424 (et non 1404). (2) Mais Fréminville était-il autorisé à appliquer spécialement ce texte au négoce de Penmarch ? Assurément non. La constitution réglemente la police du duché en général ; elle touche à tout, aux exportations (art. Il), à l'accaparement (art. V), à l'unité de la mesure d'aulne (art. VII), à l'unité « du pícotin



(1) V. Sauvagoau, à la suite de la T. A. Goutume, t. ll, p. 87 (2° pagination). L'art. 26, auquel renvoie Fréminville, est à la page 95.
D. Morice a donné cette pièce Pr. I, col. 786 à 792, sous ce titre : Us et coutumes de la mer. « Cy commencent les coutumes de la mer. C'est l'établissement des rolles d'Oléron faits du jugement de la mer. »
Larticle 26 est ici l'art. XXVIII (col. 792). A la fin, on lit la date : le mardi après la feste de saint André, l'an de gràce MCCLXXXVI (1286) au lieu de la date mil deux cens soixante six ans imprimée par Sauvageau.
(2) L'ordonnance du duc Jean V a été imprimée par Sauvageau à la suite de la T. A.. C., t. ll, p. 17 ('2° pagination). ll donne en tête la date du douzième jour de février, l'an mil quatre cens et quatre.
D. Morice, a imprimé cette constitution Pr. Il, col. 1152 ; il donne la date 1424 (v. s.) qui est la date vraie, ou 1425 (nouveau style). -- D. Morice, hist., t. 1, p. 494. Cet acte est intitulé : Constitution sur la police.


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d'avoine pour faire livrée ez chevaulx » (art.VIII), à la séparation des lépreux (art. 10), au prix de la journée des ouvriers (art. XIV). Le nom de Penmarc'h n’apparaît même pas dans cette constitution.

Ce qui précède prouve une fois de plus combien il est utile de vérifier les citations, même celles qui semblent les plus précises ; et -- ajouterai-je -- avec quelle circonspection il faut lire M. de Fréminville.

Un siècle et demi plus tard, malgré la cause de décadence que nous signalerons, Penmarc'h avait encore une population nombreuse ; et, le 15 juin 1556, le roi Henri II, confirmant sans doute une concession ducale, accordait aux habitants le droit de papegault avec exemption de droits sur 45 tonneaux de vin. Au rapport du chanoine Moreau, Penmarc'h pouvait « fournir deux mille cinq cents arquebusiers. » (1)

Mais dom Taillandier s'est assurément mépris quand il a écrit: «Avant la guerre de la Ligue, on comptait dans Penmarc'h dix mille matelots bien armés et bien équipés.» (2) Ce chiffre pouvait être celui de la population totale du bourg.

Un autre renseignement emprunté par le même historien


(1) P. 274. - Penmarch ayant exemption de 45 tonneaux, était traité à peu près comme Nantes (50 tonneaux), Rennes et Quimper (45 tonneaux). Freminville, apparemment pour grandir Pennmarc'h, par comparaison, ajoute que « le privilège (de papegault) n'avait pas été accordé, même aux villes de Rennes et de Nantes. (P.113). L'erreur est certaine. Le papegaut accordé à Rennes par lettres ducales fut confirmé par lettres royales du 1er mars 1530. Les lettres du duc François Il du 1er mai 1482 relatives au papegaut de Nantes sont confirmées de lettres de Pierre Il. (Arch. de Bretagne, Société des bibl. Bretons, 1” .vol.,.p. 72).
Du reste de très petites agglomérations avaient le droit de papegaut. Je citerai, dans le Finistère actuel, Concarneau, Carhaix, Pont-l'Abbé, Landerneau, Le Faou, Lesneven ; dans le Morbihan, Auray, Josselin, La Roche-Bernard, Malestroit, Port-Louis, l'Île de Groix, etc, etc.
Je viens de présenter au congrès de l'Association Bretonne à Saint-Servan une étude sur les papegauts de Bretagne, et spécialement de Quimper.
(2) P. 465.

