Les Bigoudens De Pont-L'Abbé 
Et Les Pêcheurs De Penmarc'h Et De La Baie D'Audierne (Suite)


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en bronze de Beautemps-Beaupré, le célèbre hydrographe qui avec d'Entrecasteaux partit à la recherche de La Pérouse (1766-1854) ; et celui d'Auguste Fresnel, physicien (1788-1827). Ce phare a été construit sous la surveillance de MM ; Goury aîné, ingénieur en chef, directeur; de Kermel ingénieur en chef des ports; et Le Martel-Préville, ingénieur ordinaire.

Le nouveau phare dont les fondations sont déjà avancées, a été adjugé à un entrepreneur de Paris, qui emploie à sa construction des ouvriers du pays.

De nouvelles maisonnettes pour les gardiens, remplaceront celles existantes.

L'ancienne Chapelle de St Pierre, qui est près du phare, a été raccourcie de moitié. Néanmoins elle ne fut jamais aussi importante que les églises de Penmarc'h et de Kérity.

Sa tour carrée, solidement construite et qui sert de contre-fort au poste sémaphorique, paraît dater du XVe siècle. On y voit à un angle, une guette en nid d'hirondelle, percée de meurtrières. Aux angles principaux, à milieu de la hauteur, sont placées des cornières représentant des figures d'hommes et d'animaux. L'intérieur de cette chapelle, dont le pardon a lieu tous les ans le 29 juin, n'a rien de remarquable que de vieilles statues de St Pierre, de la Mère de Dieu, de Ste Barbe accotée à un fort, et un placide Saint Nicolas. Autrefois on y voyait un maître-autel en albâtre, orné de bas-reliefs gothiques sculptés et dorés, qui provenait de la riche église de Kérity.

Je n'ai pu savoir ce qu'il est devenu.


Renseignements sur le nouveau Phare
dit Phare d'Eckmühl

D'après le rapport de l'ingénieur ordinaire des Ponts et Chaussées


L'éclairage à l'électricité du phare de Penmarc'h avait déjà fait l'objet d'études et de projets approuvés.lorsque Mme la marquise de Blocqueville légua à l’État une somme de 300.000 fr. pour qu'il soit élevé un phare sur quelque point dangereux des côtes de France non « miné par la mer. ››

C'est à la suite de l'autorisation donnée à M. le ministre des Travaux publics daccepter ce legs que fut dressé et



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approuvé le 13 mai 1893, le projet soumis à l'enquête d'utilité publique.

L'édifice sera construit à 120 mètres environ à l'Est du phare actuel, au milieu d'une cour fermée où seront établis les logements, machineries et dépendances. L'étendue de terrain affecté au service public est représentée au plan ci-joint.

La tour, élevée de 60 mètres au-dessus des hautes mers, sera faite toute entière de matériaux de choix ; la base et le soubassement en pierre de Kersanton, la colonne en pierre de Polhuern, près d'Hennebont, la corniche en Kersanton. Sa portée géographique sera de 30 kilomètres environ. L'appareil d'éclairage électrique sera du type dit feu-éclair à quatre lentilles. Sa portée lumineuse sera de près de 100 milles par temps clair et de 25 à 28 milles par brouillard.

L’État a parfait la somme nécessaire à l'établissement de cet ouvrage dans des conditions exceptionnelles aux différents points de vue de la solidité, de l"aspect architectural et de la décoration intérieure. L'estimation portée au projet approuvé monte à 600.000 fr., dont 390,000 fr. pour les édifices.

La salle basse sera ornée de la statue en bronze du maréchal Davout, prince d'Eckmühl, père de la donatrice.

Le phare d'Eckmühl, dont l'établissement doit porter à treize le nombre des grands phares électriques de la côte française, est un des feux de grand atterrage les plus importants par l'indication qu'il donne aux navigateurs de la pointe et des parages dangereux de Penmarc'h et les indications qu'il détermine pour le passage du Raz-de-Sein, route suivie par tous les navires qui passent de l'Océan dans la Manche et réciproquement. Il offre à ces différents points de vue tous les caractères d'un travail d'utilité publique. Les imperfections du système d'éclairage du phare actuel, et l'ancienneté même des dispositions prises, lui donnent, en outre, un caractère d'urgence très réel. Il suffit, pour mettre ce dernier point en évidence, de rappeler que les études de la transformation avaient été engagées dès le 10 novembre 1890, et le projet de la tour approuvé le 25 mai 1892, lorsque les négociations furent entamées avec les exécuteurs testamentaires de Mme la marquise de Blocqueville pour la réalisation du vœu contenu dans son testament.



