QUATRIEME FÊTE DES CORMORANS : 5 et 6 AOUT 1923

Cette fête des Cormorans, quatrième du nom, fut de nouveau organisée par Jean-Julien Lemordant, dit "Le peintre aveugle" le 5 Août 1923.

Le thème, cette année-là fut « la lutte Bretonne ».

L'organisation des festivités fut peu différente de celle qu'il avait déjà organisé en 1922 : Concours de costumes, de danses et de binious arbitrés par des juges compétents ; jeux bretons, courses nautiques (régates, godille et avirons), ... Nouveauté : Rompant avec les traditionnelles Fêtes Folkloriques de T. Botrel, il y ajoute, selon son thème du jour, un tournoi de lutte Bretonnes.


Les articles ci-après reprenant souvent les mêmes informations, y ajoutent aussi des
précisions nouvelles...

(Article de « La dépêche de Brest » du 4 août 1923 )

P e n m a r c ' h .

Grande fête bretonne. — La grande fête bretonne de Penmarc'h aura lieu le dimanche 5 août 1923, sous la présidence d'honneur de M. Larnicol, maire, et la présidence de
M. Jean-Julien Lemordant, au profit des œuvres de bienfaisance de la commune.

Programme :

À 10 heures du matin, cortège breton : départ de Penmarc'h pour se rendre à Saint-Guénolé, en passant par Kérity, Saint-Pierre.
À 12 h. 80, repas breton sous une tente dressée près des rochers de Talifern. — Pendant le repas, concours de chants bretons.
À 14 heures, grandes luttes bretonnes, sur le Menez, entre les fameux champions de la Cornouaille.
Régates, 3 séries.
À 15 h. 30, concours de danses bretonnes (anciennes, modernes, fillettes et garçons).
À 16 heures, concours de costumes bretons (modernes, anciens, fillettes et garçons).
À 16 h. 30, concours de binious.
Tous les concours seront exclusivement réservés aux personnes et groupes de personnes ayant pris part au cortège.
À 17 heures, distribution des prix sur le Menez.
Petit marché d'objets et de produits bretons, ventes de dentelles et de broderies bretonnes.

Le soir, danses bretonnes sur le Ménez à la lueur des torches.

Lundi 6 août 1923, à Saint-Guénolé.

À 9 h. 30, concours de bateaux annexes. — À 10 h. 30, concours de natation. — À 11 heures, courses de canards dans le port.
À 14 heures, courses de bicyclettes (cantonale, internationale, consolation). — À 17 heures, courses à pied. — À 18 heures, course aux œufs. — À 18 h. 30, Jeux de casse pots sur la plage.
Pendant la Journée, danses populaires, avec binious et bombardes.

Chemins de fer départementaux. — L a compagnie des chemins de fer départementaux du Finistère a l'honneur d'informer le public qu'à l'occaslon des fêtes de Penmarc'h elle mettra en marche, le 5 août, les trains supplémentaires suivants :
— Aller : Pont-l'Abbé, départ 9 h. 20 ; Salnt-Guénolé, arrivée 10 h. 15.
— Retour: Saint-Guénolé, départ, 18 heures ; Pont-l'Abbé, arrivée 18h. 55. 

(Article de « La dépêche de Brest » du 7 août 1923 )


La renaissance de l'idéalisme breton
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La fête bretonne de Penmarc'h


Quel spectacle grandiose de la Bretagne, Lemordant offrit aux milliers de touristes venus, dimanche, à son pardon !

L'an dernier, dans ce pays de Saint-Guénolé et de Penmarc'h, où il a trouvé l'inspiration de son talent, Lemordant avait reconstitué une noce bretonne à travers les âges. Cette fois, c'est la fête en l'honneur de la lutte qu'on célébrée les poètes, et qui fut, pendant bien longtemps, le spectacle favori de nos ancêtres.
Des invitations ont été lancées aux lutteurs les plus renommés de la Cornouaille : à ceux de Rosporden, de Bannalec, de Pont-Aven et de Fouesnant : on n'a pas oublié ceux de Scaër et de Guiscriff.
Et voici le très simple programme de la fête :
Il y aura lutte sur le Menez, à Saint-Guénolé. Tout le pays ira recevoir les lutteurs à la gare de Penmarc'h. Un cortège déroulera sa joie dans le large espace des champs et des grèves. Un repas breton sera servi sur le Menez. Pendant la lutte des hommes, les femmes se promèneront sur la dune, dans leurs plus jolis atours, et on dansera.
Et c'est tout. Et ce fut le plus beau des pardons.