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aux mémoíres de Sourdeac : « Lorsque Sourdeac enleva Penmarc'h aux brigands de La Fontenelle, il apprit que celui-ci y avait mis à mort plus de 5.000 paysans et qu'il avait mis le feu a plus de 2.000 maisons.» (1) Or, au rapport de Moreau, il avait à peu près tout détruit (2).

Faisons la part de l'exagération pardonnable aux malheureuses victimes de la cruauté de La Fontenelle ; comptons comme maisons les dépendances des habitations, nous pouvons nous faire une idée de ce que c'était le bourg de Penmarch ; et il semble que le chiffre de 10.000 habitants ne soit pas exagéré.

Quant à l'industrie et à la richesse de Penmarch, Moreau et Taillandier sont d'accord : « Les habitants, dit dom Taillandier, avaient plus de cinq cents barques de pêche » ; (3) et Moreau avait dit avant lui que La Fontenelle « emmena plus de trois cents de leurs bateaux chargés de butin » (4)

Moreau, après avoir conté la prise et le sac de Penmarch, conclut : « De ce ravage demeure telle ruine que Penmarch ne pourra de cinquante ans se relever, si possible. Semble même que tout depuis ils (les habitants) sont suivis de je ne sais quel malheur qui les accable de plus en plus, quelque peine qu'ils prennent de reprendre haleine. » (5)

Penmarc'h se serait relevé de ce désastre, comme tant de villes qui ont guéri leurs blessures et repris vie après le passage de barbares vainqueurs.

Mais il y avait pour Penmarc`h une cause de ruine irrémédiable, permanente et progressive. Cette cause de ruine avait précedè La Fontenelle et deux chiffres indiqués plus haut.démontrent ce fait. Les sécheries de Cornouaille évaluées

(1) P. 465.
(2) P. 276.
(3) P. 465.
(4) P. 276.
(5) P. 277.


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1.250 livres en 1439, rapportaient 2.000 livres en 1501, et seulement 1845, en 1534.

Tenez compte de la dépréciation progressive de la monnaie et vous reconnaîtrez que la décadence avait commencé entre 1501 et 1534.

La cause qui avait produit cette décadence devait survivre aux ravages de La Fontenelle et défier les efforts des habitants.

Cette cause est connue : Terre-Neuve avait été découverte à la fin du XVeme siècle ; et les Bretons, cessant de pêcher le merlus presque en vue de leurs maisons, allaient. traverser l'Océan pour pêcher la morue sur le banc de Terre-Neuve. Les Bréhatins faisaient cette pêche et celle d'Islande dès les premières années du XVIeme siècle, avant 1514. (1) Nul doute que depuis un siècle ils n'eussent eu de nombreux imitateurs.

Les habitants de Penmarc'h s'obstinèrent-ils à la pêche du merlus ? Les paroles de Moreau que nous avons citées permettraient de le supposer. Ce fut un tort. La lutte du merlus de Penmarc'h contre la morue de Terre-Neuve n'était pas possible. Voilà la vraie cause de la ruine définitive de cet opulent bourg de Penmarc'h. Les ravages et les violences de La Fontenelle ne firent que précipiter une décadence commencée avant lui, et qui, même sans lui, allait continuer. Penmarch ne vivait que de ses sécheries de merlus, comme Douarnenez ne vit que de la pêche de la sardine ; mais le sort des deux industries a été bien différente.


(1) Transaction du 14 décembre 1514 entre les moines de Beauport et les habitants de Bréhat. Les moines réclamaient la dîme des «morues pêchées à Terre-Neuve et en Islande, aussi bien que des congres, morues, merlus et autres poissons pêchés sur la côte de Bretagne.» Cette réclamation se fondait sur un acte antérieur à la découverte de Terre-Neuve ; mais la dîme restreinte aux poissons désormais pêchés sur la côte de Bretagne aurait été considérablement réduite. - Comm. de M. Tempier, archiviste des Côtes-du-Nord. Société arch. des Côtes-du-Nord, 2° serie, t. II, p. XXXIII.


