Jean-François Brousmiche

Jean-François Brousmiche (°1784 à Brest, +1863 à Brest). Il est percepteur aux Contributions Directes et chroniqueur de ses voyages qu'il note entre 1832 et 1836. Ses notes seront rassemblées par son fils Édouard en 1889. 

Puis elles seront diffusées dans le bulletin 1890-1891 de la Société Académique de Brest sous le titre  Une promenade dans le Finistère, il y a soixante ans (Deuxième série tome XVI) : Cet extrait publié ne traite que de St Jean du doigt...
Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831 est une compilation en deux volumes des notes de Brousmiche éditées en 1977 par les éd. Morvran.


Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831.


Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831 , volume II, extrait pages 284 à 291


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Plus on marche ici, plus la côte s'abaisse, plus l'horizon qui se développe aux regards s'agrandit. Bientôt, en approchant de Penmarc'h, ou plutôt de Kérity-Penmarc'h, distant d'une demi-lieue du bourg, l'oeil est frappé d'un spectacle de désolation ; les regards ne se portent que sur des ruines éparses en tous lieux sous les pas, sur une immense étendue de terrain.

C'est partout de vastes édifices écroulés, des maisons à ras du sol, des murs de clôture éboulés. Les héritages, les champs sont clos avec des linteaux de portes, des manteaux, des jambages de cheminées, des pierres ayant servi au revêtement des croisées : tout indique ici un bouleversement, et ce bouleversement n'est pas le produit d'une convulsion de la nature. Il paraît être le résultat de l'ébranlement général donné par le commerce aux peuples européens, au moment où les Vasco de Gama, les Christophe Colomb, lui donnèrent une impulsion accélérée par le passage dans les mers des Indes, par la découverte d'un nouveau monde.

Nulle doute que sur cette plage aujourd'hui quasi déserte, un peuple nombreux, commerçant, industrieux, a du résider. Tant de ruines


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accumulées, tant de témoins vivants d'anciennes constructions attestent éloquemment le fait, et l'histoire vient elle-même ajouter ses documents à ceux que le temps a semés sur ce terrain.

Églises nombreuses, maisons vastes et fortifiées se voient encore à ce moment sur l'emplacement que la ville de Penmarc'h a dû occuper. La tradition conserve même en ce lieu le nom des rues ; on en peut suivre la trace, l'étendue. Placés à l'un des points extrêmes de l'Océan, ayant le spectacle journalier de la mer, les habitants de ce lieu durent s'habituer à cet élément. D'abord simples pêcheurs ils se lancèrent sur les flots, ils apprirent à les maîtriser. Bientôt plus audacieux, ils durent s”éloigner du rivage, aller au loin échanger le poisson pêché par eux, contre des marchandises qui leur manquaient. Leur position près d'un pays productif, dut encore leur fournir de nouvelles idées commerciales; au moyen de ses produits, ils purent augmenter leurs relations. Penmarc'h dut enfin s'agrandir, les richesses nécessairement y abondèrent. Trop étendue pour être fortifiée, les habitants riches de la ville de Penmarc'h élevèrent ces maisons à tourelles, à mâchicoulis pour se défendre au besoin contre les rapines, les exactions du fort, du puissant; il en existe encore pour prouver le fait. D'ailleurs si une nombreuse, une active, une riche population n'avait pas occupé Penmarc'h, à quoi eussent servi ces nombreux (édifices) religieux, tous appartenant à un temps déjà loin de nous ; monuments dont la grandeur, la richesse d'exécution vient témoigner encore davantage en faveur de l'hypothèse que tous ces débris entassés sur la plage sont vraiment ceux d'une ville opulente.

On croit, bien des personnes même affirment, que la pêche de la morue était le principal commerce auquel on se livrait dans la cité de Penmarc'h, que c'était la source de sa prospérité ; qu 'après la découverte du grand banc de terre-neuve où abonde ce poisson, les marins de Penmarc'h ne purent plus soutenir la concurrence, lutter avec ceux qui faisaient la pêche dans les mers du nord, et que cette cause fut celle de la ruine entière du pays.

