LA CATASTROPHE DU 23 MAI 1925 SELON LA PRESSE NATIONALE (suite)

"L'Humanité" est un des très rares quotidiens à ne pas faire dans le consensuel. Son côté contestataire motivé par la lutte des classes y est sûrement pour quelque chose. Quand bien même, on constatera, honnêtement, que "l'Humanité" avait dépêché sur place un véritable envoyé spécial, M. Viquit, et non, comme bon nombre des autres journaux, utilisé les articles rédigé par le pigiste local de Ouest-Eclair.
La partie de l'article du 4 Juin 1925 (en bas de page) que j'ai reproduit en rouge, montre bien les différents jeux de la communication et de la politique. Peut-être aurais-je dû dire "collusion"...

Vous trouverez ci-après quelques articles de "l'Humanité" classés chronologiquement sur une dizaine de jours, afin de vous faire, vous-même, votre avis.


JOURNAL L'HUMANITE du 27-05-1925

LA LEÇON DE LA CATASTROPHE DE PENMARCH
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Assez de promesses !
Protégez la vie des marins !

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Penmarc'h 26 mai. (De notre envoyé spécial.)
La tempête n'est pas encore calmée. Nulle part ailleurs l'impression ressentie après la catastrophe n'est aussi forte que sur cette côte de Penmarc'h où tant de bateaux de pêche viennent se briser sur les récifs, et où vient de se dérouler un drame brutal, terrifiant qui a coûté la vie à …. marins, fait 21 veuves et 45 orphelins. Je viens de parcourir les villages de la côte, en particulier Saint-Pierre, Penmarc'h et Kérity si durement éprouvés par la catastrophe.
Si les vieux sont devenus fatalistes et paraissent résistants à leur malheureux sort, il n'en est pas de même pour les jeunes qui, eux, ne cachent pas leur colère. Leur métier est dur et ingrat et, non seulement ils sont sérieusement exploités par les mareyeurs et les usiniers, mais encore chaque jour leur vie est en danger. La vie du pêcheur est sans joie. Il se marie jeune, fait des gosses ; et c'est pour lui toute une vie de souffrance, de privations jusqu'au jour où la tempête jette son embarcation à la côte où la mer ne rend que des cadavres.
Aujourd'hui on s'incline devant les victimes en maudissant la fatalité ; mais on ne fait rien pour améliorer le triste sort des survivants, pour réduire le danger au minimum, surtout sur cette cote de Penmarc'h qui est la plus dangereuse et la plus délaissée. On ne marchande cependant pas les promesses, surtout dans les circonstances tragiques comme celles d'aujourd'hui. Vous aurez des feux pour vous aider à franchir les passes dangereuses. Nous ferons construire des balises autour des écueils où viennent se briser vos embarcations ». « Des bouées lumineuses seront posées une chaîne transversale dans le port évitera que les barques partent à la dérive, lors des raz de marée qui se renouvellent chaque année ». Nous allons faire entreprendre des travaux de toutes sortes qui sont absolument indispensables.»
Puis, c'est le silence, complet, tout est oublié. Depuis vingt ans, trente ans, on promet des améliorations et rien n'est fait. C'est miracle que sur cette cote sauvage les catastrophes ne soient pas plus nombreuses.
Partout, à. Penmarc'h, à Kérity, à Guilvinec, à Saint Guénolé j'ai entendu les mêmes critiques, j'ai senti chez les marins pêcheurs la même colère
Pour les exploités de la cote, on ne fait rien pour leur sécurité. Les conseillers généraux, les parlementaires, la direction maritime, M. Daniélou, sous-secrétaire du Cartel des …. à la Marine Marchande, M. de. Fournerez, député du Finistère et qui connaît bien les dangers de la côte bretonne, ne font rien pour eux. Cette situation n'a que trop duré. Les marins pêcheurs entendent obtenir des réalisations.
Dans les jours qui vont suivre, nous exposerons ces revendications et nous montrerons l'état lamentable dans lequel on laisse les petits ports de la côte bretonne.

Une souscription pour les victimes
de la catastrophe

Le Syndicat unitaire des marins pêcheurs de Saint-Guénolé ouvre une souscription en faveur des veuves, et des orphelins. Il adresse un pressant appel à la solidarité prolétarienne. Les fonds doivent être adressés à notre camarade Joseph Le Pape, patron, secrétaire des Inscrits maritimes à Saint-Guénolé.