Lettre à Trévédy

Pour la petite histoire, je voudrais partager avec vous cette lettre de A. Burdelot à son ami Julien Trévédy, ayant trait à la toponymie et l'histoire de Penmarc'h ainsi qu'à l'anthroponymie de ses habitants.

Quimper le 31 Janvier 1891 et 5 Février 1892

Mon vieil et bon ami,

Tu me fais bien de l’honneur, à moi pauvre vieille porte cochère aujourd’hui sans gonds et sans pentures, de m’associer quand même dans une faible mesure à des recherches de savants. J’essaierais, du moins, de répondre part ma bonne volonté à ta confiance. Tu me témoignes ta déception en apprenant que Penmarch n’a pas été réellement la grande ville dont la légende s’est accréditée, et tu me demandes si j’ai oui parler, de la rue des argentiers, de la rue des merciers, de la rue grande.

Dès ma première campagne dans ce pays, on me signala la rue des orfèvres, et l’on évoqua sans autorité, le passé de la grande ville. Ma curiosité fut stimulée, et je cherchai sur les documents cadastraux les vestiges de ce brillant passé. Je ne trouvai rien de concluant. J’ai, depuis la réception de ta lettre, compulsé à nouveau les pièces en question, sans rien découvrir de sérieux.

Je rencontre, il est vrai, ce que j’avais depuis longtemps constaté : Ru-lann d’allaë et Ru-lann d’antraon, Ru-velen, Ru barré, Ru-guelen, Ru-saliou, Ru-strayer, Ru-tronson, Ru-croazic, Ru-vanel, Ru-c’habiten, Ru-longes, (probablement celle que tu vises comme étant la rue grande, et qui est la rue longue) ; j’y trouve jusqu’à la Ru-barens, dont le nom, pour nous inexpliqué, ne résonne pas le moins harmonieusement aux oreilles de nos bigoudens et produit un écho attendrissant en eux depuis l’épigastre jusqu’au pylore.
Mais que sont ces rues ? Peu de mots le diront.

Penmarch, Plomeur et quelques autres communes situées dans un rayon assez restreint, présentent cette qualification ; Penmarch surtout ; et, si tu as entre les mains la carte de Taconnet, tu pourras remarquer que presque tous les Ru sont aux abords des agglomérations, ou encore aux environs des Pors, (petits ports d’abri). Ce sont des sentiers mettant en communication avec ces points les habitations disséminées, et comme les vaisseaux de circulation de la vie communale. Ces rues sont, généralement désignées par le nom des villages ou des propriétaires de quelque maison élevées à leurs amorces. Ces petites voies sont indispensables dans des communes comprenant de grandes étendues sous prairies ou cultivées, mais coupées souvent par des cours d’eau, et dans lesquelles de simples bornes délimitent les propriétés.

Donc, on ne peut tirer aucune induction, à mon estime, de l’existence de ces rues au point de vue archéologique, ou à celui de l’importance de Penmarch dans le temps passé.

Il est à propos, toutefois, d’observer que la majeure partie de ces rues se rencontre dans la section de Kérity et du pors ar gosquer (port du vieux bourg) ; mais en cela rien d’étonnant, puisque, grâce à leurs ports, à une époque reculée (plus ou moins), ces points ont attiré la presque totalité de la population vivant de la mer ou du commerce aujourd’hui, le gosquer ne vit plus que dans son nom, le bourg actuel s’est mis à cheval sur la route de commune N° 20, et Penmarch ne présente plus que deux ports, Kérity, au midi, assez sûr malgré les Etocs, et Saint Guénolé au couchant, lequel est battu en plein par les vents d’Ouest, qui dominent cette côte, et, partant, il est très souvent d’un accès difficile ou même dangereux.