L'ancienne cité de Penmarc'h

Il y a quatre siècles, sur cette côte rocailleuse de Penmarc'h, déchirée par les vagues, s'élevait — nous rapportent les historiens — l'une des plus importantes cités de Bretagne. Ses habitants pouvaient armer sept cents bateaux de pèche et fournir trois mille archers.
Au 10e siècle, Penmarc'h a subit tous les désastres : un raz-de-marée détruisit son port, qui était le premier de France, pour la pèche de la morue, de la sardine et des gros poissons.
Le dernier coup lui fut porté par les guerres de la Ligne et le fameux brigand La Fontenelle, qui la mit au pillage et égorgea la plus grande partie de ses habitants.
Penmarc'h n'offre plus aujourd'hui, en dehors de ses constructions neuves, que des morceaux de villages. La « grande ville » est à présent ensevelie sous les flots.
« Par les temps clairs, dit-on, on voit, à travers les vagues, entre Guilvinec et Penmarc'h, de larges tables de pierre, qui sont les autels de la cité détruite. »



Le cortège à travers les dunes.


Onze heures. — Les lutteurs — une quarantaine — sont rassemblés sur la place de Penmarc'h et tous les plus beaux gars, toutes les plus jolies filles des pays de Quimper, Douarnenez, Pont-Croix, Pont-l'Abbé, Concarneau et Fouesnant sont venus, en Habits de fête, à leur rencontre.
Le cortège est formé. Au son des binious et bombardes, il se dirige lentement par les dunes, dans l'acre senteur de la mer, vers Saint-Guénolé.
Peintres, dessinaieurs et photographes sont, réunis près de la petite chapelle de Notre-Dame-de-la-Joie, où va se présenter, en dépit de la grisaille du ciel, l'une des plus jolies fresques de cette fête bretonne, conçue par Lemordant.


Le cortège à la Joie © Agence Rol


Le long et brillant cortège se détache là, merveilleusement, sur la plaine désolée.

Voici, en tête, le chef de file : Alain Nicolas, en bragou-braz1, le pen-baz2 à la main et derrière lui, un couple de vieux Bretons, dont Vincent Kerfriden, le « baz vanel »3, le « marieur » du pays, 84 ans, qui s'appuie sur son bâton de genêt.
Puis, vient un. ravissant groupe d'enfants et après, c'est le magnifique cortège de jeunes mariés, de paysans et de paysannes de la Cornouaille en costumes d'apparat.


Note KBCP :
(1) Bragou braz : bragoù bras ; de bragoù (culotte, pantalon) et bras (grand). "Penta-court" bouffant et large. 
(2) Pen baz : penn-bazh ; de penn (tête) et bazh (bâton ou gourdin) soit bâton à tête.
(3) Baz Vanel : bazh banel ; de bazh (bâton ou gourdin) et banel (genêt) soit bâton de genêt. Bâton sur lequel s'appuyait le marieur. Devenu par extension le nom des marieurs.

Alain Nicolas dit « Ton' Lann ar Person » (Tonton Alain le Curé) en bragoù bras 
et son penn bazh à la main © Agence Rol

Jolies et fortes brunes de Pont-l'Abbé et de Penmarc'h, à la face brillante de plaisir, sous le coquet bigouden de leur haute coiffe ajourée, attachée sur la joue par des brides dont les boucles frissonnent au vent.
Quimpéroises élégantes et gracieuses, dans leur corselet de velours noir, brodés d'arabesques d'or et de soie.
Rieuses filles de Pont-Aven et d'Elliant, au petit chapeau de velours garni d'un flot de « rozarès » écarlate de leurs coiffes ouvragées.

Filles de Pont-Aven © Agence Rol

Une vingtaine de cavaliers de Penmarc'h, au petit chapeau de velours, garni d'un flot de rubans, ferment la marche.
La foule est dense sur tout le parcours et aux abords de Saint-Guénolé. Les trains du matin ont amené des milliers de voyageurs ; les auto-cars des hôtels de Quimper, Bénodet, Concarneau, Douarnenez, Loctudy, Fouesnant, Tréboul, ont transporté des centaines de touristes ; de luxueuses voilures automobiles sont remisées sur les dunes.