Émouvantes déclarations des rescapés

Les marins qui ont échappé au naufrage et les hardis sauveteurs dont plusieurs ont dû s'aliter, font d'émouvantes déclarations, sur les minutes,
Le patron Joseph Jégou, interrogé sur les mesures de précautions qu'auraient dédaigné ses compagnons, a déclaré :
"Agrippé à la barre, c'était au loin, vers ceux qui nous attendaient, que j'avais les yeux fixés, et non sur mes admirables compagnons dont on ne fera jamais assez l'éloge. Croyez-vous que c'est à soi que l'on songe dans ces moments-la ? Nous allions de l'avant vite, très vite, en pensant qu'aux malheureux qu'il fallait arracher la mort. Ceux qui n'ont pas vécu ces heures-là, qui ne se sont jamais trouvés en pareille situation, ne peuvent pas savoir. Nous avons fait notre devoir, nôtre conscience ne nous reproche rien, ça nous suffit."


JOURNAL L'HUMANITE du 28-05-1925

APRES LE SINISTRE DE PENMARCH
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IMPREVOYANCE CRIMINELLE
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Un matériel de sauvetage insuffisant

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Penmarch, 27 mai. (De notre envoyé spécial).
On ne célébrera jamais assez, l'abnégation sublime, l'entier mépris du danger dont a fait si souvent preuve le prolétariat de la côte.
Dès que retentit le signal d'alarme, ces braves n'ont plus qu'un seul souci : celui de porter secours aux naufragés, de sauver les vies humaines en péril.
C'est ainsi qu'après s'être embarqués à la hâte, vingt-quatre braves partirent samedi à bord des canots de sauvetage de Kérity et de Saint-Pierre. Neuf d'entre eux seulement revinrent. La grande mangeuse d'hommes en avait gardé quinze. Les canots de sauvetage, pratiquement insubmersibles, avaient chaviré, s'étaient retournés, projetant leurs équipages à la mer. Ces engins ne sont donc pas aussi stables qu'il le faudrait et qu'on le croit assez généralement.
Le matériel mis à la disposition des sauveteurs par la Société centrale de secours des naufragés est-il vétuste ? N'est-il pas entretenu avec tout le soin et la minutie désirables ?
C'est ce que j'ai voulu savoir, et c'est le premier point sur lequel portera cette enquête.

J'ai naturellement tenu à m'entourer de toutes les garanties, dans une question si grave. Tous ceux que j'ai interrogés m'ont répété la même chose et formulent les mêmes critiques. Dans les pauvres demeures où la tempête qui persiste retient les pécheurs, des vieux pêcheurs et des jeunes gars qui réfléchissent avant de répondre, qui pèsent tous les mots avant de répondre, m'ont accueilli cordialement. Voici ce qu'ils m'ont dit :
" Les canots de Saint-Pierre et Kérity ne sont pas trop vieux. S'ils ont chaviré samedi, c'est qu'ils, ont été soulevés par une lame de fond contre laquelle il n'y avait rien à faire. C'est aussi parce que le matériel de sauvetage et les agrès n'offrent pas la capacité de résistance qu'on est en droit d'en attendre. Sur le bateau de Kérity, tes cordages qui, en encorbellement font le tour du plat-bord et qui servent aux naufragés à se maintenir sur l'eau ont cassé. Des marins affirment catégoriquement que les cordages étaient, sinon pourris, du moins en fort mauvais état. Des bouées-ceintures ont lâché par par les bretelles et par les ceintures, et des sauveteurs s'en sont trouvés démunis.
Donc, le premier point qui s'impose est qu'on ne révise pas assez fréquemment ni assez sérieusement le matériel de sauvetage. A ce point de vue, la tragédie de Samedi doit être une leçon. Les responsables de ce lamentable et criminel état de choses doivent sans tarder prendre toutes les mesures qui s'imposent. C'est une question de vie et de mort pour les sauveteurs.
Mais il est aussi d'autres critiques qui méritent d'être retenues.
Sur différents points de l'Océan on utilise des canots de sauvetage à moteur. On comprend de suite les avantages qu'on en peut retirer. Le canot à moteur permet aux sauveteurs d'arriver beaucoup ̃plus rapidement et sans fatigue sur le lieu du naufrage. Ici, il n'en existe aucun. Or, bien des vies humaines auraient été sauvées avec leur concours.
C'est la encore une question pressante qui doit sans tarder trouver sa solution.
Va-t-on une fois encore laisser traîner les choses, essayer de s'en tirer par des discours plus on moins officiels, par des promesses qu'on ne tient jamais ? Il serait osé de le croire.
Les pêcheurs aujourd'hui sont las de souffrir et d'attendre en vain la réalisation des promesses que les politiciens du Cartel de droite et ceux du Cartel de gauche leur ont si souvent prodiguées.
Mais qu'ils ne s'y trompent pas. S' ils veulent voir enfin aboutir leurs légitimes revendications, ils doivent être assez forts pour l'exiger. Et ils ne deviendront forts qu'en s'unissant dans leur organisation syndicale.

