Les Bigoudens De Pont-L'Abbé 
Et Les Pêcheurs De Penmarc'h Et De La Baie D'Audierne (Suite)

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Ici s'arrête la deuxième excursion. Les personnes désireuses de suivre la côte, devront l'entreprendre à pied, les routes n'étant pas carrossables. L'ordre que je suis dans la. classification des principaux monuments, est plutôt celui de leur orientation. Il est nécessaire de se reporter à l'avenir à la table indicatrice, surtout si l'on ne se rend directement aux lieux indiqués.

D'après les traditions, le Manoir de Kerberbvé, entre Saint Gwénolé et la Torche, était habité par des seigneurs si riches, qu'ils tapissaient en soie, le chemin parcouru par la procession. 

En continuant de longer la côte, on arrive à un monticule assez élevé. Des rochers pittoresques donnent à cet ancien



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tumulus, un aspect assez gai. La mer en se précipitant dans ce creux, forme un bruit sourd qui s'entend fort loin les jours de tempête, ce qui a donné naissance au proverbe :

« Lorsque mugit la Torche de Penmarc'h, terriens faites le signe de la Croix, pour les marins en danger de mort.»

Quelques auteurs disent que la Torche est ainsi nommée parce qu'elle a la forme d'un coussin, Torchen. Ils se trompent doublement en affirmant cette étymologie dérivée du breton. Le nom de pointe de la Torche a été donné à cette partie du littoral, parce que c'est sur la côte comprise de St Gwénolé à cette pointe, qu'opéraient les naufrageurs, qui piquaient une torche enduite de résine entre les cornes d'une vache, pour attirer les navires à la côte. De là, ce nom.


La Chapelle de la Magdeleine


Un peu dans les terres, à droite, est la chapelle de la Magdeleine, qui, comme celle du même nom, à Pont-l'Abbé, fut une léproserie. Elle fut construite en sa partie occidentale, au commencement du XIIIe siècle, et dédiée à saint Etienne ; agrandie à la suite d'un vœu, en sa partie orientale, au XVIe siècle, elle fut mise sous l'invocation de Marie-Magdeleine. Avant la Révolution, elle dépendait de Plomeur, mais elle a été depuis rattachée à Penmarc'h. Son clocher à jour est terminé par une flèche gracieuse. On y accède par des escaliers extérieurs. Le côté gauche de cette chapelle offre deux verrières d'un joli dessin, dont l'une enchâssée dans un fronton orné de crosses et terminé par un riche fleuron. Les meneaux de la grande verrière forment des cœurs presque rayonnants, se divisant en quatre grandes baies.

Il s'y tient un pardon le dimanche suivant le 21 juillet et il s'y dit des grand' messes le 24 juin et le 26 décembre, qui donnent lieu à des pèlerinages.



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Sainte Madeleine est invoquée en Bretagne, ainsi que Saint-Lazare dans le Poitou, par les personnes atteintes de maladies de la peau, et quelquefois pour les maladies d'yeux. Les eaux de la fontaine sont employées en ablutions et en instillations suivant les cas.


Voici ce que M. du Châtellier dit à propos des curiosités archéologiques de cette région :


« Le moulin à vent, à 300 mètres au nord-ouest de la chapelle de la Madeleine, est au centre d'un cromlec'h, aujourd'hui fort endommagé, duquel partent des alignements de petits menhirs qui viennent aboutir sur le terrain de la commune de Plomeur, entre le dolmen de Lestrigniou et le dolmen qui en est à 400 mètres dans l'Est. Ces alignements sont communément appelés alignements de Lestrigniou.


« Ce sont les plus beaux qui aient existé dans le Finistère. Ils n'ont certainement pas l'importance de ceux de Carnac ; mais ils présentent encore, sur une étendue d'un kilomètre environ, quatre rangs de pierres debout alignées, courant de l'ouest à l'est, formant trois allées, dont celle du milieu mesure 12 mètres, tandis que les deux autres, un peu moins larges, ne mesurent que 8 et 9 mètres.


« Situé au- milieu de champs cultivés, le monument de Lestrigniou, moins heureux que celui de Carnac, placé dans des plaines incultes, est journellement mutilé ; malgré tout, il comptait encore, il y a peu d'années, près de deux cents monolithes debout, dont les plus grands avaient 3 mètres à 3 mètres 50 au-dessus du sol.


« Ces pierres, pas plus que celles de Carnac n'ont subi aucune taille. Placées dans les rangs dont elles font partie, à la distance de 5, 6 et 8 mètres les unes des autres, il est difficile de dire si ces inégalités de distance sont dues à la disparition d'un certain nombre de monolithes.


« Quoi qu'il en soit, considérant que les restes de ce monument, encore en place, occupent une étendue d'environ un kilomètre, on peut dire, sans crainte d'erreur, qu'il y eût au moins, autrefois, cent seize pierres par alignement, soit en tout pour les quatre alignements, six à sept cents monolithes.