Cette sorte des monopoles des Ru acquis à Kérity et à son rayon est la conséquence de sa situation privilégiée, et l’on conçoit facilement que cette pointe a du résumer l’importance de Penmarch au point de vue maritime et commercial. Mais, à en juger par le peu de distance existant entre les ruines délimitant les ru anciens aussi bien que les rues actuelles, on ne peut sérieusement admettre que Penmarch ait eu jadis comme l’indiquaient certains guides, 10,000 habitants et pût il y a 400 ans rivaliser d’importance avec Nantes, comme cité maritime.

En dépit des quatre incendies allumés par les Normands entre les années 834 et 959, cette dernière présente aujourd’hui encore les vestiges de la grande ville des temps anciens. On y retrouve des monuments et les traces de sa prospérité d’alors. A Kérity, au contraire, les vieux débris de murailles n’offrent que le spectacle d’un vrai chaos. Aucun ordre, aucun alignement ; Aucun vestige du confortable relatif que comprenaient même les commerçants aisés d’une époque antérieure de cinq siècles à la nôtre.

Le seul monument de Kérity a-t -il même été terminé (l’église) ? D’aucuns le nient, d’autres en doutent. Et puis à quelle date remonte sa construction XVIII siècle ? On retrouverait d’autres témoins malgré les destructions et les ravages causés par La Fontenelle au XVIème, et les 12e et 13e siècles ne nous ont-ils pas transmis assez de documents sur les faits antérieurs ? C’est une question que je pose.

Enfin, pour qui connaît Penmarch, deux points seulement, deux centres (pour mieux dire) ont pu seuls servir à des établissements ; St Guénolé, aux environs duquel, à part quelques tumulus, je crois, aucune trace n’a été relevée d’une agglomération importante, dans le passé ; et Kérity, sur l’emplacement duquel, même en y englobant le gosquer, on ne trouverait pas à entasser la population indiquée par la légende.

Dans le reste du territoire de Penmarch, a-t-il été découvert des substructions importantes ayant une antique origine? Il m’a été répondu que non.

La prétendue importance de Penmarch serait donc le produit d’une exagération toujours grossie.

Au point de vue commercial, cette exagération serait moindre, et la légende semblerait avoir droit à plus de crédit. Il est admissible, en effet, que la pratique du commerce maritime par une population industrieuse et entreprenante, (j’ai cité les Juifs) : que la présence d’un ordre opulent de chevalerie, aient eu pour conséquence d’entretenir dans le pays une notable prospérité. Et il faut croire que le Turc Guy Eder, (pour désigner La Fontenelle selon le chanoine Moreau), ne se fut point attaqué à Penmarch, si sa cupidité n’y avait flairé une proie relativement riche. J’ignore s’il existe des documents établissant cette richesse, mais je ne la révoquerais pas en doute.
Dans tous les cas, elle expliquerait, dans une certaine mesure, l’existence dans le passé de cette rue des argentiers dont tu m’as parlé, mon bon ami, et que l’on m’a désignée, je m’en souviens, sous les deux noms de rue des orfèvres et de rue des Juifs, dont je n’ai trouvé nulle trace dans les documents cadastraux.

Et, pour moi, abstraction faite de l’élément aborigène, Kérity est le centre ou s’est fixé toute la population d’accession, ou ont du s’établir toutes les colonies, à quelque époque qu’elles aient accostées et à quelques races qu’elles appartiennent.

Et puisque les loisirs de la retraite laissent, comme tu le suppose, mon bon ami, à la vieille folle de mon logis, la liberté de divaguer à son aise, je veux te faire part de quelques observations recueillies par elle alors qu’elle pouvait folâtrer avec l’insouciance de la jeunesse.