.. / ..
A Penmarc'h la mer continue de rejeter les cadavres sur la côte. Les corps de Julien Dupuy, patron du Saint Louis et de Vincent Larnicol ont été ainsi recueillis.


JOURNAL L'HUMANITE du 29-05-1925

APRES LE SINISTRE DE PENMARCH
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PROMESSES DE MINISTRE
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Va-t-on une fois encore tromper les pécheurs ?
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Penmarc'h 28 mai. (De notre envoyé spécial.)
Après tant d'autres parlementaires, M. Daniélou, sous-secrétaire d'Etat à la marine marchande, est venu faire des promesses aux populations maritimes de la pointe de Penmarc'h. Le gouvernement,a-t-il dit, examinera dans le plus bref délai tous les projets de travaux qui s'imposent pour donner des abris sûrs à leurs barques de pêche, des digues de protection contre les raz-de-marée et tous les engins de sauvetage que nécessite, une côte aussi tourmentée. » Remarquons tout d'abord que c'est l'aveu, catégorique, officiel, que jusqu'ici on a abandonné à leur malheureux sort les pêcheurs de toute cette côte dangereuse, que les engins de sauvetage notamment, sont insuffisants en un mot, qu'on n'a pas pris les précautions les plus élémentaires qui auraient permis de sauver des vies humaines.
Ainsi, il aura fallu l'effroyable catastrophe pour qu'on se décide à agir. Mais agira-t-on ? Les promesses vont elles, comme ce fut souvent cas, rester à l'état de promesses ? Les pêcheurs feront-bien d'y veiller s'ils veulent éviter d'être leurrés une fois de plus. Les travailleurs n'ont jamais que ce qu'ils obtiennent par la lutte. Si les pêcheurs veulent obtenir des conditions de vie meilleures, s'ils entendent être défendus contre les dangers qui les guettent, ils seront sages en n'accordant qu'une confiance très relative aux promesses du ministre, lequel n'a rien trouvé de mieux à leur conseiller que l'abnégation. A l'exemple des autres travailleurs, les parias de la mer, s'ils veulent défendre leur droit à l'existence, doivent s'unir. Qu'ils se groupent dans l'organisation syndicale. Les promesses ne resteront plus alors l'état de promesses, car, devenus forts, les pêcheurs sauront en exiger la réalisation.
M. Daniélou ne pouvait manquer, bien entendu, de faire allusion dans son discours, à la situation financière désastreuse.
Attention, camarades prêcheurs, vous voila prévenus. Cela signifie, en effet, que la caisse étant vide, vous ne devez pas être trop pressés de voir améliorer la côte de Penmarc'h. Préparez-vous donc à l'exiger !
Dans un groupe, agrès la cérémonie, des marins pêcheurs commentaient les paroles du ministre. Pas d'argent? disait l'un d'eux. Avec ce que coûte seulement une journée de guerre au Maroc, on pourrait aisément nous donner satisfaction. Rien de plus vrai !

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En ce qui concerne les canots de sauvetage à moteur, tous les marins pêcheurs sont unanimes à en réclamer la mise en service immédiate. Les avantages de ce système, je le répète, sont très grands pour parvenir plus rapidement sur le lieu du sinistre avec un équipage non épuisé, capable de travailler beaucoup plus utilement.
L'exemple de ce qui s'est produit samedi au Guilvinec est typique. Le canot de sauvetage est sorti pour se porter au secours des naufragés. Après trois heures d'efforts inouïs, le canot n'était parvenu à couvrir qu'une distance d'un mille. Et finalement il dut rentrer sans avoir pu se porter au secours des victimes. La preuve est ainsi faite, irréfutable. Les canots actuels doivent sans plus tarder être remplacés par des canots à moteur, à commencer, par la station de Kérity, d'où il est possible de se porter efficacement au secours des embarcations en danger dans toutes les directions, au Guilvinec, à Saint-Pierre et à Saint.Guénolé.

