CATASTROPHE DU 23 MAI 1925 - INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

LE PATRON JOSEPH JEGOU ET LES CEINTURES

Les équipages des canots de sauvetage connaissent bien le règlement : Tous doivent porter le gilet de sauvetage réglementaire, particulièrement les patrons et sous-patrons qui se le doivent pour l'exemple .

Or, aucun canotier noyé, qu'il soit du Comte et Comtesse Foucher ou du Léon Dufour n'a été retrouvé porteur d'un gilet de sauvetage. On peut émettre deux possibles raisons à cela :

Ces canotiers n'ont pas mis leur gilet :
Professionnels de la mer, lorsque les canotiers estimaient leur aisance entravée par leur gilet dans l'épuisant exercice de l'aviron, et bien ils l'enlevaient sans demander la permission. Ils l'enlevaient d'autant plus qu'ils avaient une confiance aveugle dans leurs canots : Jamais ils n'auraient pensé chavirer.

Ces canotiers ont mis leur gilet :
Joseph Jégou, patron survivant du Comte et Comtesse Foucher, Jean-Marie Drézen canotier survivant du Léon Dufour, François Larnicol patron de l'Arche d'Alliance, témoins dignes de confiance, affirment que les gilets n'étaient pas solides, lors de leurs interviews par les différents organes de presse... Ils citent des exemples où le hissage ou le gaffage de certains naufragés se sont traduits par une rupture des coutures des gilets, entraînant la perte du porteur. Ces coutures anormalement fragiles ont elles résisté à la rudesse des flots ? Jean-Marie Drézen ajoute qu'il est le seul de son canot a avoir pu conserver sa ceinture de sauvetage, en contradiction avec les Annales du Sauvetage du 1er semestre 1925 qui affirment que tout l'équipage du Léon Dufour avait conservé sa ceinture. Qui croire ? Qui a intérêt à occulter la vérité ?

Joseph JEGOU du Comte et Comtesse Foucher
Survivant

Accusation providentielle

La vindicte populaire, motivée par l'incompréhension, le chagrin, la colère, ... a su trouver un bouc émissaire en Joseph Jégou.

Joseph Jégou a été accusé d'avoir demandé à ses canotiers du Comte et Comtesse Foucher de ne pas utiliser leurs gilets.
Jean Berrou aurait-il lui aussi demandé à ses canotiers de faire de même sur le Léon Dufour, au point que l'on ne trouve aucun canotier noyé des deux canots porteur d'un gilet ? Il n'était hélas plus là pour le dire. Restait Joseph Jégou, effondré, seul responsable vivant.

Cette accusation fut providentielle pour la SCSN qui n'eut pas à beaucoup forcer pour se disculper : Les gilets sont inspectés ré-gu-liè-re-ment. La belle affaire !
Une simple inspection visuelle peut-elle suffire ? L'âge des gilets et leurs rudes conditions d'utilisations n'auraient-elles pas du être prises en compte ? De sérieux tests de solidité n'auraient-ils pas pu être menés ? Tout cela parait bien léger...

Le petit monde des sauveteurs savait tout cela. Pourtant, on préféra se taire et sacrifier l'honneur du patron Jégou et lui faire porter le poids de toute la faute plutôt que de salir l'oeuvre de la SCSN...

Pour donner raison aux accusateurs, Joseph Jégou fut le seul survivant des deux canots de sauvetage à n'être pas décoré par la SCSN.
Désavoué par la SCSN, déshonnoré, ce multi-médaillé de la Société de Sauvetage a subit les crachats, les insultes et les reproches d'avoir survécu, portant ce fardeau jusqu'à la fin de sa vie...


