Les Bigoudens De Pont-L'Abbé 
Et Les Pêcheurs De Penmarc'h Et De La Baie D'Audierne (Suite)

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ques sculptées. Une tombe à arcades d'un patron de barques et d'autres tombes avec une ancre.

L'église possède de curieuses statues anciennes, dont quelques-unes fort riches, mais je ne puis en donner la liste. Lors de mon exploration, l'église était en réparations. Le devis des travaux est de 35.000 francs, mais il faudra encore environ 4.000 francs pour les frais imprévus.

M. l'Abbé Le Coz pour parfaire cette somme a fait mettre en vente son Petit-Guide-Souvenir de Penmarc'h, au profit de l'église en réparation. Je le recommande aux touristes, non seulement pour l'oeuvre, digne d'intérêt, mais parce que ce petit guide est aussi artistique et littéraire. Les personnes désireuses de voir toutes les curiosités de Penmarc'h et de Kérity, feraient bien de joindre à pied, les deux hôtels de Saint-Gwénolé, par Kérity, St-Pierre et la Joie, parce qu'en voiture, on ne voit pas la moitié de ce qui mérite attention.

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DE PENMARC'H A KERITY

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Nous allons tomber en plein dans une région hantée de souvenirs, et a chaque pas nous rencontrerons des ruines, des manoirs croulants, tout ce qui est demeuré des dernières splendeurs de l'opulente cité de Kérity, après les ravages des Anglais et de La Fontenelle. Pour les personnes qui ignorent ce qu'étaient les anciennes maisons bretonnes, je dois dire ici, que toutes les chaumières qu'elles rencontreront, et qui ont l'encadrement de leurs portes orné de cannelures ou d'arcatures, comme aussi celles possédant des niches ou des pigeonniers, furent des maisons de gens riches, voire même de notables.  



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Les seigneurs seuls avaient le manoir qui parfois n'était qu'une ferme importance et qui tenait le milieu entre la chaumière et le château.

Sur la droite, en face d'un nouveau calvaire, nous voyons le Manoir de Pennity, qui fut le presbytère de Penmarc'h et qui, après avoir été réparé avec les pierres provenant des églises Saint-Fiacre et Saint-Étienne, est devenu logement de la Communauté des Filles de la Sagesse qui y tiennent un pensionnat et répandent leurs bonnes œuvres dans toute la région, dont elles soignent avec zèle les malades pauvres.

Au-dessus d'un portail à arcades rondes, s'étend un rempart à mâchicoulis. À côté est une gracieuse chapelle près de laquelle, dans la maison même, est une meurtrière. À l’intérieur de la cour, un escalier de pierres mène au rempart assez large et dont la plate-forme pouvait recevoir des canons de petit calibre. Dans la cour, une niche de la Vierge renferme deux antiques statuettes représentant une dame et un page en costumes du XVIe siècle, portant des ciboires. La porte de la salle à manger, est ornée de belles sculptures, ainsi que les lambris intérieurs.

Tout à côté, au milieu d'un village, est le Manoir de Portz-Lambert, curieux édifice surmonté d'une mince tourelle et qui était jadis un magasin des dîmes. Nous en verrons un autre à Kerfézec, car ces dîmes agricoles se percevaient dans trois des manoirs de Penmarc'h. On voit une sorte d'allée ou de porche ouvert de chaque côté par une arcade ogivale et qui passe sous l'édifice. C'est par l'une de ces portes qu'entrait la charrette chargée de gerbes. On jetait par une trappe, le nombre de gerbes fixé, et la charrette ressortait par l'autre porte, faisant place à la charrette suivante. La fenêtre de ce manoir, formée de deux meneaux en croix, a été bouchée sauf un carré.


A côté de vieilles maisons à portes sculptées, près d'un vieux puits, propriété de gens riches, commerçants ou bourgeois.

Vieux calvaire de 1828 restauré.

A quelques mètres de là, le Manoir de Kerélé.

Une ferme sur le bord de la route, présente elle-même des traces d'anciennes défenses.



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A gauche, une vieille citerne de grandes dimensions. Le village de Pen-ar-Guer, dut lui aussi faire partie d'un manoir important, d'après ses nombreuses servitudes, et comme l'indiquent son puits et ses pigeonniers.

J'y ai vu cette année (1893) battre le blé d'après l'ancien procédé usité en Bretagne, qui consistait à lancer des chevaux au galop, sur les gerbes disposées dans l'aire.

Nous voici au Manoir de Pen-ar-Pont, l'une des maisons fortifiées de Kérity. Il est clos par un fort mur crénelé dans lequel s'ouvrent deux portes monumentales. De chaque côté de la porte de l'babitation est une large meurtrière. Les servitudes intérieures sont en ruines et la maison elle-même est appelée à disparaître avant peu. Sur le côté gauche, on peut voir un ancien four dont la gueule est à l'intérieur de la maison. Un lavoir important se trouve du même côté.