Voici vingt ans que j’ai constaté pour la première fois l’existence, sur le territoire constituant la pointe du pays de Cornouailles, occupée par les Corisopites (……. Casque, et ….. Je bois), d’une population à part, implantée, reléguée sur la côte, et comme parquée entre le Goyen, au nord, l’océan au midi ; A l’ouest la baie d’Audierne, et pour généraliser, au levant l’Odet et la rivière de Pont l’Abbé. Son type, la couleur des yeux, celle des cheveux la différencie encore aujourd’hui, malgré la confusion des sangs, de la race autochtone, son costume a dû être adapté par les naturels ; Mais il accuse une origine étrangère. Cette population, servie par la proximité de la mer a opéré des migrations dans les communes avoisinantes, et de proche en proche a essaimé au-delà des limites ci-dessus articulées. Mais il semble incontestable que le noyau, le foyer initial de cette race à part doit être placé sur le rivage de la baie d’Audierne et peut être plus spécialement à Penmarch, surtout à Kérity. Assurément ce dépôt provient de colonies diverses.

Je laisse aux hommes compétents, aux chercheurs comme toi le soin d’établir leur origine. Il m’a été dit qu’elle remonte en grande partie aux Grecs Massaliotes, de même que Loctudy revendiquerait une origine Espagnole. Je ne veux pas avoir qualité pour discuter ces points. Mais frappé tout à la fois par la physionomie et par la consonance de certains noms, j’ai pris la patience de dépouiller les registres d’état civil et les documents du cadastre ; Et, sans sortir du canton de Pont l’Abbé et des deux communes du canton de Fouesnant qui confinent à l’océan, j’ai constaté l’existence des familles portant le nom ci-après, la plupart appartenant à Penmarch, Plomeur et l’Ile Tudy, Le fait m’a paru à noter ; car il serait, dans une certaine mesure, un argument en faveur de l’attribution à Kérity, notamment, de richesses détenues par des marchands Juifs dans un passé plus ou moins reculé.
Les étymologistes et les linguistes chercheront à s’accorder. Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé : Abdias, Caïn, Moïse (appelé Mose par les bretons), Daniel, Joachim, Salomon et Salaün, son correspondant, (très fréquent), Abraham, Jacob, l’un et l’autre assez fréquent, Adam, Noé, ce dernier peu commun, Judicaël, physionomie essentiellement Juive, bien que ce soit le nom d’un roi de notre Armorique ; Jézéquel que les bretons prononcent Yézéquel, et qui fait évoquer le souvenir d’Ezèchiel ; Yviquel, ,prononcé Yuiquel par les naturels ; Jézégabel qui rappelle la femme impie d’Achab ; Michel, qui se nomme Michaël en breton.

Je rencontre encore Goyat, grande analogie avec Goliath : or qui nous garantit que l’orthographe moderne est la vraie ? Il y a aussi Golias : n’est-ce pas le même nom ? Il se pourrait, les linguistes érudits prétendent que le th dans les vieilles langues doit être prononcé comme le th des Anglais : or la communauté d’origine n’est-elle pas un argument pour ?
Je trouve encore David ; Samson, que les bretons appellent Semson et qui signifierait en anglais fils de Sam- Ceci serait plus lointain.
J’ai rencontré un seul Nathan, un ou deux Samuël : Un Baduel, rappelant le Bathuel de l’ancien testament ; les Hélias, Hélies se présentent en certain nombre.

J’ai vainement cherché comme nom, Abel, que je n’ai trouvé que comme désinence de village, (Kerabel) et comme prénom. Si infime qu’il soit, ce détail a sa valeur, le frère tué par Caïn n’ayant pu faire souche.
A côté des noms ci-dessus, j’ai rencontré un Soliman, un ou deux Sarrazin, un Taladen, Taladun, qui pourrait bien rappeler un Saladin ; c’est peut-être un peu forcé, toutefois.

