Église Hospitalière Saint Jean de Kérity


Présence des Hospitaliers à Kérity

Un peu plus loin, Amédée Guillotin de Corson nous indique :

« Le commandeur de Quimper jouissait également du membre de Penmarc'h et avait en cette paroisse la chapelle Saint-Jean de Kérity ; cet édifice, aujourd'hui ruiné, présente encore sa tour massive accolée d'une tourelle. On y voyait jadis un précieux retable en albâtre sculpté et doré, et une statue de saint Jean aussi en albâtre ; ces oeuvres d'art, heureusement conservées, ont été transférées de nos jours en des églises voisines. Le commandeur levait toujours quelques oblations à Kérity en 1697, mais à cette époque, la plupart des rentes dues à Penmarc'h étaient perdues. »


Le Chevalier de Fréminville dans son ouvrage "Antiquités du Finistère" (1835), nous dit :


« Église des Templiers de Kérity.

L'église de Kérity , beaucoup plus ancienne que celle de Penmarc'h, doit son édification aux chevaliers du Temple. A l'élancement de ses ogives, et à leurs belles proportions, on doit reconnaître que cet édifice date de la fin du 13e siècle, époque où l'architecture gothique-arabe avait atteint l'apogée de sa perfection. Mais à la masse pesante de la tour carrée qui surmonte le portail, à la tourelle ronde servant de guérite de vedette, que l'on voit à son sommet, on reconnaît le style presque constamment observé dans les établissements des Templiers, monuments demi-religieux et demi-militaires, moitié églises, moitié forteresses.

L'intérieur de cette église , maintenant en ruines, n'a qu'un seul bas côté , particularité qui semble avoir été observée dans toutes les églises des Templiers1 , ou du moins dans le plus grand nombre, sans qu'on ait pu en expliquer le motif. Des personnes qui ont vu celle-ci dans son entier, m'ont dit qu'elle était décorée avec beaucoup de luxe. On y voyait beaucoup de statues en albâtre oriental ; il n'en subsiste plus qu'une, qui représente Saint-Jean, patron de l'ordre du Temple2. On l'a transportée dans l'église de Penmarc'h , où je l'ai vue récemment.

Le maître-autel était aussi d'albâtre, orné de bas-reliefs gothiques, sculptés avec beaucoup de délicatesse, et dorés ; quelques fragments de ces bas-reliefs sont aujourd'hui jetés négligemment dans un coin de l'église de Saint-Pierre ; on pourrait les faire rentrer dans la restauration de l'église dont ils proviennent, et qui, à ce qu'on assure, va être réparée et restituée au culte.

Après l'expulsion des chevaliers du Temple de Kérity, leur église fut donnée à la paroisse, sous l'invocation de
Sainte-Thumete. Sainte-Thumete, dont il serait curieux de connaître la légende, est encore du nombre de ces saintes et saints inconnus dont fourmille la Basse-Bretagne, et dont la cour de Rome n'a jamais soupçonné l'existence, et ignore même le nom. »


(1) Affirmation gratuite... Les églises et temples "Templiers" (au sens large déjà évoqué) n'ont pas d'architecture particulière, si ce n'est leur simplicité "monastique".
(2) La statue de St Jean a été envoyée à l'Église St Nona du Bourg en même temps que celles  de saint Georges et  Sainte Thumette. ( Recteur Quiniou)
Cette statue a été, en 1868, échangée par Mgr Sergent, contre les statues et socles de St Corentin et de la Sainte Vierge (à l'entrée du Chœur, à Penmarc'h) et placée à la Cathédrale de Quimper dans la chapelle des Fonds baptismaux. Cette statue a de la valeur. L'échange n'est pas en faveur de Penmarc'h !  (Recteur Le Coz)


Premières impressions

Par son allure générale, l'église Ste Thumette semble fort ancienne, plutôt du moyen-âge "central" que de la fin du "bas" moyen-âge, comme les églises St Guénolé et St Nona. Style Ogival et Roman s'y côtoient.
La structure de l'église est renforcée par de nombreux contreforts disgracieux et massifs : Cette construction inspire la robustesse. Son style est militaire : Deux tourelles avec fenêtres de guet et meurtrières. Un chemin de ronde1 côté Sud est accessible depuis une porte de la Tourelle Sud. Une seconde porte surplombe la porte Sud, comme pour protéger son accès.
(1) Ce chemin de ronde faisait-il initialement le tour de l'église ou bien seul le côté mer était-il surveillé ? Sinon, le fort de Kérouzy était-il considéré comme suffisant pour protéger l'église sur son côté Nord ?