Ce pays était encore florissant sous Henri trois et au temps de la ligue ; les partis n'avaient pas encore choisi ce coin de la Bretagne pour champ de bataille; quoiqu'il eût déjà déchu de son ancienne splendeur, il tenta l'insatiable cupidité de Fontenelle, ce brigand sans honneur, sans foi, qui ravageait les évêchés de Léon et de Cornouailles. Ce partisan ne reconnaissait ni Henri, ni Mercoeur; il vint déguisé à Penmarc'h pour reconnaître par lui-même le terrain, pour préparer les voies à l'attaque qu'il méditait contre cette ville. Les habitants ayant reconnu Fontenelle malgré sa transformation, s'en saisirent, mais cédant à ses mielleuses paroles, et redoutant ses soldats, ils commirent l'insigne faute de le relâcher, et la faute plus énorme de ne pas se mettre sur leurs gardes contre une invasion que tout leur donnait à prévoir. Fontenelle se vengea de l'outrage prétendu qu'il en avait reçu en les attaquant inopinément. Pris à l'improviste, n'ayant organisé aucun moyen de défense, chassés de place en place, les habitants de Penmarc'h se réfugièrent dans leur église paroissiale. Ils s'y retranchèrent, mais assiégés dans le lieu saint par le brigand avide de leurs richesses, il leur fallut capituler et les lui abandonner. Fontenelle


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mit à feu et à sang le pays et la ville de Penmarc'h; il les pilla,les rançonna. Il en rapporta un butin si considérable, disent nos vieux chroniqueurs, nos historiens, qu'un nombre immense de bateaux en fut chargé, pour le conduire à son repaire de l’Île Tristan près de Douarnenez dont il avait fait sa place d'armes.

Penmarc'h ne se releva jamais de ce coup affreux; la dévastation de cette ville fut complète. Depuis cette épouvantable catastrophe, ses habitants l'abandonnèrent peu à peu, les maisons s'écroulèrent couvrant le sol de leurs débris ; il n'y resta plus que les quelques pêcheurs, et les cultivateurs qui habitent encore ce lieu désolé.

Si l'on en croit les habitants de Kerity-Penmarc'h, la ville florissante dont leur hameau faisait partie, s'étendait bien au-delà des limites que la mer lui assigne aujourd'hui ; elle en a, disent-ils, envahi une partie. Ils affirment que l'on distingue facilement sur la masse de rochers nommée les étocs des débris d'habitations ; qu'à la marée basse on peut encore même descendre des marches d'escaliers qui sont entièrement conservés. L'extrême abaissement de la côte sur ce point du littoral, vient presque apporter créance à leur assertion. La mer a pu gagner sur cette côte, et les riches propriétaires ou commerçants abandonnant une ville dont la prospérité s'éclipsait, ne s'opposant plus à l'irruption continuelle des flots, négligeant l'entretien des quais, des jetées, des digues qui protégeaient leurs demeures, elles ont pu progressivement disparaître par la violence des orages, des tempêtes si fréquents aux Penmarc'h. Le village de Kérity lui-même est menacé d'éprouver un sort pareil ; il n'a pour le protéger contre les épouvantables coups de vent qui chaque année le frappent, l'assaillent, que quelques dunes d'un sable fin, léger, qui s'opposent à ce que la mer le dévore, l'engloutisse. Il faudrait pour défendre le hameau de Kérity contre la violence des flots une digue, ne fut-elle qu'en pierres sèches. Cette digue aurait encore un avantage, celui de permettre d'y attacher les bateaux des pêcheurs, que forcément on est contraint d'échouer sur une gréve couverte de toutes parts d'immenses blocs de rochers et de débris de maisons.

Comme nous l'avons déjà dit, rien ne sert mieux à prouver l'extrême population qui a dû couvrir autrefois les grêves de Penmarc'h, que les édifices religieux qu'on y voit subsistants, qui s'y trouvent épars. Il en est six qui sont très remarquables. De ces six églises très distantes les unes des autres, trois sont à distinguer ; celles du bourg actuel de Penmarc'h, de Kérity, de Saint Guénolé, près du rocher nommé la Torche ; les trois autres, celles de Saint Pierre, de Notre-Dame-de-la-joie et de Saint Fiacre, sans être aussi grandes, sans offrir autant d'étendue, de développement, ne laissent pas que d'être de très remarquables chapelles.

