1915 : Le meurtre de Marie Le Lay (suite 1)
                                         Le procès.

Palais de justice de Quimper ©

Journal le courrier du finistère, article du 30 octobre 1925

ASSISES DU FINISTERE

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Un sauveteur devenu meurtrier


Bernard Le Floc'h, 47 ans, est un brave marin pêcheur de Penmarc'h qui a opéré 15 sauvetages au cours desquels il arracha à la mort 62 personnes. Mais hélas ! comme trop de pêcheurs, il avait la mauvaise habitude de boire ; et c'est un peu ce qui l'amène sur les bancs des criminels.

Marie Boënnec, femme Le Lay, de Penmarc'h, avait été victime, à une époque éloignée, d'un vol dont elle accusait la femme Le Floc'h d'être l'auteur. De là était né entre les deux familles une mésintelligence qui se traduisait par de fréquentes querelles.

Dans l'après-midi du 29 juillet 1915, vers quatre heures, Bernard Le Floc'h et la femme Le Lay se rencontrèrent sur la route de Penmarc'h, à peu de distance du phare d'Eckmühl. Après avoir échangé avec cette femme des propos dont les témoins n'ont pu saisir le sens, Le Floc'h sortit de sa poche un couteau qu'il avait acheté le matin même, et l'ouvrit.

Route de Saint-Pierre à Penmarc'h vue du phare © Neurdein

Un témoin eut, à ce moment, l'impression du danger que courrait la femme Le Lay et lui cria de se retirer. Celle-ci franchit alors un petit mur en pierres, qui borde la route, et se sauva à travers champs. Le Floc'h, jetant ses sabots, la poursuivit, son arme à la main. À peine avait-elle parcouru quelques mètres, que la femme s'arrêta et fit face à son agresseur. Celui-ci lui plongea alors son couteau, à trois reprises, dans la région du cœur. Sans pousser un cri, la femme Le Lay fléchit sur ses genoux, puis tomba à la renverse.

Le Floc'h ferma son couteau, le mit dans sa poche et se redit à Penmarc'h où il se constitua prisonnier.

La victime expirait dix minutes après avoir été frappée, sans avoir pu prononcer une parole.

Déjà condamné à 8 jours d'emprisonnement pour coups et blessures, le sauveteur a été condamné lundi, à deux ans de prison et à 2.000 fr. de dommages-intérêts à la partie civile. 
 

Journal Le Finistère, article du 30 octobre 1925 

ÉCHOS DU PALAIS
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Cour d’Assises du Finistère
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4ème Session de 1915

Présidence de M, le Conseiller Cordier,
assesseurs MM. Grimaud et A. Alavoine.

Lundi 25 octobre.
1ère affaire — Le Floc’h, Bernard,
Homicide volontaire.


Nous avons pu nous croire pour un moment aux Assises d’Ajaccio.

L’accusé Le Floc’h, 58 ans, marin-pécheur à Penmarc'h, a une magnifique tête de bandit corse, de ces honnêtes bandits qui vous tuent un homme comme un lapin, mais à qui vous pouvez confier en toute sécurité votre porte-feuille. C’est un bel homme aux traits réguliers, à la barbe magnifique, qui devrait s'appeler Bellacosoia.

Il s’agit même d'une affaire de vendetta.

Mats là s’arrête la ressemblance, le pays de Penmarc’h n’étant pas renommé pour l'abondance et la richesse de ses maquis.

Donc, depuis quinze ans les familles Le Lay et le Floc’h étaient en mésintelligence. La femme Le Lay avait accusé la femme Le Floc’h de lui avoir volé 480 francs. On était allé en justice et la femme Le Lay avait été déboutée. Mais elle ne s'était pas tenue pour battue ; elle jura de se faire justice elle-même, et toutes les fois qu’elle rencontrait Le Floc'h ou sa femme, elle leur jetait à la figure les pires invectives. Tout le vocabulaire de la langue bretonne y passait. Bousculades, rixes. Cela devait mal finir.

Le 29 Juillet dernier, la femme Le Lay rencontre tout prés du phare d'Eckmühl, le sieur le Floc’h, qui, revenant de vendre son poisson, avait bu deux ou trois verres de trop. Des certificats lus par le défenseur assurent que d'ordinaire Le Floc’h avait le vin gai. La femme Le Lay eut tort de s’y fier. Elle recommença ses litanies. Par malheur Le Floc'h était de méchante humeur. Par malheur aussi il avait acheté le matin un couteau de poche tout neuf et le tenait à la main.

— Prends garde, crièrent des femmes1 qui assistaient de loin à la scène ! Prends garde, il a son couteau ! Sauve-toi !

La femme Le Lay enjamba un petit mur et sauta dans un champ. Le Floc’h quitta ses sabots et courut après elle. Au lieu de continuer sa course, elle se retourna subitement pour lancer une dernière injure. Le Floc’h vit rouge et, presque inconsciemment, lui plongea à quatre reprises son couteau dans le cœur. La mort fut instantanée.

Le Floc'h ferma son couteau, le mit dans sa poche et alla à Penmarc'h se constituer prisonnier.

Son attitude à l’audience est excellente. Il semble profondément peiné de son acte dont il ne se rappelle même plus les détails. Les renseignements fournis sur lui sont bons. Depuis l'âge de 12 ans, où il opérait son premier sauvetage, il a arraché à la mort 62 personnes. Il est titulaire d'un diplôme de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés.

Les témoins n'apportent aucun fait nouveau. Ce sont pour la plupart des Bigoudènes fort avenantes qui pour venir déposer devant les juges ont arboré le grand pavois. A noter la déposition du médecin légiste qui a fait l'autopsie et à trouvé à la femme Le Lay un foie d'alcoolique tel que, même sans l'intervention de Le Floc'h, elle n'eut pu vivre longtemps.

Toujours l'alcool, l'alcool maudit, père de tous les crimes, qui transforme un brave homme en meurtrier !

Me du Rusquec, répondant à la fois au ministère public et à la partie civile, qui, par l'organe incisif de Me Delaporte, assisté de Me Morel, avoué, réclamait 10.000 francs de dommages-intérêts, défendit Le Floc'h avec une véritable éloquence. Grâce à lui, l'accusé qui risquait les travaux forcés à perpétuité, s'en tire avec deux ans de prison.

La partie civile obtient 2.000 francs.

le plus triste de l'affaire, c'est que la victime a six enfants et le condamné sept.


Note KBCP :

(1) Marie-Louise Dupuy (dentellière) et Catherine Loussouarn (commerçante)