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Pour donner à mes lecteurs des renseignements complets sur la construction du phare d'Eckmühl, je fais suivre le rapport de l'ingénieur du détail estimatif des travaux à exécuter :


On voit que le chiffre total de la dépense prévue pour la construction du phare d'Eckmühl atteint juste le double de la somme léguée par Madame de Blocqueville.


Légende des Etocs

M. Jacques Brémond (Alias Abel Mercklein), qui a pendant quelques années habité Pont-l'Abbé et St Gwénolé donne dans son palpitant roman Maner-Névez, excellente étude, sarcastique, mais combien juste pour quelqu'un ! -- la légende qu'il a recueillie sur ce rocher. Je la lui emprunte parce qu'elle est curieusement écrite et que l'auteur a su lui conserver la grâce naïve, presque enfantine qu'ont tous les récits que font les Bretons, sur les lieux ayant été le théâtre de la moindre aventure qui pour eux prend alors une apparence de surnaturel.

« Le rocher des Etocs n'a pas toujours été le récif que vous apercevez là-bas ; c'était un superbe château bâti sur le bord de la mer, et qu'habitaient deux frères puissamment


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riches. L'un, Yvon, beau comme le jour, était bon et charitable , l'autre, Yannic était laid, cruel et vicieux. Vint le jour ou Yvon se maria avec une femme aussi jolie que vertueuse, la princesse Yvonne. Yannic qui joignait la jalousie à ses autres défauts, en conçut un grand ressentiment.

« A quelque temps de là, des pirates débarquèrent dans le pays, tuant les paysans, mettant les maisons au pillage.

« Yvon dont la bonté s'alarmait de ces abominations, résolut de chasser ces bandits.

- Va, lui dit Yannic, moi je garderai le château.

« Et Yvon partit.

« Dès qu'il fut seul, son méchant frère s'empara de la malheureuse Yvonne et malgré ses supplications, il l'attacha avec de lourdes chaînes, au pied du château, sur un rocher que la mer recouvrit bientôt. Lorsque son frère rentra, il simula un grand désespoir, disant qu'en son absence, les pirates étaient venus, avaient forcé le château et emmené sa femme, la vertueuse Yvonne.

« Le chagrin du pauvre Yvon fut si grand, qu'il mourut sur le coup.

« Yannic ne pleura pas, trop heureux d'avoir assouvi la haine qu'il portait à son frère, et ne songea plus, dès lors, qu'à reprendre sa vie d'orgies et de débauches.

« Mais Dieu veillait pour le punir. Une nuit en se réveillant d'une longue ivresse, il vit l'ombre de son frère devant son lit.

- Yannic, dit Yvon, tu as menti, les pirates ne sont pas venus, c'est toi qui as tué mon Yvonne bien-aimée ! Tu ne sortiras pas de ce château avant d'avoir retrouvé l’âme de ta victime !

« L'ombre disparut, laissant Yannic sous l'empire d'une effroyable terreur qui ne se dissipa qu'au matin.

- J'avais trop bu, hier soir, se dit-il, j'ai rêvé ; les morts pas plus que leurs âmes ne reviennent.

« Mais la nuit suivante, il entendit encore appeler: Yannic ! Yannic ! Il tressaillit en reconnaissant la voix d'Yvonne. S'armant de courage, il parcourut toutes les salles de l'immense château, toujours poursuivi par ce même appel plaintif. Il se rappela alors les paroles de son frère lui ordonnant de chercher l'âme de sa femme.



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- Yannic, Yannic! .criait toujours la voix.

« Affolé, il voulut quitter ce château maudit et il gagna le pont-levis. mais là, une surprise plus terrible l'attendait :

« Le château, détaché de la terre, se trouvait maintenant en pleine mer, isolé comme un île, battu de tous côtés par les flots furieux. La menace d'Yvon s'accomplissait, son infâme frère était prisonnier de l'âme de la malheureuse qu'il avait tuée.

« Et toujours la voix l'appelait : Yannic ! Yannic !

« Alors, fou de terreur, il se mit à démolir le château pour ne plus entendre cette voix. Longtemps on entendit les coups furieux frappés dans les épaisses murailles et le fracas des pierres qui s’abîmaient dans la mer.

« Mais l'âme d'Yvonne ne se taisait pas.

« Quand il ne resta plus rien de l'édifice, il attaqua le roc.., s'enfonçant dans les anfractuosités des pierres, d'où la voix 'semblait sortir, l'attirait, et le bruit de son travail de démon se perdit dans celui de la mer.