La plus grande de toutes ces églises c'est celle du bourg de Penmarc'h, mais elle est lourde et massive. Il y existe pourtant des parties délicatement travaillées, entr'autres la maîtresse vitre derrière le chœur, ainsi que le portail au dessous de la tour carrée qui le surmonte:cette tour est accompagnée de contreforts qui lui servent d'appuis. L'intérieur de cette église présente des voûtes hardies, soutenues par des colonnes assez grossières,


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elle est dépourvue d'ornements ; elle n'offre rien de remarquable, si ce n'est un morceau de sculpture en albâtre provenant de celle de Kerity-Penmarc'h. Une singularité, qui se remarque pourtant aussi sur quelques églises de la côte, c'est la sculpture de navires sur des parties de la façade du portail. Quoique grossièrement œuvrée, cette représentation de bâtiments peut donner l'idée de ce qu'étaient les vaisseaux au moment de la construction des édifices sur lesquels on les a figurés.

Une chose peu commune dans nos édifices religieux, et qui se trouve dans l'église de Penmarc'h, c'est une cheminée placée a côté des fonds baptismaux. Le clergé avait-il reconnu sur cette côte de fer le danger pouvant résulter pour les enfants du versement d'eau froide dans la saison rigoureuse? Faisait-il chauffer l'eau sainte destinée à la régénération de l'homme, à son entrée dans la vie? Cette cheminée était-elle destinée seulement faire du feu pour chasser de l'édifice sacré toute humidité? Toutes ces questions que chacun se fait, nul encore ne les a résolues.

Sur le portail, il existe une inscription en lettres gothiques. Tout ce que l'on peut deviner de ce qu'elle contient, c'est que l'église dédiée à saint ou sainte Nonna, a dû être édifiée dans le quinzième siècle.

Vainement chercherait-on saint ou sainte Nonna dans Albert Legrand et dans Lobineau, malgré que tous deux aient recueilli les actes des vertueux personnages de l'Armorique. Il paraît que sa légende est totalement inconnue.

C'est dans cette église que se retirèrent les habitants de Penmarc'h pour échapper à Fontenelle. Le naïf historien de la ligue en basse-Bretagne, le chanoine Moreau, fait remarquer qu”ils y commirent tant d'infamies, d'actions obscènes, que Dieu, pour les punir sans doute, les accabla du poids de sa colère en les livrant à l'oppresseur ainsi chargé d'exécuter ses vengeances.

Après l'église paroissiale de Penmarc'h, les ruines de celle de Kérity attirent les regards du curieux. Ses ogives légères, élancées, ont une grâce qui séduit. Cette église est entièrement découverte ; depuis long-temps elle est abandonnée, et sa nudité est complète : elle aune nef et un seul bas-côté. Cette église est sans clocher. C'est, ainsi qu'à Penmarc'h, une tour carrée qui surmonte le portail: la tour est accompagnée d'une guérite dans laquelle se trouvait l'escalier en colimaçon qui servait à monter à son sommet.

C'est aux Templiers, assure-t-on, qu'est dû l'église de Kérity-Penmarc”h. Il ne semble pas extraordinaire qu'ils aient eu dans ce lieu une commanderie, surtout quand déjà on les trouve établis à Loctudy. Un endroit riche comme devait l'être Penmarc'h au moyen-âge devait convenir aux moines, hommes du monde, sur lequel flottait le Beau-séant.

Il y a peu de distance de l'église de Kérity-Penmarc'h à celle de Saint Pierre. Celle-ci avait moins de développement, mais elle est aussi ornée d'une tour carrée, avec une tourelle qui lui est jointe. La mer vient battre le pied de cette chapelle sur laquelle était établi, il y a peu d'années, le phare provisoire signalant aux navigateurs les écueils, les dangers de la pointe de Penmarc'h.