« Si le monument de Carnac fut une belle cathédrale, celui de Lestrigniou, entre Plomeur et Penmarc'h, fut sans



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contredit, une belle église. Mais qui pourra dire si ces monuments rappellent un souvenir religieux ou militaire, ou s'ils furent une commémoration funéraire?


Notons toutefois qu'à Lestrigniou comme à Carnac, nos alignements aboutissent à l'extrémité ouest, à un cromlec'h, et qu'à l'extrémité est, ils sont bordés à droite et à gauche, de dolmens et de tumulus.


M. du Châtellier (1) ajoute les curieux renseignements qui suivent, sur l'efficacité des eaux de deux fontaines qui sourdent à quelque distance de ces alignements et qui semblent une fois de plus, attester la christianisation des anciens lieux et coutumes du paganisme.


« Près des alignements de Lestrigniou sont deux fontaines miraculeuses dont les eaux sont, encore aujourd'hui, très recherchées pour la guérison des maladies de peau. A l'époque du pardon de la chapelle de la Madeleine, qui confine à l'extrémité ouest de ces alignements, le clergé se rend en procession, suivi de la population, à celle de ces fontaines qui est placée au pied même de la chapelle. Faudrait-il croire que la vertu des eaux de ces fontaines viendrait d'une tradition léguée parles autochtones et à laquelle le monument des pierres alignées de Lestrigniou pourrait bien lui-même se rapporter ? Nul ne saurait le dire.


« Si vous demandez aux habitants du pays, ce que peuvent être ces pierres, ils vous répondront naïvement :


« Quand notre dame Marie-Madeleine, vint s'établir dans le pays, elle y trouva le diable, qui avait tout empoisonné de ses mensonges. Elle résolut de le chasser, ce qu'elle fit en le poursuivant et en lui jetant ces pierres que vous voyez alignées et qui sont restées la trace du mauvais esprit. La Madeleine pour poursuivre le diable, portait ces pierres dans son tablier et les lui jetait au fur et à mesure de sa fuite. »


« Depuis, sainte Marie-Madeleine, à laquelle on a élevé la


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(1) J'apprends avec le plus vif plaisir, que par arrêté du 30 mars 1891 M. Paul du Châtellier a été nommé officier de l'lnstruction publique. Cette distinction bien due aux nombreux travaux du savant, lui a été décernée par le ministre en pleine Sorbonne, à la réunion annuelle du Congrès des Sociétés savantes avec la mention flatteuse : « publications importantes relatives à l'Archéologie ».



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chapelle où abondent les pèlerins, est restée la patronne vénérée du pays. ›


Mais poursuivons la liste des curiosités de ce pays étrange où tout atteste une antiquité qui se perd dans la nuit des siècles.


Sur le littoral nord de l’extrême pointe de Penmarc'h, au dessus de l'anse de Pors-Carn, de sinistre mémoire, est un camp retranché que M. du Châtellier définit ainsi : « Bordé au nord par la mer et des roches inabordables, ses travaux de défense consistent en un talus de 1 mètre à 1 mètre 30 de haut, soutenu à l'intérieur du camp par de grandes dalles brutes posées de champ en terre. L'espace ainsi circonscrit n'a pas moins d'un hectare de surface. ››


C'est, paraît-il, un des plus curieux spécimens de ce genre.


Une grande partie du petit promontoire de la Torche, est occupée par un jkokenmoëdding, amas de débris de cuisine de plus d'un mètre d'épaisseur, et qui a été exploré par M. P. du Châtellier.


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L’Église et le Calvaire de Tronoën



L'église de Tronoen ou Traon-Hoüarn, située à une lieue de Kérity, isolée au milieu d'une campagne inculte et solitaire est très grande et d'un pur style gothique. On la croit avoir été commencée à la fin du XVe siècle, et elle peut être citée comme l'une des plus achevées du canton ; c'est en tous cas la seule qui soit voûtée. La nef en est élevée, mais ainsi que presque toutes les églises de cette région, elle n'a qu'un seul bas-côté. On a cru fort longtemps, qu'elle fut bâtie par les Templiers et était une dépendance de l'église de Kérity. Cependant ce fait me paraît impossible à admettre. Quoiqu'il en soit, elle dut avoir été construite par un ordre puissant, parce que le choix des matériaux et la finesse des sculptures indiquent des soins qui n'ont pas été apportés aux autres constructions au long des côtes. Sa voûte de pierre avec des nervures, et les culs-de-lampe à la retombée des voussûres et aux clefs de voûtes, sont d'admirables joyaux. Quelques clefs de voûtes sont ornées d'écussons dont deux ou trois portant d'argent à la croix de gueules ; un barbouilleur



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en a abîmé plusieurs en y peinturlurant des lyres entourées de ronds et jusqu'à une tête de clown. On y voit un beau retable de 1779 portant des attributs et des ornements sacerdotaux, ainsi qu'une table de communion du même style, et une vieille statue de Saint Maudet. Une coutume fort ancienne et qui peut-être provient des rites païens, a porté les indigènes à creuser, près d'un pilier, un trou d'où ils prennent quelques pincées de terre qui, mélangée aux boissons des malades, leur procure, - dit-on, - un soulagement immédiat. Mais avant de se livrer à cette cure, il faut avoir satisfait à plusieurs épreuves baroques, de sorte que cette coutume se perd.