« Depuis, il n'a pas reparu et son châtiment dure toujours. Aux grandes marées lorsque la mer dehale au loin, le vent qui souffle du rocher des Etocs apporte comme un sourd écho du fer sur la pierre et la vague rumeur de longs gémissements. C'est Yannic. l'assassin, qui cherche toujours l'âme de la malheureuse Yvonne, l'épouse de son frère Yvon ! »


Chapelle de N. D. de la Joie


Il nous faut suivre la côte pour gagner cette chapelle, mais la distance est courte à parcourir, et nous aurons un point-de-vue qui nous, qui nous égaiera suffisamment pour nous faire oublier notre peine.

Cette chapelle a dû être élevée là, comme un symbole du christianisme remplacant une divinité celtique quelconque : Cybèle ou Vénus



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Ainsi parle un auteur, M. de Fréminville, je crois. Avant d'y arriver, on voit un four, ou mieux une tranchée pavée dans laquelle on brûle les goémons pour en obtenir la soude brute. Presque à côté est un petit menhir, au milieu d'une vivace végétation de jusquiames et de rhubarbes.


Le calvaire qui date de 1588 est beau. On y voit le Christ entre deux saints, (deux marins m'ont dit que ce sont Saint-Nonna et St-Gwénolé, mais ce serait assez anormal), et du  côté opposé, la Vierge entre deux autres saints (ceux-ci seraient Saint Pierre et Saint Alour, bien qu'ils n'aient vécu aux mêmes époques). A la base, une statue en pierre de N. D. de Pitié.


Cette chapelle de la fin du XVe ou du XVIe siècle, possède un curieux clocher à deux baies entre deux petites tourelles rondes reliées par une courte balustrade. Du côté de la mer, il existe plusieurs meurtrières. Sur les côtés, deux belles portes latérales, dont celle de droite ornée de sculptures. Le chevet de l'église se termine par deux riches cornières.


A l’intérieur, cette chapelle est de grandes dimensions.


Une partie en est grossièrement pavée, mais l'autre est carrelée de briquettes. L'abside nouvellement repiquée est d'un bel ensemble. La table de communion en fer forgé ne date que de 1831. L'autel est riche et joliment sculpté : de chaque côté accotés aux murs, de beaux panneaux en bois sculpté forment une décoration grandiose. Les stalles du chœur sont grossières, mais ont néanmoins un certain relief. Vieilles statues de N. D. de Saint Drien et de Saint Méen. Plusieurs navires en ex-voto, dans le chœur.


Les marins ont une grande vénération pour N.-D. de la Joie et ils l'invoquent pour obtenir une bonne pèche, et surtout aux jours de tempête. Presque chaque matin il s'y dit des messes commandées par les ports avoisinants.


Il s'y tient un grand pardon, le 15 août de chaque année.


Une tradition dit qu'elle a été bâtie par une fille du sultan Sélim, convertie par deux chevaliers picards prisonniers de son père, qu'elle délivra, et avec lesquels elle s'embarqua sur un navire procuré par elle. Après une traversée dangereuse et de nombreuses tempêtes, ils débarquèrent miraculeusement



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en ce lieu où ils firent construire par reconnaissance cette chapelle qu'ils dédièrent à N.-D. de Liesse.



Saint Gwénolé


Autrefois, l'emplacement sur lequel s'élève le bourg de Saint-Gwénolé s'appelait Enez-Baden (lle Fougère), nom que d'anciennes gens lui donnent encore aujourd'hui par tradition. La mer, peut-être par le ruisselet encore existant, s'étalait fort avant sur les terres, formant à de certains endroits, des marécages stagnants durant tout l'hiver.


La bourgade, dont la création ne remonte guère qu'à 1880, est déjà pourvue de deux hôtels confortables : Le Grand Hôtel de St-Gwénolé, et l'Hôtel de Bretagne. Six fritures en pleine exploitation mouvementent cette bourgade appelée à devenir d'ici peu, un gros bourg, peut-être même une ville, le poisson ayant une tendance marquée à abandonner Guilvinec pour ces parages, et, les bateaux accostant plus facilement par les gros temps, a ce port qu'à Guilvinec. Si des efforts doivent être tentés pour prolonger la ligne du chemin de fer de Pont-l'Abbé, je crois qu'ils seraient plus fructueux à St-Gwénolé qu'ailleurs.


Penmarc'h revivrait peut-être un jour, son ancienne splendeur !...