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Non loin du phare provisoire s'élève le nouveau qui le remplace. Sur un soubassement carré surgit une colonne massive : cette colonne renferme l'escalier circulaire conduisant au chapiteau. Sur ce chapiteau est placée la lanterne dont les feux s'aperçoivent à la distance de sept lieues marines. On a sans doute voulu faire un monument de cette construction, mais il est lourd, il est inélégant et produit peu d'effet à l'œil. Son élévation est de quarante à quarante cinq mètres au dessus du niveau de la mer.

De ce point, en suivant la côte, on trouve la chapelle de Notre-Dame de la Joie. Il est à remarquer qu'un grand nombre de nos édifices religieux sont dans notre Armorique, situés au bord de la mer. Le marin, l'habitant de nos côtes sauvages, de nos côtes de fer, habitués aux scènes fortes et majestueuses de l'océan courroucé, avaient établi partout des lieux de prières.

Ils sentaient vivement ce qu'un pareil spectacle produisait dans l'âme d'idées religieuses, ces vieux armoricains qui peuplèrent de saints monuments les rivages de notre Bretagne. Pas un promontoire, pas une anse de cette terre de croyance et de foi, où des chapelles, des couvents n'aient été édifiés par eux. C'était là qu”ils venaient implorer pour le nautonnier le christ vainqueur de la mort, la douce et tendre Marie, étoile de la mer, patrone et protectrice des affligés. Que de vœux sincères lui furent adressés dans ces lieux aujourd'hui déserts; que d”ex-voto appendus à leurs voûtes sacrées ! Combien de fois des équipages échappés à la fureur des flots répandirent des larmes sur les parvis de ces temples ! Combien de fois ils entendirent les hymnes de la reconnaissance et de l'amour.

Sur les rivages de l'océan, de pieux cénobites établissaient leurs demeures. Beauport, Saint Mathieu, Rhuis, étaient situés sur les points les plus dangereux de l’Armorique. De magnifiques églises, élevées sur le bord de la mer, semblaient être les phares protecteurs de ceux qui, dans le moyen-âge, se hasardaient à l'inconstance des flots. Dans les nuits de tempêtes, la cloche hospitalière faisait entendre au nautonnier, que si l'orage frappait sa nef, l'asile protecteur s'ouvrait pour le recevoir. Les religieux étaient les premiers à braver les dangers pour secourir l'infortuné que les flots courroucés rejetaient sur la plage, pour le consoler dans ces adversités. C'était au nom du maître de l'univers que les cénobites couraient affronter les périls; c'était aussi pour bénir ce nom que le matelot plein de foi se précipitait dans l'église du monastère; c'était en priant au pied de l'autel qu'il sentait l'espérance verser son baume consolant dans son cœur, et, c'était encore en le louant, que le modeste religieux offrait au malheureux naufragé, l'asile et le pain de la charité.

Malgré la disparition des monastères, la diminution du nombre des paroisses, le paysan Breton, principalement celui qui est éloigné des villes, est resté sous l'influence religieuse, imprimée fortement dans son esprit dès son enfance. Rien, lors de nos premiers troubles civils, ne put le détourner de sa vive croyance; ses pasteurs réfractaires aux décrets intolérants d'une époque funeste et sanglante, il les cacha, et ne voulut recevoir d'autres instructions que les leurs.Vainement établit-on partout des curés assermentés, les paroisses restèrent veuves, les églises solitaires.


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Aujourd'hui que sa pompe est restituée au culte catholique, le paysan est plus que jamais attaché à son temple restauré ; on le voit encore célébrer le Pardon des chapelles abandonnées, de celles détruites même;beaucoup de communes en sollicitent journellement la réédification, et les paysans remplissent avec joie les corvées nécessaires, s'empressent de fournir l'argent qui est indispensable.

L'armoricain des côtes, celui des montagnes, professent un grand respect pour les choses saintes : sa croyance et sa foi sont encore robustes. Sa philosophie est toute religieuse, toute de conviction.