Architecture de l'Église Ste Thumette de Kérity

Les indices architecturaux devraient pouvoir nous en dire plus sur la date d'édification de l'Église de Kérity.

Les observations suivantes sont effectuées à partir de l'état actuel d'une église ruinée puis restaurée. La restauration a pu s'éloigner parfois de l'état de construction originale, a pu en effacer, éliminer ou interprêter certaines caractéristiques importantes.

Les réflexions et déductions avancées ci-après seront tirées des informations contenues dans le «Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle» de Eugène Violet-Le-Duc (°1814 à Paris, †1879 à Lausanne), fameux architecte Français, renommé pour ses restaurations exemplaires de monuments du patrimoine médiéval, de chateaux et d'édifices religieux.


Eugène Violet Leduc (Photo Nadar)


Plan de l'Église Ste Thumette de Kérity


«Ces églises n’étaient point voûtées, mais couvertes par des charpentes apparentes. Nous voyons cette tradition persister jusque vers le commencement du XIIe siècle. Les nefs continuent à être lambrissées ; les sanctuaires seuls, carrés généralement, sont petits et voûtés. Les transsepts apparaissent rarement ; mais, quand ils existent, ils sont très-prononcés, débordant les nefs de toute leur largeur.»
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)

L'Église Ste Thumette est actuellement lambrissée. Mais l'était-elle à sa construction ? Les charpentes n'étaient-elles pas apparentes ? 


Définition de Transsept : (croisée). Mot dérivé du latin, de trans et sepire, enclore au delà. En effet, dans les basiliques primitives et dans les anciennes églises conventuelles, la clôture du chœur est placée dans le transsept, l’abside étant réservée au sanctuaire. 
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)

Le plan de l'Église Ste Thumette est de structure basilicale (sans transsept) comprenant un seul colatéral.

 

Plan basilical avec Transsept
--> En forme de Croix

Plan basilical avec colatéraux

Plan de l'Église de Kérity


Arcs de l'Église Ste Thumette de Kérity

Définition : C’est le nom que l’on donne à tout assemblage de pierre, de moellon, ou de brique, destiné à franchir un espace plus ou moins grand au moyen d’une courbe.
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)


Jusqu’à la fin du XIe siècle, l’arc plein cintre avec ses variétés est seul employé dans les constructions, sauf quelques rares exceptions. C’est pendant le XIIe siècle que l’arc formé de deux portions de cercle (et que nous désignerons sous le nom d’arc en tiers-point, conformément à la dénomination admise pendant les XVe et XVIe siècles), est adopté successivement dans les provinces de France et dans tout l’Occident.
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)



On observe ces deux types d'arcs dans l'Église de Kérity. Peut-être l'Église fait-elle partie des exceptions mentionnées par M. Violet-Le-Duc ou bien a-t-elle été construite à la croisée des XI et XIIèmes siècles ? 

Ou bien a-t-elle fait l'objet d'une rénovation quelque temps après sa construction ?

On remarque aussi que les arcs de Ste Thumette ne comportent pas de clefs de voûte.


Ruines de la chapelle Sainte Thumette - Arcs © Andrieu

Or, au XIIème siècle, on ne connaît pas encore le progrès technologique des clefs de voûte.

La technologie utilisée pour la construction des arcs de l'église de Kérity nous incite donc à situer la construction de cette église au XIème (voire XIIème) siècle.