L'église de St-Gwénolé offre encore des ruines imposantes qui incitent à la rêverie. La façade, grosse tour carrée, est surmontée de guérites en pierres ornées de clochetons gothiques qui en dissimulent la masse. Le portail ressemble beaucoup à celui de St-Nonna à Penmarc'h. La niche entre les deux portes est la même, comme aussi la verrière au- dessus de laquelle est une N.-D. de Pitié, sur la robe de laquelle on a sculpté un navire. Les deux tourelles de chaque



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côté, sont ornées de navires de guerre, de navires à voiles et de barques de pèche au-dessus de poissons, ainsi que de deux niches superposées de face et deux du côté du porche. Cariatides et cornières finement sculptées. Au côté droit du portail est une inscription qu'avec difficulté on déchiffre :

Jusque mort ou mori.


Construite en 1488, cette église ne fut pas achevée. En 1716, les habitants de St-Gwénolé se proposaient de la terminer, mais il ne dut pas être donné suite à ce projet, car à la Révolution elle n'avait ni flèche ni couverture, et un bas-côté demeurait à moitié fait. En 1845 on y a accolé une petite chapelle. Cette église qui dépendait de Beuzec-Cap-Caval, eut un prêtre résidant de 1488 à 1722. Après la Révolution elle fut rattachée à Penmarc'h.


Dans le chœur et le péristyle sont des écussons armoriés des familles Tanneguy du Chastel, Kernizan, et Le Bastard de Mesmeur. Au-dessus de la porte intérieure est une balustrade gothique. Beau bénitier disposé en crédence et surmonté d'une riche accolade. Quatre niches avec couronnement, dont la base de trois est ornée de feuillages ; l'autre

est faite d'une tète entourée de palmes. Au milieu de la nef est une pierre commémorative sur laquelle on lit : Ici ont reposé pendant six mois les restes des victimes du désastre du 10 octobre 1870. Témoignage de reconnaissance des familles Dresch et Le Vainville.


Vieilles statues de St-Gwénolé et de St-Fiacre, de N.-D. de Pitié et du Père Éternel.


e côté gauche de l'édifice est armé de meurtrières. Sur ce côté, au chevet, est un écu armorié sommé d'un casque ayant un chien comme cimier. Sur le côté droit, on voit deux niches et d'autres défenses.


Dans le cimetière sont des pierres œuvrées qui doivent provenir de la chapelle, et un assez joli calvaire. Devant l’église est un calvaire de N.-D. de Pitié et sur la route qui mène à St-Gwénolé on en trouve un autre avec le même sujet.





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Les deux pardons de l'église de St-Gwénolé, se tiennent le 1er dimanche de mai, et le 1er dimanche de septembre.


Le Port de St-Gwénolé s'ouvre au milieu de roches effrayantes. Il sert d'attache à une trentaine de chaloupes de pêche, mais par les gros temps, les chaloupes de Kérity, du Guilvinec et de Loctudy, qui ne peuvent doubler le Cap de Penmarc'h, viennent s'y réfugier. Je trouve dans l'Annuaire Officiel du Finistère, les renseignements suivants sur ce port : « Situé à l'extrémité de Penmarc'h, près l'anse de la Torche, est un port de pêche qui parait appelé à prendre une certaine extension. Il s'est formé sur ce point, depuis quelques années, une agglomération considérable. Le seul ouvrage qu'il contienne, est un môle grossièrement construit en pierres sèches,dont l'exhaussement a été terminé en 1884. On a exécuté à la même époque, un barrage en maçonnerie, destiné à fermer la dépression qui existait entre l’Île Conq et la terre ferme, et à protéger ainsi le port contre les vents du Nord-Est. Une station de sauvetage a été établie sur ce point en 1890. »



La Vigne à Penmarc'h.

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La Villa des Goélands.



De la chapelle de la Joie, nous avons aperçu, tranchant sur l'immensité compacte de la mer et du ciel, une silhouette carrée, qui de loin nous a laissé l'illusion de quelque formidable forteresse. Maintenant que nous sommes à ses pieds, la masse de cet édifice nous parait écrasante, ainsi placée sans préparation, dans un cadre aussi vaste que ce désert d'eau qui s'étale à perte de vue, que ce ciel qui y noie sa base, que cette Nature solitaire, troublante et effrayante de la pointe de Penmarc'h.


Cette habitation semble jetée là comme un défi à l'Océan.


Bien hardi, l'artiste, - on a déjà compris qu'un artiste seul, put avoir cette audace, - qui, à une curiosité naturelle en oppose une autre, humaine celle-ci, mais qui écrase et écrasera l'autre.


Le château des Goélands, villa à l’Italienne, des plus pittoresques, stupéfie par ses dispositions inusités.