A l'entrée du bourg de Kérity, sont plusieurs maisons qui ont conservé des restes de défenses.


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L'Église de Kérity

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Cette église beaucoup plus ancienne que celle de Tréoultré-Penmarc'h, doit son édification aux Chevaliers du Temple ; j'ai retrouvé à St Gwénolé au sujet d'un rocher, une légende parlant des moines rouges, désignation s'appliquant aux Templiers. Placée sous le vocable de Ste-Thumette, l'une des onze compagnes de Ste Ursule (1), cette église est aujourd'hui en ruines. Cependant l'effet est imposant. Les murs en pierres de taille, percés de belles fenêtres flamboyantes sont encore intacts. Elle date de la première moitié du XIIIe siècle. Ses ogives élancées et leurs belles proportions peuvent

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(1) Vers l'an 262 de notre ère, le Vandale Crocus s'acharna sur les monuments du christianisme et sur ses ministres. On lui attribue le massacre de Ste Ursule et de ses compagnes que l'on a fait longtemps monter au nombre de onze mille, pour avoir lu à tort onze-mille vierges dans l'abréviation de onze martyres Vierges : (Xl M V).



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être attribuées au style gothique arabe dans sa plus pure perfection, mais sa tour carrée et la tourelle ronde servant de vedette, font reconnaître l'architecture propre aux Templiers, qui firent de leurs églises des édifices religieux demi-militaires. Ainsi que la plupart des églises des Chevaliers de cet ordre, elle n'a qu'un seul bas-côté.

Elle devint, ensuite propriété des Chevaliers de St-Jean de Jérusalem. En face du port de Kérity est un rocher qu'on appelle Villers-Bras (le grand Villiers) et un autre appelé Gazek ar Villers (la jument de Villiers), sans doute du nom de Philippe de Villiers de l'Isle-Adam, 43e grand-maître de l'Ordre de St Jean de Jérusalem, élu en 1521, célèbre par le siège qu”il soutint avec 600 chevaliers de son ordre et 4,000 soldats, contre les Turcs au nombre de plus de 250.000 hommes, dans l’Île de Rhodes.

Ces chevaliers, bien distincts de ceux du Temple, portaient une robe et un manteau noirs. Ce vêtement était orné sur le côté gauche, d'une croix blanche à huit pointes ayant des fleurs de lys dans les angles, et suspendue à un ruban noir. On prétend que l'église de Kérity fut décorée avec un grand luxe et qu'on y voyait un autel et des statues en albâtre. Deux de celles-ci, St-Jean et St-Georges, sont aujourd'hui à la cathédrale de Quimper. Cette église qui fut d'abord sous le vocable de St Georges, puis sous celui de St Jean, fut placée sous l'invocation de Ste Thumette après le départ des Chevaliers de St Jean. Depuis 1809 on n'y célèbre plus le culte. En 1888. les femmes de Kérity balayèrent l'église, afin d”obtenir une bonne pêche. On voit près du portail. des niches et des meurtrières. Curieuses sculptures. Les renfoncements de l'édifice servent aux marins de passage à faire leur cuisine, ce qui activera l'écroulement de cette belle masse.



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Le bourg de Kérity, est composé de ménages de marins. Il est proprement entretenu, et les habitants y sont affables et civilisés. Près d”une friture, on peut voir des maisons dont l'une présente des chimères sculptées comme cornières.

Plusieurs d'entr'elles ont converti leurs meurtrières en fenêtres. Kérity possède un bateau de sauvetage. Le bureau des douanes est lui aussi un ancien petit manoir. A voir près de l'église, un des anciens canons de celle-ci, qui sert de borne à une maison.

Une tradition veut que ce soit à Kérity-Penmarc'h, que Jacques VII d’Écosse, - fils d'Henriette de France, petit-fils de notre roi Henri IV. et arrière petit-fils de Marie-Stuart, - roi d'Angleterre sous le nom de Jacques II, de 1685 à 1688, débarqua après avoir été détrône par Guillaume de Nassau prince d'Orange, son gendre, qui se fit élire roi d'Angleterre sous le nom de Guillaume III, et qui força Louis XIV à le reconnaître comme tel, par le traité de Ryswick qui mit fin à la guerre du Palatinat (1697).

Quelques familles venues à la suite du roi Jacques. se fixèrent dans le pays et y ont encore des descendants. L'une d'elles possède un bijou princier, don de ce malheureux roi. Retiré au château de St-Germain-en-Laye, le roi Jacques y mourut en 1701. Son fils fut connu sous le nom de chevalier de St-Georges.