Archivoltes de l'Église Ste Thumette de Kérity

Définition : Ce sont les arcs qui sont bandés sur les piles des nefs ou des cloîtres, sur les pieds droits des portails, des porches, des portes ou des fenêtres, et qui supportent la charge des murs. Les archivoltes, pendant la période romane jusqu’au XIIe siècle sont plein cintre, quelquefois surhaussées, très-rarement en fer à cheval. Elles adoptent la courbe brisée dite en tiers-point dès le commencement du XIIe siècle...
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)

On voit qu'au XIIème siècle, les architectures romanes et gothiques se côtoient. On trouve dans certains edifices religieux une architecture de style mixte roman et gothique avec parfois quelques influences de l’architecture byzantine. Les arcs en plein cintre et les arcs en tiers-points le l'Église de Kérity sont à archivolte.


Église Ste Thumette - Archivolte d'arc plein cintre © JL Guégaden

Église Ste Thumette - Archivolte d'arc tiers-point © JL Guégaden

On observe des archivoltes dans l'Église de Kérity. Aux XI et XIIèmes siècles, on construit des archivoltes plein cintre, et aussi des archivoltes tiers-point pendant le XIIème siècle.


Ces informations nous insitent à situer la construction de cette église au cours du XIIème siècle.


Piliers de l'Église Ste Thumette de Kérity

Définition : Support vertical de pierre isolé, destiné à porter les charpentes ou les voûtes des édifices.

« Beaucoup de monuments des Xe et XIe siècles ont conservé des piliers dans la construction desquels on observe les tâtonnements, les essais des constructeurs, rarement satisfaits du résultat obtenu ; car ces piliers étaient non-seulement disgracieux, mal reliés aux parties supérieures, mais encore ils prenaient une place considérable, encombraient les intérieurs et gênaient la circulation. Aussi n’est-il pas rare alors de voir dans un même édifice des piliers bâtis en même temps affectant des formes différentes, comme si les architectes dussent les essayer toutes, dans l’impossibilité où ils se trouvaient d’en trouver une qui pût les contenter. Pendant le XIe siècle nous voyons employer simultanément les piliers à section carrée, carrée avec arêtes abattues, circulaire, lobée, carrée cantonnée de demi-cercles, barlongue, circulaire, entourée d’une série de sections de cercle, etc. ; mais rien n’est arrêté, rien n’est définitif, aucun système ne prévaut. »
(Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle par Eugène Violet Leduc)


On rencontre deux types de piliers dans l'Église de Sainte Thumette : Pilier cylindriques à colonnette et piliers carrés à arêtes rabattues avec ou sans colonnettes (C). Les colonnettes du pilier (A) sont plus nombreuses, car supportant aussi la voûte de la nef, disparue.

 

Section des piliers (d'Ouest en Est)

Arcs et piliers © ND Phot

Arcs et piliers © ND Phot

Le manque d'unité dans le style des piliers nous insite à situer la construction de cette église au XIème siècle.


Portails et porte

L'église ne comporte deux portails et une porte : Un portail à l'Ouest (celle de la façade) et l'autre au Sud et une porte au Nord 


Portail Ouest : Certains affirment que l'église Ste Thumette a été construite dans la même période que l'église St Guénolé (ou Tour Carrée 1488) et que l'église St Nona du Bourg (1508), soit pendant la période faste de Penmarc'h.
La caractéristique des portails de ces deux dernières églises, c'est la présence de nombre de bas reliefs représentant des navires et des poissons, symbole de la richesse des habitants de l'époque. Alors pourquoi, si les trois anciennes églises de Penmarc'h ont bien été construites à la même époque (vers 1500), le portail de l'église Ste Thumette ne comporte aucun symbole de cette réussite commerciale, poisson ou bateau, à l'instar des deux autres, si ce n'est le bas relief d'un "seul misérable" poisson, bien caché sur la face Nord du contre-fort Nord du portail ?



Encore un indice qui nous permet de penser que l'église Ste Thumette ne date pas de la fin du XVème / début du XVIème siècle.

Le portail de Ste Thumette est orné de 8 niches abritant des statues, de chaque côté de la porte, dans les deux piliers et dans le tympan au dessus de la porte. La façade supporte quelques figures et bas-reliefs. Les pieds-droits sont en ébrasement. Les voussures sont en tiers-points, mis en oeuvre dès le XIIème siècle. 
 
C'est un portail gothique d'un style se rapprochant du style gothique Italien précoce (début XIIème siècle).