Cavaliers de Penmarc'h © Agence Rol

Sur le Menez

Il est près d'une heure quand le cortège arrive sur le Menez.
Une gavotte est dansée au son des binious, puis chacun prend sa place sous les tentes, pour le repas breton.
Suivant l'usage, on sert d'abord le verre de « goutte » ; puis c'est la soupe, le bœuf bouilli, les tripes à la mode de Pont-l'Abbé et le bœuf au jus, le tout arrosé de l'excellent cidre du pays.
Lemordant, assis à un bout de table, perçoit toute la bonne et franche gaieté du festin. Il est entouré de ses nombreux amis et aussi de ceux qui l'aidèrent dans l'organisation de cette merveilleuse fête : Mlle Maure, MM. de Cadenet, Chapalain, Péron, Alain, (illisible).
Mais binious et bombardes rappellent pour la lutte.
La foule se presse autour des cordes d'un immense ring, pour assister aux combats auxquels vont se livrer tour à tour, pendant deux heures, les plus solides gas bretons.
Ils ont quitté leurs chaussures, mis bas veste et gilet et, revêtu la chemise de toile, serrée au corps, pour laisser moins de prise à l'adversaire.
Fiers et ardents, tous briguent I'honneur de vaincre.
Les bras enlacés autour du torse font plier les reins. Mais, pas un mouvement de colère, pas un geste défendu, pas une infraction aux règles de la lutte qu'arbitrent MM. Cornic et Quinquis de Quimper, et Flochlay de Plomelin.
 

Les luttes Bretonnes © Agence Rol

Tout à côté se déroulent les danses et le concours de costumes, devant un aéropage composé de : Mmes Pichavant, de pont-l'Abbé ; Tanneau, Criquet, Boinec de Saint-Guénolé ; Maure, de Penmarc'h ; MM. Nicolas, Marblez, Le Pen et Jégou.
Les groupes ondulent avec légèreté et grâce dans de grandes rondes, mêlées des jabadaos et des passe-pieds, ces jolis passe-pieds bretons, « auprès desquels, écrivait Mme de Sévigné, ceux de la cour font mal au coeur. »
Et quelle fête pour les yeux, dans le cadre de Saint-Guénolé, que ce fourmillement de couleurs vives et chatoyantes, de collerettes et de hennins !

Concours de costumes © Agence Rol

Le ciel, maintenant, est d'azur. Tout rayonne et reluit sur cette côte rougie, déchiquetée d'anses profondes, d'où surgissent partout des rochers noirs et menaçants. Une légère brise met sur la mer des frissons argentés, mais la baie est encerclée de blanches vagues se ruant avec furie.
Que nous sommes loin des fêtes et des kermesses bretonnes de nos villes ! Ici, pas de forains, pas de figurants, ni de travestis. Des Bretons en fête, dans l'un des plus beaux décors de la Bretagne.


Le triomphe de Lemordant

Cette journée, qui comptera dans tes annales bretonnes, fut un triomphe pour Lemordant. Et il se montra gai, heureux, bien qu'exténué de fatigue ; son noble visage trahît souvent une souffrance indicible.
Au bras de son guide, ou appuyé sur ses deux cannes, il fut partout, veillant à tout, réglant, les moindres détails, comme s'il voyait tout.
C'est qu'en effet, il vit dans les ténèbres.
Lémordant vient de réaliser son rêve : faire renaître l'idéalisme breton : reconstituer les vraies fêtes du peuple celles où il exprime sa joie et son inspiration : rendre au Breton le sentiment de sa dignité, organiser une fête digne de la Bretagne qui soit l'éducation de la sensibilité et l'élévation de la pensée.
La fête de Penmarc'h fut tout cela, et, pour les spectateurs, une succession de fresques animées, parmi les plus belles que le maître ait brossées.
Lemordant reçoit de toutes parts félicitations et encouragements. Parmi les amis qui l'entourent, nous notons au hasard : M. Le Bail, député du Finistère et Mme ; M. et Mme Bernard, de Brest ; M. Dolin, doyen de la Faculté des lettres de Rennes ; MM. Auguste Dupouy ; Saint-Pol-Roux ; Lelièvre, professeur à l'école des Beaux-arts de Rennes...
Nous nous approchons du maître pour le complimenter à notre tour :
« Je veux, nous dit-il, renouveler la tradition, éduquer ces populations qui me font confiance, et je viens à l'instant même d'en être ré-compensé. C'est un « merci » qu'un vieux du pays m'adressait tout à l'heure. Dans son serrement de mains, j'ai senti que des larmes coulaient. Et ce « merci », croyez-le bien, m'est allé droit au cœur.

