Jean Moreau

Jean Moreau (°1552 à Quimper, +1617 à Quimper) est un chanoine de Cornouaille. Il est conseiller au tribunal de justice de Quimper Corentin. C'est un ecclésiaste engagé auprès de la Ligue dont il rédige les chroniques à partir de 1606. L'Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne pendant les guerres de la Ligue est publiée en 1836 par Alain Jean Marie Le Bastard de Mesmeur.
Ce premier opus est ré-édité en 1960 sous le titre de
Mémoires du chanoine Jean Moreau sur les guerres de la ligue en Bretagne par Henri Waquet.   


Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne pendant les guerres de la Ligue


Histoire de ce qui s'est passé en Bretagne pendant les guerres de la Ligue, Édition originale. Extrait des pages 274 à 277.



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Les habitants de Penmarc'h, alors en grand nombre et qui se glorifiaient en leurs forces, car ils pouvaient fournir deux mille cinq cents arquebusiers, voulant faire une république à part, pensant seulement à leur particulière conservation, sans se soucier de leurs voisins, et pour se prévaloir et défendre contre La Fontenelle, comme à la vérité il leur était tout naturel, ils font deux forts audit Penmarc'h : l'un en l'église de Tréoultré l'autre à Kerity, en une maison séparée, qu'ils environnent de retranchements et de palissades, et dedans les deux forts retirèrent leurs personnes et leurs fortunes, se croyant bien en sûreté de tous les efforts de La Fontenelle, comme à la vérité ils étaient s'ils se fussent armés de courage, d'expérience, lesquels tous deux leur manquèrent au besoin, comme nous dirons ci-après combien qu'ils aient la réputation d'être bons soldats en mer, si ne firent-ils aucun devoir à terre.

La Fontenelle ayant su qu'ils se fortifiaient ainsi, se feignant leur grand ami, vint certain jour en petite compagnie de quinze à vingt les voir, et se rendit tant leur familier



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et en apparence bienveillant, qu'il se mit à boire avec eux et puis à jouer aux quilles pour leur ôter tout soupçon, néanmoins remarquait et faisait remarquer par ses gens l'état de leurs forts, la contenance et le nombre qu'ils pouvaient être de défense. Quelque-uns des plus modérés, se doutant assez qu"il n'était pas venu là pour leur bien, mais pour épier les moyens de leur ruine, comme il était vrai, commencèrent à faire un secret par entre eux qu'il fallait y obvier de belle heure et sans grand hasard, que puis après ne l'avoir fait et s'en repentir, et en vinrent jusques-là qu'il fut sur-le-champ conclu de le tuer et tous les siens en ce jeu de quilles. Mais comme on s'acheminait à l'exécution, parmi grand nombre fort résolus s'en trouva un qui était parmi-eux qui saigna du nez et empêcha une défaite qui eût sauvé deux cents mille écus de dommage en Cornouaille et la vie à trente mille âmes, dont La Fontenelle est coupable devant Dieu.

Retourné qu'il fut à Douarnenez, il n'y fut que quelques mois qu'il ne retournât voir ses bons amis de Penmarc'h, autrement accompagné que le premier voyage, aussi n'y vint-il pas pour jouer aux quilles. Les habitants, sachant sa venue, se retirèrent dans leurs forts. La Fontenelle y étant demande à parler, et y étant reçu, leur fait remontrer qu'il n'était point venu pour leur faire aucun mal, mais pour voir la côte, et que ses compagnies qu'il avait étaient pour se garantir de la populace, qui s'était tant de fois soulevée contre lui ; qu'il était leur ami et protecteur, et autres semblables discours flatteurs. Ceci se faisait au fort de Tréoultré, qui était beaucoup plus grand que l'autre, car 



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toute l'église et cimetière étaient retranchés. Et pendant que le capitaine du sieur de La Fontenelle haranguait aux Penmarc'hins, tous ceux du fort se mirent sur la tranchée pour entendre le jargon de ce harangueur, tous d'un même côté, et l'autre demeurant dégarni de gens. Les ennemis montent promptement, sans être aperçus ne fussent parmi les écouteurs de harangue, desquels ils en tuèrent tant qu'il leur plut, et le reste fut retenu prisonniers. Ayant donc à si bon marché et sans résistance gagné le premier fort, qui pouvait tenir contre toute la puissance de La Fontenelle, s'il y eût eu avec ces badauds six ou sept hommes de guerre, ils s'en vont de ce pas à celui de Kérity qui se rendit tout aussitôt à vies sauves.

Le butin de l'ennemi fut grand, car tous les plus riches du dit lieu, dont il y avait grand nombre, se confiant en leur courage et leurs ouvrages, nombre de gens de marine étaient en ces forts et n'avaient daigné se retirer ailleurs, comme plusieurs autres avaient fait, entre autres ceux d'Audierne et de tout le Cap-Sizun , qui s'étaient réfugiés à Brest ; si bien qu'ils perdirent tout ce qu'ils avaient, et surtout grande quantité de navires, bateaux et barques plus de trois cents de tous volumes, dans lesquels La Fontenelle ayant fait charger le butin, les fit rendre à son fort de Douarnenez.

Je n'ai pas su le nombre des morts de Penmarc'h, tant il y a que la plupart de la tuerie fut dans l'église, qui faisait comme le donjon de leurs forts ; et il semble que ce fut par un juste jugement de Dieu pour les irrévérences que lesdits habitants y commettaient, car ils avaient leurs lits tout à l'entour de la nef, et jusques assez près du



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grand autel, si près les uns des autres qu'ils s'entre-touchaient (1). Et il faut le remarquer, qu'au même endroit où ils avaient fait l'offense ils furent massacrés, comme si leur sang propre devait laver et nettoyer la profanation et l'impiété par eux commises, car ils furent la plupart égorgés sur leurs lits pour expiation de leurs offenses. Dieu veuille que cela leur serve pour leur salut !

De ce ravage de Penmarc'h (2) demeura telle ruine qu'il ne pourra de cinquante ans relever ni possible jamais, et semble que tout depuis ils sont suivis de je ne sais quel malheur qui les accable de plus en plus, quelque peine qu'ils prennent de reprendre haleine.


(1) Nous supprimons encore ici quelques lignes trop crues, où le chanoine Moreau accuse les habitants réfugiés dans l'église d'avoir attiré sur leurs têtes tous les maux dont La Fontenelle les accabla, en avant oublié, dans un lieu aussi saint, que les liens formés sur terre ne doivent s'unir dans le temple de Dieu que pour l'invoquer.
(2) Penmarc'h a été une ville très commerçante, dont la population pouvait être d'environ 10.000 âmes. La découverte de Terre-Neuve qui en avait détruit le commerce de morue provenant de la pêche d'un banc, situé à 20 lieues en mer, en avait sensiblement diminué le commerce, et par conséquent la population. Toutefois cette ville continuait à exporter en Espagne des farines et des poissons secs. L'expédition de La Fontenelle n'y a laissé que des pierres éparses pour preuve de son étendue passée.