Le Drame de la  Roche Tragique raconté par
                                 le Recteur Le Coz


Note importante : Les Chroniques du Recteur François-Marie Le Coz ont été écrites pendant la période de son sacerdoce en la paroisse de Penmarc'h, soit entre 1887 et 1911. Ces chroniques ont été réalisées à la plume sergent major sur cahier d'écolier ; les textes suivants sont donc une retranscription des écrits du Recteur, sa mise en page ayant été respectée au plus près.

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La Chapelle de St Guénolé a reçu pendant six mois les dépouilles mortelles des victimes de l'effroyable accident du 10 octobre 1870. Nous allons en quelques mots, rapporter le récit de cette catastrophe qui coûta la vie à cinq personnes et jeta la désolation dans plusieurs familles des plus honorables.

Il y au nord-ouest de la Chapelle St Guénolé un amas de rochers élevés et nus que la mer bat avec furie dans les jours de mauvais temps. Mr du Châtelier a fait construire une maisonnette au haut d'un de ces systèmes de roches sauvages. C'est à deux ou trois mètre plus bas que cette maisonnette que se trouvaient réunis le 10 octobre 1870, vers 2 h de l'après-midi, à mi-marée à peu près,


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Mr Levainville, préfet du Finistère, Madame et Mademoiselle Levainville et trois autres personnes parentes ou amies de la famille Levainville. La mer était belle, calme et se brisait à peine au pied des rochers à 3 ou 4 mètres plus bas qu'eux. Tout le monde était gai et joyeux ; personne ne prévoyait le moindre danger : aussi, Mr Levainville s'était-il retiré sans inquiétude dans la maisonnette. Un gamin s'est approché des visiteurs pour leur demander un don. Tout d'un coup, ce petit garçon s'enfuit en lâchant un cri strident : Gare ! An tars ! (la lame !). En effet, une lame sourde comme il s'en produit non quand le mer est agitée, mais quand elle est calme, une lame sourde monte rapidement à l'ouest, sur les roches inclinées elle se précipite en bouillonnant. Saisies d'effroi, les cinq personnes qui sont sur plate-forme du rocher reculent, reculent toujours et tombent dans le gouffre, à l'est, probablement avant que la lame soit venue à les balayer. C'est l'affaire d'une seconde : Cinq infortunés tourbillonnent dans les flots


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écumants, paraissent, disparaissent et reparaissent une dernière fois. En certains endroits, la blanche écume rougit : C'est fini, il y cinq victimes. Dans les premiers moments d'effroi et de stupeur, Mr Levainville veut se précipiter à l'eau : c'était courrir à une mort certaine. Mr Du Châtelier a la présence d'esprit de le saisir à bras le corps et de le retenir à quelques mètres du lieu du sinistre. Des secours sont organisés, tous les effots sont vains. Au bout de quelques heures, de quelques jours pour certaines victimes, on retrouve les cadavres qui sont déposés dans la chapelle de Saint Guénolé. Ils y resteront pendant six mois.

Le souvenir de cette Catastrophe est rappelé par une inscription faite sur une des dalles de la chapelle et par une autre inscription surmontée d'une croix en fer scellée à plat dans le rocher à l'endroit même du sinistre : aux cinq victimes de 10 8bre 1870. Par reconnaissance et en mémoire des siens, Mr Levainville a fait refaire à ses frais, le pavé de la Chapelle St Guénolé.


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Pendant plusieurs années, il a fait célébrer dans la Chapelle, un service anniversaire pour le repos de l'âme des victimes.

Le groupe de rochers qui se trouve à droite et à gauche du rocher d'où furent précipités les victimes, porte le nom de Tal-Ifern , c'est à dire entrée ou frontispice de l'Enfer. Nos ancêtres ont du donner ce nom à ces rochers sauvages et dangereux parce qu'elles surplombent des gouffres qui ne rendent jamais ceux qui ont le malheur d'y tomber. Que de victimes ont déjà faites les lames sourdes à l'endroit où périt le famille Levainville. Les vieillards se les rappellent.

Le sinistre dont nous venons de parler donna lieu à un procès célèbre entre Mr Levainville et les parents de sa dame. La fille avait-elle survécu à la mère . Mr Le Guen, avocat distingué du barreau de Brest et, depuis sénateur du Finistère, fut chargé par Mr Levainville de défendre ses intérêts. Il débuta en faisant un tableau saisissant des rochers de Tal-Ifern, les précipices qui les entourent, les vagues écumantes et enfin de la catastrophe du 10 octobre.

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Son plaidoyer fut des plus éloquents. IL établit, par des preuves solides, que la fille, vu les circonstances, avait dû survivre à la mère quelques secondes au moins, sinon de quelques minutes et qu'en conséquence, Mr Levainville héritait de la fortune de sa fille.


Quand on se trouve sur le lieu du sinistre, la face tournée vers la mer, on voit à 50 ou 60 mètres sur la gauche, une grande roche plate jetée sur le côté contre les rochers adjacents. Cette roche reposait autrefois à plat sur celle qui est au dessous d'elle. En 1874, une lame furieuse l'enleva de la place où Dieu l'avait mise au commencement du monde et la rejeta violemment à l'endroit où on la voit aujourd'hui.

Tal-Ifern porte bien son nom.