Examinez le Breton croyant dans toutes les circonstances de la vie, et cette étude n'est pas indigne d'intérêt, vous verrez toujours dominer le sentiment religieux chez lui, vous le verrez toujours humilié, se soumettre sans examen aux décrets de la providence.

Prenez l'homme à son berceau. Le voilà, enveloppé de ses langes, qui sort de sa triste chaumière. C'est son aïeule, qui fière de son fardeau, le porte au temple. Écoutez, la cloche de la paroisse répercute ses sons d'écho en écho. Transportez-vous au lit de la mère, et voyez-là, baignée de larmes ; son sein se gonfle de bonheur, son cœur palpite avec force, elle tressaille. Les sons qui parviennent à son oreille, lui apprennent que l'eau sainte vient de régénérer le fruit de ses entrailles ; que la bénédiction du prêtre fait descendre sur lui celle de Dieu. Suivez l'enfant dans sa carrière. A peine balbutiera-t-il, quel sera l'enseignement que vont lui donner ses parents ? La crainte de Dieu, l'obéissance à ses commandements, le respect à ses pères, la soumission à ses supérieurs, aux puissants de la terre. Il grandit, et il s'affermit dans la stricte observance de toutes ces obligations, et il s'y soumet sans murmure. La femme à laquelle il s'unira, élevée dans les mêmes principes, rendra ses jours heureux par sa fécondité ; elle sera épouse soumise et fidèle, car elle sait les devoirs qu'elle doit remplir ; elle fuira le scandale, et jamais avec elle l'adultère ne viendra s'asseoir au chevet du lit conjugal. Si la mort vient surprendre l'armoricain à quelqu'âge que ce soit, toujours on le trouvera soumis et résigné. Dieu le frappe, il le bénit. Il est le premier à réclamer l'assistance du prêtre qui doit l'aider à sortir de la vie, il l'écoute avec une religieuse attention, témoignant un vif repentir des fautes dont il s'accuse ; il fait à ce suprême moment abnégation de tout. Sa femme, ses fils, ses proches environnent son lit de mort ; lui-même il les prêche, il les exhorte, il les console; lui-même il répète les sublimes prières que l'église fait entendre aux derniers soupirs d'un chrétien. Il s'endort de l'éternel sommeil au sein de sa famille éplorée, plein de calme, et confiant dans ce dieu que l'on invoqua pour lui dès son berceau. On ne prononcera pas sur sa tombe de fastueuse oraison funèbre, mais les siens l'accompagneront à sa dernière demeure. Leur douleur n'offrira rien d'extraordinaire, car elle est toute de soumission à la volonté divine ; ils se réjouiront même au fond du cœur, car l'homme dont ils honorent la mémoire, repose au lieu qui recueillit la dépouille mortelle de ses pères. Un modeste tertre de verdure, une simple croix de bois, indiquent le nom du défunt, voilà quel sera son mausolée. Mais sur ce tertre, au pied de cette croix, sa femme et ses enfants viendront prier pour lui ; rien ne les détournera de ce pieux devoir.


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Voilà la vie toute entière de nos bons campagnards. Du berceau à la tombe, les sentiments religieux : au delà du tombeau, pour leurs familles, la religion qui fait tempérer leur douleur ; Dieu, leur espérance et leur appui. Ah ! gardons-nous bien de leur arracher leurs croyances si douces et si pures, à moins qu'on nous apprenne quelle philosophie pourrait les remplacer.

Nous nous sommes éloignés de Penmarc'h pour tracer rapidement la vie religieuse de nos bas-bretons, retournons maintenant aux monuments de cette ville désertée.

