LE PRIX DU TRAVAIL

Les informations qui suivent sont tirées d'une étude de Geneviève d'Haucourt "Dentellières et brodeuses en Pays Bigouden" menée en 1941 et du Journal "L'Ouest Éclair" de la même année pour les prix des denrées alimentaires.


Il faut bien avouer que les prix mentionnés ne veulent plus dire grand chose pour nous.
Afin de redonner une idée du coût de la vie d'Avant Guerre (1938), voici le cours moyen de l'alimentation de base généralement constaté :

  • 1 kg de pain 2,84 F
  • 1 kg de boeuf 12,45 F
  • 1 kg de poulet 28,00 F
  • 1 litre de lait 1,87 F
  • 1 kg de pommes de terre 1,42 F


Pour travailler, une dentellière a besoin de fil de coton blanc ou écru. Elle utilisait environ 6 kilogranmmes par an de fil DMC numéros 100, 80 et 60, sans compter le cordonnet, si elle faisait du napperon. Un fil qu'elle devait payer elle-même 6 à 7 Francs les 25 grammes.


Les dentellières étaient plus nombreuses à fabriquer des "Mains de Gants", car plus faciles à faire et nécessitant moins d'attentions sur l'ouvrage. Ce travail était le moins payé et l'apanage des débutantes et des femmes âgées.
La fabrication d'une main prenait en moyenne 4 à 4 heure 30 soit une paire de gants par jour pour un prix de 10 à 11 francs, dont 4 francs de fil ! Soit, pour en finir avec ces calculs, un gain journalier moyen de 14 francs et un salaire horaire d'environ 2 francs. Las, ces artisanes estimaient leur travail à 4 francs de l'heure !
D'autres dentellières, spécialisées dans les manchettes de gants étaient payées 2 à 4 francs de l'heure.

Tout compris, une paire de gants avec manchettes revenait à 28 francs au fabricant qui la revendait 48 francs aux grands magasins Parisiens qui les mettaient en rayon à ... 80 francs !

Les dentellières fabriquaient des motifs ou des bandes de bordures qu 'elles vendaient au mètre.



Chaque petit motif qu'une dentellière fabriquait lui prenait environ une demi-heure et était vendu 5 francs la douzaine, pour 1 franc de fil. Soit moins de 70 centimes de l'heure ! Certains motifs, un peu plus gros et compliqués étaient d'un meilleur rapport même si plus de fil était nécessaire.
Une bordure en Huit était payée 4,50 francs le mètre pour environ 1 franc de fil. Elle pouvait en faire 2 mètres par jour et donc lui rapporter 7 francs, soit un salaire de 1 franc de l'heure.



Certaines dentellières étaient spécialisée dans le montage des blouses, des napperons...

Le montage d'une blouse à 400 francs prend environ 35 heures. 135 francs pour 90 motifs et 21 francs de fils font que la façon rapporte 244 francs à la dentellière soit 7 francs de l'heure.

Le prix du montage d'un napperon est très variable car fonction de sa taille qui induit de grandes disparités de temps de montage et de coût de fil nécessaire au montage.


La bonne solution consistait pour certaines artisanes à aller vendre elle-même le produit de leur artisanat. Aux touristes en été ou en allant chiner (faire du porte à porte) à Quimper. Ou encore à vendre le produit de leur travail quand elles accompagnaient leurs maris sur les lieux de pêche estivaux : C'est ainsi que l'on pouvait rencontrer des malamoks Bigoudens dans les ports de Lorient, St Gilles Croix-de-Vie, Quiberon ... pendant que des Bigoudènes montaient leurs étals chargés de napperons aux abords des lieux touristiques. La vente directe permettait de bien plus grands bénéfices !


Les Penmarchais à Quiberon pour la saison de sardine (A droite, Ton' Lili Stéphan)



En période de pénurie de fil, la pire des solution consistait à aller se ravitailler en fil chez le fabricant. Un fabricant qui gérait la pénurie de fil quand il ne la provoquait pas. Le fabricant profitait alors de sa position pour vendre très cher son fil à l'artisane, diminuant ainsi le bénéfice de celle-ci de façon dramatique.

Vendre aux entrepreneuses, était donc une solution intermédiaire pour celle qui n'avait pas la possibilité de se déplacer ou qui n'était pas assez dégourdie. Ces entrepreneuses étaient les intermédiaires entre l'artisane et le fabricant. Elles achetaient au fabricant de grandes quantités de fils qu'elles revendaient aux artisanes, parfois à crédit. Elles achetaient ensuite la dentelle aux dentellières pour la revendre ensuite aux fabricants. Une profession bien plus lucrative que l'artisanat...
Le "truck system" (ExpressionAnglaise venant d'Irlande) était LE système de rémunération pratiqué par les commerçants de détail dans la région de Penmarc'h-Guilvinec. Il consistait pour ces commerçantes-entrepreneuses à collecter la dentelle et à rémunérer l'artisane en nature. Ainsi la dentellière apportait son ouvrage chez l'épicier ou chez le boulanger pour effacer une partie de son ardoise ou "acheter" parfois des choses dont elle n'avait pas besoin, simplement pour rentrer dans ses sous (!). Généralement, c'était ces commerçants qui détenaient le monopole local de la vente du fil...