Comme prénoms, je citerai : Abel, Balthazar, Gabriel, Raphaël, Daniel, Jérémie, Elie, Abraham, Samuel, Zacharie, Jonathan, Judith, Lazare, Benjamin, Gédéon, Moïse, Siméon, appartenant à l’histoire Israelite en général : et Sélim, assez peu fréquent du reste. Entre parenthèses, il est aussi porté par le député actuel de Pont l’Abbé, lequel n’est, je veux le croire point ivrogne, mais il est peut être féroce, (fait rosse). A la chambre il semble tel, le talent à part.

Je te livre ces remarques, mon bon ami. Tes connaissances acquises n’auront peut-être pas de peine à en établir le fantaisisme. Ton flair, peut être aussi, saura en tirer parti.

Oh, je ne suis ni polyglotte, ni linguiste. Mais je m’imagine qu’un étymologiste rendrait service en indiquant la véritable origine du mot Kérity. Les gens du pays quand on leur pose la question répondent que c’est la même chose que Kerty. L’i serait donc là simplement pour l’euphonie et pour l’adoucissement de la prononciation. Cette traduction corroborerait l’opinion que Kérity a été l’agglomération principale des ty, (des habitations), et elle viendrait à l’appui des appréciations émises ci-dessus. Mais pourquoi ce besoin d’adoucir dans la circonstance, alors que, dans le langage naturellement rude des Bretons, le mot de pentu est d’un usage général ? De plus sur la route de Briec existe un village de nom de Pen-ity, aux environs duquel est une chapelle du même nom ; Je ne m’explique pas cet i. Enfin tu sais qu’un penty est une maison sans exploitation à vrai dire. Un celtisant trancherait peut être la difficulté.

Kérity serait-il un diminutif de Is, l’y remplaçant la désinence ic marque des diminutifs : (Yan (Jean), Yannic (Petit Jean) ? Kérity aurait-il été un des refuges des anciens habitants d’Ys, après la submersion de cette ville ou île, dont le père Bourassin de sulfo-potassique mémoire, me disait, deux ans avant sa mort avoir constaté des vestiges dans les parages de Crozon, alors que la légende-lui assigne pour situation la baie même de Douarnenez ?
Kérity serait-il dérivé de Ker-Isis, dont le culte, aux dires de certains est demeuré fort longtemps en honneur dans la Gaule ? Adhuic sub judice lis est. Et je suis trop incompétent pour que mes élucubrations puissent être prises au sérieux.

Mais puisque je suis en train de divaguer, quelle est l’origine de nom de Penmarch ? Certaines imaginations veulent que cette dénomination soit tirée de la configuration de la côte, ce qui avec un peu de bonne volonté, affecte la forme d’une tête de cheval renversée. Cela me parait fort aventuré. Cette tête de cheval ne peut être constituée que par la réunion des communes de Tréffiagat, Guilvinec actuel, Penmarch et la partie de Plomeur ou se trouve l’anse de la Torche (car la Torche est sur Plomeur). Nos ancêtres ne poussaient pas aussi loin le caprice de l’image.

D’autres prétendent que Penmarch tire son nom de la ressemblance offerte par quelques rochers minés par le vent, situés aux environs de Toul an ifern, avec la tête de cheval. Cette explication me semble aussi hasardée que la précédente, ces roches pouvant présenter tout aussi bien, suivant l’imagination plus ou moins développée, l’aspect d’un mastodonte quelconque.

Je prétends, jusqu’à preuve contraire que Penmarch a une origine plus près de la nature.

En effet la fréquentation du paysan, le dépouillement des titre et des pièces cadastrales, les explications des propriétaires, m’ont amené à constater les faits suivants.

Les Bretons appellent Ploan le pays de Plovan (n. nasal)- Plozevet est formé des deux mots Plo et dévet, le z étant ajouté par euphonie. Or, an signifie agneau (ay nus) et devet signifie mouton. Voilà donc deux territoires situés sur le rivage de la baie d’Audierne, nommés l’un le pays des agneaux, l’autre le pays des moutons, tirant l’un et l’autre leur noms des produits qui ont été pour eux, en quelque sorte, une spécialité, parce que leurs prairies, (prats ou palus) et leurs menez (coteaux) se prêtaient naturellement à l’élève et à la nourriture des agneaux et des moutons, de cette race ovine, en un mot, qui a valu, à tort ou à raison, une de ses réputations au pays voisin, Pont Croix.