Extérieurement, la façade présente une belle porte à accolade, colonnes, festons et fleurons gothiques, et un beau porche même genre, à niches intérieures avec couronnement, quatre de chaque côté. Une fort riche verrière sur laquelle il y a moins de vingt ans, on pouvait voir les armes du Pont ; de Rosmadec (Hervé du Pont avait épousé Marie de Rosmadec en 1420), du Pont-Rosmadec en alliance ; de Rosmadec-Goarlot (d'or à trois jumelles de gueules) ; du Chastel ; de Bottigneau (de sable à l'aigle éployée. membrée et becquée d'azur) ; de Lestialla (d'argent à la rose de gueules au bouton d'or) ; Charruel de Lescoulouarn (gueules à la fasce d'argent) ; tous ces vitraux ont été remplacés en blanc.


Le Pardon de cette chapelle a lieu le troisième dimanche de septembre.


Son calvaire du commencement du XVIe siècle, quoique délabré est fort remarquable. Il serait à désirer qu'il fut classé comme monument historique. Je crois que des démarches sont entamées pour arriver à ce but. On le dit plus ancien que celui de Guimiliau (1581). J'emprunte à M. l'abbé Abgrall, de sa remarquable monographie, les détails suivants sur les personnages qui ornent ce calvaire.


La plate-forme est surmontée de la croix du Sauveur, et de celles des deux larrons. A côté du Christ, sont quatre anges qui recueillent dans des calices le sang sacré. Au pied de la croix sont la Sainte Vierge et Saint-Jean. Au pied du bon larron, un moine est à genoux.



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Du côté est, derrière la croix du Sauveur, la Sainte Vierge tient sur ses genoux le corps inanimé de son divin fils.


Deux petits personnages à ses côtés relèvent son voile.


Derrière la croix du mauvais larron, la Véronique tient la Sainte-Face. Derrière celle du bon Iarron, on voit saint Jacques, reconnaissable à son chapeau de pèlerin et à son bourdon.


En commençant par le dernier tableau de la façade Est, et en continuant par le Nord on trouve successivement :


Série inférieure :

1° L'Annonciation.

2° La Visitation.

3° L'Adoration des Mages. (Nous n'y trouvons pas l'Enfant-Jésus présenté par sa mère, mais un enfant à chevelure opulente, vêtu d'une robe, tenant un globe de la main gauche et de la droite montrant le ciel. La Sainte-Vierge tend les mains vers lui, ce qui nous fait penser que le sculpteur a voulu représenter le Sauveur sous la forme de cet adolescent.

4° La Présentation de l'enfant Jésus au Temple.

5° Le baptême de N. S. avec d'autres baptêmes administrés par Saint-Jean à quelques disciples.

6° L'enfant-Jésus debout, sur une table au milieu des docteurs, dont quelques-uns sont vêtus en moines.

7° Très fruste. Le personnage principal est Notre-Seigneur assis sur un arc-en-ciel. À droite on croit reconnaître la Sainte-Vierge à genoux. À gauche, un ange sonne de la trompette, et quelques morts sortent du tombeau. En haut des anges tiennent les instruments de la Passion. Dans les côtés, Adam et Eve et le serpent, et au haut de l'arbre un ange les mains tendues vers Adam. Il semblerait que l"artiste eût voulu réunir, dans un seul tableau, le commencement et la fin de l'humanité, la faute et le rachat.

8° La Cène.

9° Le Lavement des pieds.

10° Prière de Notre Seigneur au jardin des Oliviers.


Série supérieure :

11° La Flagellation.

12° Les Trois Marie.




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13° Jésus outragé par les soldats.

14° Pilate se lavant les mains.

15° Notre-Seigneur lié et conduit au supplice.

16° Notre-Seigneur portant sa croix, suivi des deux larrons portant les leurs.

17° Résurrection.

18° Descente de Notre-Seigneur aux Limbes : celles-ci sont figurées par la gueule d'un monstre, d'où sortent deux petits personnages, Adam et Eve, personnification des justes de l'Ancien Testament.

19° Le Christ apparaît à la Madeleine.


M. l'abbé Abgrall pense que ce calvaire a servi de modèle aux autres du même genre, et qu'il fut sculpté à Brest dans l'atelier plus tard dirigé par Ozanne, auteur et signataire des calvaires de Pleyben et de Plougonven.