Equipage du Comte et Comtesse Foucher
1 - Gilet en liège. 2 - Gilet en kapok


CANOT A MOTEUR ET CALES DE LANCEMENT

Extrait des Annales du Sauvetage du 1er semestre 1925 :

D'autre part, nos canots de cette région sont, de toute la France, ceux qui sont appelés le plus souvent à sortir. Mais en fait, nos statistiques sont là pour l'établir, les accidents qui nécessitent leur concours se passent toujours à une distance peu considérable, qui ne dépasse guère la limite des récifs. Dans un rayon aussi restreint, le gain de temps réalisé par un moteur est faible, et bien souvent il ne compensera même pas la perte de ce même temps causée par l'insuffisance de hauteur de l'eau, puisque le tirant d'eau du canot à moteur est presque double. Plusieurs journaux ont fait état de l'interview d'un de nos canotiers de Saint-Guénolé, qui aurait dit que, si le canot de Saint-Guénolé avait eu un moteur, on n'aurait eu aucune mort à déplorer le 23 mai. La réponse de ce brave marin montre qu'il était mal instruit des circonstances exactes du drame, et en outre que la complexité de la question posée lui échappait totalement, ce dont on ne saurait s'étonner.1

Le naufrage du Saint-Louis et du Berceau-de-Saint-Pierre s'est produit en un point qui, surtout par le vent alors régnant, est en dehors du rayon d'action du canot de Saint-Guénolé ; celui-ci, en tout état de cause, n'avait pas de rôle utile à y jouer, puisque deux autres canots de sauvetage, mieux placés que lui, s'y trouvaient déjà, et que ces deux canots eussent amplement suffi à recueillir tous les naufragés si ceux-ci avaient pu être sauvés.
La région de Penmarc'h est celle où nos canots sont le plus voisins les uns des autres. Sur une longueur de côte de moins de 15 kilomètres, nous en avons cinq, les uns à redressement automatique, les autres non redressables à grande stabilité. Le matériel de sauvetage est admirablement entretenu par des marins qui en sont fiers.2 Quel que soit le point où un sinistre se produit, il y a toujours au moins un de ces canots qui est en bonne situation pour intervenir.

Le 23 mai, aussitôt avertis, les deux canots de Kérity et de Saint-Pierre ont été très promptement armés, et en moins d'une demi-heure ils étaient sur les lieux de la catastrophe, où ils furent sinistrés à leur tour. Il est permis de douter qu'un canot à moteur y fût parvenu plus vite.
Par ailleurs aucun marin n'admettra qu'un canot à moteur soit plus capable de tenir dans les mauvais temps qu'un canot tel que nos canots à rames et à voiles; en résumé, l'installation d'un canot à moteur à Penmarc'h présente de sérieuses difficultés techniques, et rien ne prouve que pratiquement elle réaliserait un progrès intéressant.
Dans cette discussion nous nous sommes abstenus de faire intervenir le point de vue financier, parce que, quelle qu'en soit l'importance, ce côté de la question ne nous arrêterait pas s'il nous était démontré que nos objections ne sont pas fondées3, la région de Penmarc'h ayant toujours été au tout premier rang des préoccupations de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.

Remarques KBCP :
(1)Que peut comprendre un pauvre marin sauveteur analphabète et ignorant des choses de la mer, et d'un naufrage auquel il ne comprend rien ? Heureusement, le "Parisien" depuis son bureau douillet est là pour lui apporter la lumière et lui imposer le silence et l'acceptation. Affligeant.

(2) Une petite couche supplémentaire sur l'état exemplaire du matériel (donc des gilets) ne fait pas de mal...

(3) Voir (1) !!!

Extrait des Annales du Sauvetage du 2ème semestre 1925 :

Après le sinistre du 23 mai, nous avons refait une étude minutieuse de tout le littoral compris entre Loctudy et la baie d'Audierne, et nous avons conclu à la possibilité de créer une station de canot à moteur à Guilvinec1, quelque peu à l'Ouest de notre station actuelle. Le rayon d'action de cette station englobera tout naturellement la région de Penmarc'h.