Il en a été probablement ainsi de Penmarch, ou les vastes communaux, livrés jusqu’à ces dernières années à la pâture, offraient de si grandes réserves à la production du cheval, laquelle est encore une des causes de prospérité relative.

Mais pourquoi ce Pen-march ? La réponse est facile. Les Bretons, pour exprimer un porc, ne disent pas eur’ moc’h, mais bien eur pen-moc’h ; Si on lui demande la composition de son attelage, il ne dit pas : daou ghazec (deux juments), daou goliou, (deux bœufs), mais bien daou pen-ghazec, daou pen-goliou. Ne disons-nous pas aussi, en français têtes de bétail ?
Ainsi Plovan a pour caractéristique l’agneau, Plozevet le mouton : Penmarch a pour caractéristique le cheval.

Cela ne te semble-t-il pas tout à fait vraisemblables ?

Une dernière remarque, si la philologie, comme je le crois, ne t’est pas étrangère. Qu’est-ce donc que ce radical Ker, dont la signification hante depuis plus de quarante ans mon faible et pourtant audacieux cerveau ?
Ville ou village, m’ont répondu les Brezonnec, depuis le paysan jusqu’au gentilhomme soit disant instruit. C’est la réponse à la question : pourquoi l’opium fait il dormir ? Je ne me tiens pas pour satisfait.
Un Le Gonidec, un La Villemarqué trancherait peut être d’un mot la difficulté, en attendant, voici ce que j’ai observé.

Tout d’abord, sur les 280 et quelques communes que comprend le Finistère actuel, je n’en trouve que sept accusant ce radical, non compris Quimper qui est quelquefois dénommé Ker-quimper et une ou deux autres, notamment Ker-Kaïs (Carhaix), ou l’on pourrait en découvrir la trace.

Partout au contraire en Bretagne bretonnante, le village et la maison ont comme la spécialité de cette appellation.

Or si je m’en rapporte aux historiens, la Bretagne n’avait pas de divisions géographiques avant l’invasion Romaine et les désignations de plé, plo, pleu, plou, qui s’appliquent aujourd’hui aux communes : de tribus qui sont devenues des trèves marquant ce semble, le commencement d’une organisation administrative, le mot Ker paraissant réservé à l’habitation isolée et plus tard par extension à un groupe de maisons au même quartier.
Eh bien ! En dépouillant les vieux titres et les documents cadastraux, j’ai constaté que le Ker est très fréquemment orthographié Quer ou Guer. On dit al leur quer, ou alleur guer, (l’aire du village) ; comme l’on dit ar Ker ou ar Guer (le village).

J’en ai cru pouvoir conclure que Ker est une forme de quereus, (chêne) pouvant rappeler l’arbre, le chêne servant d’abri à l’origine à la maison. Cette appréciation serait, d’autant plus acceptable, que le chêne revêtait un caractère sacré ? D’ailleurs il est à remarquer que le K n’appartient pas aux alphabets d’origine latine et qu’il a pour correspondant le Q dans les langues dérivées du latin ou qui se sont assimilé, comme la langue française, (témoin le nom de procureur de la haute cour de justice en 1870).
De sorte que le Quer serait la caractéristique de la maison dans le principe, et plus tard, du village ; le plé, plo plou exprimant le pleb ou le populus constitué plus tard, soit pour des besoins administratifs, soit par les nécessités de la distinction géographique, probablement pour les deux causes, (quoique les groupes se soient formés spontanément et en raison de la communauté d’intérêts).