Le Port de Kérity-Penmarc'h, autrefois florissant, est formé par une plage de sable comprise entre la côte et les rochers de Villers-Bras, qui le protègent a l'Ouest et au Sud-Ouest. La pêche, abondante dans les environs, lui a rendu une partie de son ancienne importance et on y a construit récemment un môle de 117 m 50 de longueur sur 6 m de largeur, dans le but unique de protéger les 30 ou 40 barques de pèche qui y sont attachées au port, car le mouvement commercial y est à peu près nul.



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De Kérity
au Phare de Penmarc'h

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Sur la route, avant d'arriver au manoir de Kerfézec, on peut voir une monumentale fontaine avec quelques sculptures. Tout autour, sont des banquettes en pierre. Le Manoir de Kerfézec (les indigènes prononcent Kerbézec) est entouré de ses forts remparts à mâchicoulis. Ici, nous revoyons un porche dîmier dans le genre de celui de Portz-Lambert. La porte de la maison d'habitation est fort belle et ornée d'une accolade en kersanton. Les écussons portent les armes de la famille de Cheffontaines.

Ce manoir, qui fut l'un des plus importants de Kérity, appartint aux familles de Lesongars, de Lanros, de Lormais, du Boisguéhenneuc etc... On voit dans les défenses, presque ras terre, des meurtrières et l'emplacement de quelques canons.

Les seigneurs de Kerfézec - d'après les traditions -, étaient si riches, qu'ils faisaient tendre de tapis de soie, depuis leur demeure, jusqu'à la fontaine de St-Nonna, que nous avons vue plus haut, pour les processions du Sacre. Les seigneurs de Pénarpont en faisaient autant, de sorte que la procession, défilait sur soie, de l'un à l'autre de ces manoirs.

Presque à l'entrèe du hameau de St Pierre, on peut voir un manoir couvert en chaume et à demi-ruiné. Près de là habite un innocent, grand gars d'une vingtaine d*années,


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vêtu d'une robe, et portant au cou, comme insigne de sa folie douce, la collerette à gros volants des bébés bretons. Il est rare de ne pas le rencontrer sur la route; on ne doit pas s'en écarter : les gens du pays, prétendent qu'il porte bonheur à ceux sur lesquels il arrête ses regards.

Sur la gauche, au milieu des arbres, on aperçoit le Manoir de Kervily. C'est vis-à-vis, qu'on retrouve les traces des cales et des jetées de l'ancien port de Kérity.

Des maisons neuves ont été élevées dans le hameau, sur les fondations d'anciennes maisons fortifiées, et on voit encore aux bases, les meurtrières et les bouches de canons.

Le Phare de Penmarc'h a été bâti en 1841. sur un terrain dépendant de l'ancienne église de St Pierre. Il a une hauteur de 41 mètres ; sa portée est de 21 milles ; son feu est à éclipses de 80" en 30". Il est visitable dans presque toutes ses parties. Un second phare va être construit à peu de distance de celui-ci ; il coûtera environ un demi-million. Mme la Marquise de Blocqueville (1) a donné une somme de trois cents mille francs pour cette création. Ce nouveau phare aura une hauteur de 64 mètres.

En mer, sur les rochers appelés Ar Menhir, l'un des écueils les plus dangereux de cette côte, il va être élevé un phare de 15 mètres qui sera allumé jour et nuit pendant les trois mois les plus rigoureux de l'hiver. Une lampe de dimensions phénoménales contiendra, - m'a-t-on affirmé -, assez d'huile pour permettre de n'en faire l'approvisionnement que lorsque le rocher serait abordable. Une étincelle électrique partant du phare actuel, qui sera désaffecté, allumerait la lanterne à volonté. Les travaux, commencés depuis deux ans, n'ont encore permis d'atteindre qu'une hauteur de 4 ou 5 mètres.

Dans la salle d'attente du phare actuel, on voit les bustes

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(1) Mme la Marquise de Blocqueville, dont la beauté fut célèbre jadis, femme de la plus haute distinction et d'une amabilité parfaite, avait été la fidèle amie de la Reine Amélie. Fille du maréchal Davout duc d'Auerstaedt. prince d'Eckmühl n'ayant pas eu d'enfants, elle laissa à son décès (octobre 1892) comme plus proches parents, les duchesses de Feltre (Clarke) et d'Albufera née Cambacerès, le comte Vigier, le vicomte Vigier et le général Davout, duc d'Auerstaedt.

Excellente musicienne, Henri Hertz, Francis Plante et Franz Listz composeront d'elle Un Portrait en Musíque. (G. P. de R.)