Remarques KBCPenmarch :
(1) Le Vice-Amiral Duperré, canot à deux moteurs, fut mis en service en 1927 au Guilvinec.


L'Amiral Duperré du Guilvinec sur sa cale de lancement à Men Meur


Même si le point de vue financier n'est pas pris en considération (Annales du Sauvetage du 1er semestre 1925), on se demande pourquoi les trois stations de sauvetages de Penmarc'h n'ont pas été équipées de cales de lancement pour leurs canots de sauvetages, afin de permettre aux canotiers d'appareiller sans déjà être épuisés à force de pousser leur lourd chariot dans le sable. Des cales carrossables et suffisamment longues pour leurs chariots atteindre l'eau sans difficulté.

Comme l'attestent les vues ci-après, les abris des canots de sauvetages (indiqués x) des stations de Kérity (fermeture en 1947), St Pierre (fermeture en 1944) et St Guénolé (fermeture en 1952) n'ont jamais été équipées d'une cale de lancement en dur. Pendant plus de 25 ans après le drame, on continua donc a pousser les canots dans le sable avec milles misères...


Abri de Kérity © Jos


Abri de Saint Pierre © Cim


Abri de Saint Guénolé © Artaud-Gaby


Après la dernière guerre, il ne reste plus qu'un seul canot de sauvetage, à St Guénolé, le "Maman Poydenot"...toujours à voile et avirons !

Un canot de sauvetage à moteur arrive ENFIN en 1952 à St Guénolé avec un abri moderne situé dans le port, desservi par une cale de lancement sur rail : C'est le "Capitaine de Vaisseau Richard", un canot de 14m à deux moteurs de 50cv pour une vitesse de 8 noeuds.


Le "Capitaine de Vaisseau Richard" devant son abri © Legrand


ÉPILOGUE

Ce drame fut un choc pour la population.
Choc pour la population de Penmarc'h qui vit disparaître en une heure 27 de ses marins, laissant 24 veuves et 45 orphelins. Choc provoqué par la soudaineté d'une terrible catastrophe. Choc des enterrements jours après jours, sous la pluie et le vent, les catafalques suivi par des familles effondrées, accablées par le sort.
Choc toujours pour la population des marins sauveteurs, qui avaient une confiance aveugle en leurs matériels et en leur capacité à toujours faire face.
Choc enfin, pour la population Française qui, confrontée à la réalité de la vie endurée par la population maritime, a laissé parler sa compassion et sa mobilisation en faveur des familles des victimes...

Le discours politique, lui, a peu changé : Sept ans après la fin de la Première Guerre Mondiale, les mêmes valeurs sont toujours dans l'air du temps : Honneur, bravoure, esprit de sacrifice...
On s'apitoie beaucoup dans des discours, où avec emphase on assimile le sacrifice du marin sauveteur au sacrifice de celui qui sortait de sa tranchée pour mourir au champs d'honneur. On s'en tient là. On cherche peu de solutions et on invoque la fatalité. On encense la dignité des veuves et orphelins, la modestie des sauveteurs survivants et on distribue des médailles... On promet beaucoup et on ne fait rien. Ah si, on diminue les subventions...

Que dire de l'action de la presse républicaine sinon que dans sa grande majorité elle véhicule le message officiel des institutions politiques et qu'elle ne fait pas dans le journalisme d'investigation.
Elle va même jusqu'à lancer des souscriptions avec la publication quotidienne et pas très innocente, des noms des donateurs. C'est bon pour les familles des victimes, c'est encore meilleur pour le tirage... Bref, elle fait dans le politiquement correct, comme on dit aujourd'hui.

Enfin, que penser de l'attitude peu flatteuse de l'institution de Bien qu'est la "Société Centrale de Sauvetage des Naufragés", quant à la prise de ses responsabilité sur l'entretien de son matériel et l'utilisation, comme bouc émissaire, de Joseph Jégou, un de ses plus anciens et valeureux patrons...

Une affiche appelant aux dons