« Jusqu'au bout, je poursuivrai mon rôle : préparer la joie des autres, créer un peu de beauté. »


(Article de « L' Union Agricole et maritime» du 18 août 1923)

Fête bretonne. — La grande fête bretonne que nous avons annoncée, eut lieu Dimanche 5, au milieu d'un grand concours de peuple. On y remarquait autour de MM. Lemordant et Larnicol, maire de Penmarc'h, un groupe d'artistes et d'écrivains tels que le barde Gourvil ; Auguste Dupouy ; Dottin, doyen de la Faculté des Lettres de Rennes ; François Menez, l'auteur de l'Envoûté etc..., etc... Le clou de la fête fut un cortège de costumes bretons qui se forma à la gare de Penmarc'h, pour se rendre au bourg, où à deux pas de l'Océan, Mme Le Pape, de Kérity, experte dans les « meuziou diwar ar maëz »1  servit des terrines de soupe aux choux, des platées de tripes, et des montagnes de kig-bevin2, arrosées d'un déluge de jus. Le tout fut trouvé parfait et l'on ne sait ce que Lemordant eut jugé de plus réussi, du chatoiement des costumes, du flamboiement des feux sous les marmites, ou de l'appétit des convives.

Francis Gourvil

Des concours divers eurent lieu, dans le courant de l'après-midi, la lutte traditionnelle, les danses bretonnes, le concours de binious et celui des costumes. Parmi les lauréats des luttes, nous relevons les noms de Daëron, de Scaër et Le Bec, de Bannalec, (poids lourds) ; de Huon, de Bannalec (poids léger). Les binious se sont ainsi classés : Salaün (Bannalec), 2e ex-œquo, Le Goff (Scaer); Guéguen (Plozévet).
Les visiteurs ont afflué, dans l'après-midi, au Musée préhistorique dirigé par le Commandant Benard, musée en passe de devenir l'une des stations les plus importantes de la préhistoire occidentale.

Note KBCP :
(1) Meuziou diwar ar maëz : Mets de la campagne
(2) Kig bevin : Viande de bœuf

(Article du journal  « Le Petit Journal illustré » du 19 Août 1923)

Pour la vieille Bretagne


C'est une admirable fête que celle des Cormorans. Elle se déroule chaque année, à Penmarc'h, dans le plus aride Finistère.

Une lande rocheuse, qui s'étend à perte de vue, et que domine, à gauche, le grand phare moderne d'Eckmühl. Ici, même par temps calme, la mer est cruelle. Elle a, lorsqu'elle se fâche, des colères fatales. Inlassable, elle monte à l'assaut des roches monstrueuses de Saint-Guénolé.

C'est le pays du peintre Lemordant. Aveugle de guerre, grand blessé, il n'a point perdu la foi. Il est l'âme de la fête des Cormorans. Impuissant désormais à fixer sur la toile cette Bretagne qu'il chérit tant, il a résolu d'y faire revivre les vieilles traditions d'autrefois. Par la force de son amour, il a su réveiller l'amour du beau en ces cœurs bretons.

Il faut entendre Lemordant parler de son œuvre. Il a consacré à sa tâche régionaliste son temps et son admirable activité.

— Le mauvais goût, dit-il, est le pire ennemi de l'art. Un pays qui a le goût médiocre ou vicié perd, jusque dans ses plus hautes sphères, son art. C'est pour cela que la France — qui doit tant à ses artistes — doit se défendre. Voilà pourquoi mon effort, notre effort, dépasse de beaucoup une petite fête régionale bien réglée. Nous avons un but. Il faudrait que dans le France entière, renaisse l'amour des costumes d'autrefois, de l'élégance de jadis. Par ce moyen, le peuple reviendrait à une plus heureuse connaissance du beau. Et ainsi le pays le plus artiste du monde conserverait la place prépondérante qu'il est en train de perdre.