Et j’ajouterais, en terminant, que cette interprétation du mot Ker me semble parfaitement en harmonie avec les indications de Dion Cassius, écrivant au 3e siècle, que les premiers habitants de notre pays avaient « une zaune pour nourriture, un arbre pour maison, de l’eau pour breuvage, une arme pour défense ».

Mais si peu de communautés, comme je le dis plus haut, ont pour radical de leur nom le mot Ker, il en est quelques-unes aussi dont la dénomination a pour radical le mot gui : je citerai, notamment, Guiclan, Guilers, Guilligomarch, Guimaëc, Guimiliau, Guipavas, Guymonvel, Guisseny, Ergué-Armel (Ar Gui Armel), Ergué-Gabéric, (Ar Gui Gabéric) ; je citerai aussi Ploudalmezeau, souvent appelé Guidalmezeau. Je signalerai même certains lieux dits qui n’ont jamais été des agglomérations, entre autres le Guilguifin, propriété actuelle de Mr Comen de St Luc, que tu connais évidemment.
Qu’est-ce que Gui ? Evidemment un souvenir du druidisme.
Depuis soixante ans, j’ai vainement cherché le gui de chêne. Serai ce que pour dérouter mes investigations, les derniers pontifes et leurs prêtresses en aient détruit le moindre sarment... ? Quoiqu’il en soit, le gui n’a pas dû se trouver dans les premiers chênes venus ; et sa rareté même n’a-t-elle pas été pour quelque chose dans les mystérieuses vertus qui lui ont données jusqu’à l’avènement du Christianisme une sorte de considération aux yeux des druides ? Aussi me demandé-je si son nom placé au commencement des désignations territoriales ci-dessus énumérées ne marquerait pas l’existence jadis dans ces communes, soit de forêts de chênes produisant le gui sacré, soit de centre attitrés pour la célébration des mystères druidiques.

Dans tous les cas, toi qui es archéologue et qui a analysé, scruté et presque scalpé le pays Finistérien, tu pourras facilement établir si toutes les communes ayant Gui pour radical ne sont pas, n’ont pas toujours été couvertes des forêts ou de bois d’étendue relativement importante et s’il n’existe pas dans ces communes des monuments celtiques ou gallo romains.

Pour moi, je ne connais spécialement que l’arrondissement de Quimper, mais j’ai constaté que : Ergué Armel et Ergué Gabéric sont très boisés, ainsi que Guilers (Plogastel), et le Guilquiffin. Or, à Ergué Armel, sur le chemin de Fouesnant gisent encore les débris d’un Cromlech très reconnaissable, que, malgré tant d’abjurations à lui adressé, le vandalisme d’un agent voyer chef (Daudet), n’a pas cru devoir respecter.

Dans le bois du Guilquiffin, ont été exhumés les restes conservés d’un établissement ou Mr de St Luc a découvert des objets précieux comme matière et non moins précieux comme souvenir archéologique.
Rien à Guilers, mais le Guilquiffin est situé, en Landudec, à trois kilomètres à peine.

Tu m’as, mon cher ami, demandé deux renseignements qui pouvaient tenir en cinq lignes. Verbeux, et peut être imaginaire, je t’ai donné six grandes pages. En dépit de ton indulgente amitié, ne vas-tu pas rire de moi ? Tant mieux si je réussis par ce moyen à te dérider. L’essentiel pour moi, c’est que j’aurais en chassant tout ennui de ma retraite, conversé trois heures durant avec un de mes plus vieux, de mes plus fidèles amis d’enfance.
Ne t’étonne pas du décousu ni de la prolixité de mes élucubrations, je t’en prie, ces lignes ayant été tracées comme par morceaux et presque au courant de ma plume, puisque je n‘ai pris que le temps strictement indispensable pour me rendre lisible.

Adieu, mon bien bon ami. Fais agréer à Madame Trévédy les fidèles souvenirs et les affectueux témoignages de ma compagne, avec mes hommages respectueux, et reçois pour toi la réassurance de sentiments que je n’ai pas besoin de t’analyser.

A Burdelot