Portail (Ouest) © JL Guegaden


Glossaire en image

Portail Sud : Le portail Sud est de style Roman1 avec pied-droits en ébrasement.
Vu la disposition des pierres insérées dans les contreforts gauche et droit, il semble que ce portail ait été un porche lors de la construction de l'église (voir photo-montage).


Portail Sud © JL Guegaden

Photo-montage © JL Guégaden

Porte Nord © JL Guegaden



Porte Nord : La porte Nord est toute simple1, avec linteau en accolade.











(1) À l'intérieur des églises d'Occident, les fidèles étaient traditionnellement répartis des deux côtés de la nef : les hommes au sud (à droite en regardant vers l'autel) et les femmes au nord : Les églises comportaient alors une porte Nord pour les Femmes, une porte Sud pour les Hommes.

Fenêtres - Vitraux

Vitrail du colatéral (Nord-Ouest) © JL Guegaden

Vitrail du colatéral (Nord-Centre) © JL Guegaden

Vitrail du colatéral (Nord-Est) © JL Guegaden

Vitrail du colatéral (Sud) © JL Guegaden

Vitraux du Coeur (Est) © JL Guegaden

Vitrail de la Nef (Sud-Est) © JL Guégaden

Vitrail de la Nef (Sud-Centre) © JL Guégaden

Vitrail de la Nef (Sud-Ouest) © JL Guégaden

Dans le Colatéral, on remarque que la fenêtre centrale a gardé son remplage (Réseau de pierre garnissant l'intérieur de la fenêtre) et son meneau, simples, sans fioritures, tandis que la fenêtre Sud en garde des vestiges. Il en va de même pour la fenêtre centrale de la Nef côté Sud. Ces fenêtres sont de style Gothique primitif (XIIème siècle). En 2017, ces nouveaux vitraux ont remplacé les vitraux de la rénovation de 1950, en verre martelé de couleur.  


Tourelles et chemin de ronde

Tourelle Sud © JL Guegaden


L'église comportait deux tourelles ou clochetons, suivant que l'on utilise une terminaison militaire ou religieuse.

Le terme tourelle semble plus adapté, car on y remarque des fenêtres de guet et une meutrière.

Côté Est de la tourelle, une première porte surplombe la porte d'entrée Sud, en bonne position pour harceler des assaillants qui voudraient defoncer la porte. 

Au-dessus, on trouve une autre porte donnant accès sur un chemin de ronde tourné vers le danger, vers la mer (Sud).

Peut-être qu'originellement le chemin de ronde faisait le tour de l'église ? (Voir l'hypothèse plus bas)

Ou bien la protection par Kérouzy, au Nord, était-elle suffisante ?

La tourelle Nord reconvertie en clocheton est tombée en 1808, entraînant avec elle la cloche qui fut envoyée à la Chapelle Notre-Dame-de-la-Joie.

Y avait-il un clocher entre les deux tourelles ? Rien aujourd'hui ne permet de l'affirmer.    

La porte et son chemin de ronde © JL Guégaden

Mur séparant nef et colatéral © JL Guégaden

Schéma-hypothèse

Ste Thumette © Villard


En observant le mur vouté séparant nef et colatéral, on y remarque, côté colatéral, des pierres enchassées (D).

Ces pierres auraient pu concourir à supporter le toit du colatéral visant à créer, comme au côté Sud, un chemin de ronde.


Photo-montage : Ste Thumette telle qu'elle a pu être © JL Guégaden


Photo-montage : Autre version © JL Guégaden

Conclusion

Tous ces faisceaux d'indices architecturaux convergeraient vers une date de construction de la chapelle St Jean de Kérity située au début XIIème siècle. Son style mixte, roman-gothique a été adapté par les "Templiers" pour réaliser l'édification de cette chapelle à vocation militaire.

La revendication de la propriété de la chapelle St Jean de Kérity par l'Ordre des Hospitaliers de St Jean de Jérusalem, créé en 1113, est donc cohérente avec la date probable de la construction de la chapelle et le contenu de la charte de Conan IV de "1160". Elle devient église Ste Thumette probablement au début du XIVème siècle