Les ruines de l'église de Saint Guénolé sont sous nos yeux, ruines imposantes d'un monument que l'on affirme n'avoir jamais été achevé. Ici, comme à Penmarc'h, c'est encore une grosse tour carrée qui forme la façade ; cette tour est couronnée par des guérites en pierres placées aux angles ; des contreforts, clochetons, ornent et servent à embellir cette masse élevée. Il semble que sur cette côte tempétueuse, désolée, on ait craint de construire de ces clochers sveltes, élancés diaphanes, de ces flèches gracieuses par leur élégance que l'on rencontre à chaque pas en parcourant la basse-Bretagne. A-t-on redouté pour elles le vent et la foudre ? C'est à présumer. Comme à l'église paroissiale de Penmarc'h, on voit à celle de Saint Guénolé, des sculptures grossières, informes, représentant des vaisseaux. Le portail de Saint Guénolé, la croisée qui le surmonte sont remarquables par leur exécution. Tout n'est que ruines dans cette église dépourvue de couverture : l'air corrosif de la mer augmente chaque jour ses dégradations, mais la tour est d'une construction tellement solide, qu'elle résistera encore des siècles entiers aux ravages.

Remontez la côte, et à peu de distance de Saint Guénolé, à l”issue d'une grêve sablonneuse, au milieu de dunes multipliées, vous rencontrez le rocher nommé la Torche. La Torche est une masse compacte de granit, où la mer roule, mugit et se brise avec fureur. Le bruit qu'elle fait quand elle déserte sur la plage par un temps d'orage est tel, qu'il s'entend de très loin, et même fort souvent de Quimper, quoique cette ville en soit distante de plus de sept lieues.

On appelle le Saut du moine près de la Torche de Penmarc'h, l'intervalle compris entre deux roches très élevées où la mer se précipite avec fracas. On prétend qu'un moine voulut franchir d'un bond la distance, et qu'il trouva la mort dans l'essai qu 'il en fit.

Tout est désolation de ce point de la côte des Penmarc'hs que foulent vos pieds maintenant. Sous vos yeux sont des roches fertiles en naufrages, des dunes d”un sable fin qui menacent d'engloutir des champs d'une étonnante fécondité. Les débris encore debout d'une cité jadis opulente renferment les quelques maisons où les restes de sa population végètent: des ruines surgissent de toutes parts, ruines que dominent les églises elles-mêmes ruinées, et la colonne massive du phare. Sur cette grêve étendue, pas un seul arbre ne recrée la vue : l'immense océan seul se déploie, majestueux ; quelques voiles blanchâtres le sillonnent, et par un temps calme, le flot murmurant vient silencieusement mourir à vos pieds. Les pas, la voix de l'homme, se font rarement entendre ici ; les cris plaintifs


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de la mouette, du goéland, le croassement d'innombrables nuées de corbeaux, voilà les seuls bruits qui parviennent à votre oreille. Au loin, sur votre droite, est la côte de Plovan, de Plohinec dont les habitants farouches attendent le naufragé jeté sur leurs rives inhospitalières pour le dépouiller et s'emparer des débris que la mer leur apporte. A l'extrême horizon est le redouté passage de Raz. Le long de l'arc immense formé par la baie d'Audierne s'aperçoivent les nombreux clochers des communes qui lui servent de ceinture.

Partout où l'on a pu défricher la terre sur la commune de Penmarc'h elle produit d'abondantes récoltes de céréales : les froments y sont magnifiques. Sur son territoire, on voit peu d'héritages qui soient clôturés, à moins qu'ils ne se trouvent sur l'emplacement de la vieille cité, où les débris des murailles, des maisons, cernent les portions qui sont labourées. Les portions, surtout des terres rapprochées du rivage, qui n'ont que des dunes pour briser la vague dont sans elles on les verrait couvertes, sont dé-bornées par de simples sillons, par une pierre seulement. Le nombre des parcelles est infini, car à Penmarc'h comme à Cleder, comme à Goulven, nul ne veut céder, ni vendre la portion qui lui échoit dans les terrains fertiles que les familles se partagent.

C'est un immense mechou qui borde la plage de Penmarc'h. Les épis y ondulent au moindre souffle de l'air, et au moment de la moisson, cette vaste plaine semble comme dorée par les rayons du soleil. Deux énormes Menhirs élèvent leurs têtes chenues au-dessus des blés: ces menhirs sont couverts de lichens, et dans leurs fissures les bruyères montrent leurs grappes de clochettes pourpres et violacées. Ce sont les seuls monuments druidiques qui dans Penmarc'h s'offrent aux regards.