Cette œuvre considérable, c'est en Bretagne, à Penmarc'h qu'elle est née. Lemordant rêve de l'étendre à la France entière. Sans doute y parviendra-t-il car rien ne résiste à sa conviction profonde, à son merveilleux enthousiasme.

La fête des Cormorans est une grande manifestation d'art. Pas de figurants, ni de mise en scène : des Bretons, portant des costumes du pays, ceux d'autrefois pieusement conservés à travers les générations, et ceux d'aujourd'hui.

Le défilé, partant du bourg de Penmarch, a gagné la côte, aux environs du phare d'Eckmühl. En tête, voici les enfants et les vieillards. Puis les costumes d'autrefois, aux broderies rares. Derrière, à cheval, les gardiens de la tradition équestre, montant sans selle, sur une couverture.

À la fête des Cormorans, à Penmarc'h, comme à toutes les fêtes du
terroir breton on voit réapparaître les vieux costumes d'autrefois

Ce fut un merveilleux spectacle que l'arrivée du cortège à la petite chapelle de la Joie, tout au bord de l'océan, sur la route de Saint-Guénolé. Un chatoiement de couleurs vives dans cette nature surnaturelle, un coup d'œil quasi irréel.

Lemordant était là. Par la force de son imagination, par le récit des amis qui l'entouraient, le grand artiste voyait, recréait son rêve réalisé.

Puis l'on gagne Saint-Guénolé. Sur le Menez, plateau aride, des tentes étaient dressées. Avec le cortège, nous prîmes part à un repas de noces breton : soupe au pain , bouillie et tripes. Lemordant avait exigé que les costumes fussent réunis sous des tentes spéciales et l'on put voir ce spectacle inouï d'un déjeuner de mariage bigouden au XVIIIe siècle. A un bout de table, un très vieux pêcheur chantait une complainte.

Et tous étaient magnifiquement convaincus de l'importance de leur rôle. Ils portaient leur costume avec amour. Le grand ami de la Bretagne a atteint le premier résultat, poursuivi à travers cinq années d'effort. Il a touché les âmes bretonnes. Il les a rendues amoureuses de leur belle tradition. Il a redonné le faste à cette race, cruellement menacée par le mauvais goût, par la foire et le tourisme.

Luttes bretonnes, concours de danses au son du biniou occupèrent l'après-midi.

Le soir venu, les nombreux curieux accourus de toutes parts, en automobile, repartirent. Le plus beau tableau était réservé à quelques privilégiés. Sur la roche aride, tandis que le son aigre du biniou couvrait péniblement le bruit majestueux de la mer montante, coupé parfois par le grondement d'une lame de fond, les bigoudens dansèrent à la lueur des torches, la gavote, la dérobée, le fabadas, le pas bíhen et les stoupiks.

Et comme je m'extasiais devant cet inoubliable spectacle, Lemordant me prit le bras.

— N'est-ce pas, me dit-il, que c'est beau, que c'est beau ! Notre Bretagne ! Tenez, j'ai souvenir d'un des derniers pardons que j'aie vu, avant la guerre. C'était du côté d'Audierne qu'avait eu lieu la fête. Je m'étais attardé, et je revint la nuit, à pied par la côte. Il faisait clair de lune. La lande nue s'étendait devant moi, sous la lumière irréelle. Rien, à perte de vue, que, de loin en loin, la tache bleue d'une maison tapie dans le creux d'un rocher. Et puis, l'immense océan...

Et désespérément, le grand aveugle ferme les yeux pour revoir le spectacle féerique...

Le biniou s'est tu. Les torches s'éteignent. Il faut partir. Il faut s'éveiller de ce rêve que réalisa, pour une journée, la volonté impérieuse d'un grand artiste.

 Jacques CHABANNES


Les images ci-après sont tirées de journaux ou de revues imprimées par procédé offset, ce qui explique leur qualité passable.

JJ Lemordant et son guide
© Le Monde Illustré


Kérity-Devant Ste Thumette © Le Monde Illustré


Ton' Lann se prépare pour le défilé © Le Monde Illustré

Le défilé © Le Monde Illustré


Quelques enfants du cortège © Le Monde Illustré

Les danses © Photo Rol - La Revue Française


Gravure tirée du journal « Le Pélerin » N°2422 du 23 Août 1923

Vous trouverez ci-après mon album de 15 documents.


Album des Cormorans 1923