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D'autres modifications, qui ne manquent pas d'importance, doivent sans tarder être apportées à l'état de choses actuel.
Ainsi, à Saint-Guénolé, 1'abri du canot de sauvetage a été construit de telle façon qu'il se trouve être a angle droit avec la mer. En outre, rien n'a été installé pour lancer facilement l'embarcation ; pas de digue en pente, pas de rails. Les roues du chariot sur lequel repose le canot enfoncent profondément dans le sable ou se heurtent aux rochers. Il faut l'effort de soixante à quatre-vingts personnes, qui doivent le traîner, à marée basse, sur une longueur qui n'est pas inférieure à 250 mètres. Et cette opération difficile dure une demi-heure.
A Kérity, la porte de l'abri est face la mer. Mais comme à Saint-Guénolé, il n'existe pas de plan incliné, pas de rails pour le chariot. Là également, il faut cinquante à soixante hommes ou femmes pour le pousser. Et samedi, il s'est écoulé environ quarante minutes entre l'instant où retentit le signal d'alarme et la mise à l'eau du canot.
Enfin, au Guilvinec, la situation est identique il faut traîner le canot sur les rochers, sur une longueur de 60 à 80 mètres et l'opération exige une demi-heure d'efforts inouïs.
Et pendant ce temps, des naufragés, accrochés à des épaves, aux aspérités des récifs, attendent du secours qui malheureusement arrive souvent trop tard.
Les marins pêcheurs sont donc fondés à réclamer des améliorations immédiates, à exiger qu'on mette à leur disposition tout ce qui peut leur permettre de se défendre contre les éléments. Qu'ils sachent bien que toujours ils nous trouveront à leurs côtés pour les aider à obtenir satisfaction.


JOURNAL L'HUMANITE du 30-05-1925

APRES LE SINISTRE DE PENMARCH
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LE MATERIEL N'EST PAS SERIEUSEMENT REVISE
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Des ceintures de sauvetage servent depuis vingt ans
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Penmarch, 29 mai. (De notre envoyé spécial).
L'incontestable utilité du canot de sauvetage à moteur ne peut donc être mise en doute. Et dans une brochure éditée sous les auspices de la Société centrale de Sauvetage des Naufragés, on trouve ceci « Seul un canot à moteur peut assurer aux sauveteurs, en toutes circonstances, la victoire dans la lutte contre les éléments. En outre, le délégué de cette Société au Congrès de sauvetage de Londres, en Juillet 1924, déclarait « Partout les sauveteurs nous réclament des canots à moteur ».̃̃̃̃
Sur le port, ce matin, je m'entretenais de la question avec quelques pêcheurs.
Nous n'ignorons pas, m'ont-ils dit, que la Société a entrepris la transformation du matériel de sauvetage. Seulement, comme toujours, on nous délaisse, bien que ce soit sur nos côtes, aux alentours de cette dangereuse pointe de Penmarc'h, qu'un canot à moteur soit le plus nécessaire. L'argent va aux grands ports et aux plages de luxe ; pour nous, il n'y a rien.
C'est rigoureusement exact. Sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique, dix-sept localités possèdent un canot à moteur.: Parmi ces localités, citons Dunkerque, Calais, Boulogne, Le Havre, Granville, Saint-Nazaire, La Rochelle, rien que des grandes villes ou des plages à la mode, comme Trouville, Dieppe et Saint-Jean-de-Luz.
Après la tragédie de samedi, va-t-on encore temporiser ? S'en tiendra-t-on, comme on l'a fait dans le passé, à des promesses plus ou moins officielles ? Agir ainsi serait criminel. C'est tout de suite qu'il faut donner aux sauveteurs de la pointe de Penmarc'h un matériel présentant le maximum de garanties.

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Avant-hier, je vous signalais que les cordages du canot de sauvetage de Kérity ont cédé. Ce fait est grave, car les marins affirment que si ces cordages avaient été en bon état, ils n'auraient pas cassé. Les inspections prévues ne sont-elles pas faites avec tout le soin "désirable" ? C'est l'avis presque unanime et l'on ajoute même que le matériel n'est pas assez fréquemment révisé. Les inspections sont trop superficielles. On se contente d'un coup d'œil rapide, et l'on déclare que tout va bien ; mais jamais les cordages, ni les lanières et les bretelles des bouées-ceintures ne sont essayés. Vingt fois au moins, des faits m'ont été répètés, affirmés. Il est donc difficile d'en douter. On conviendra que c'est vraiment faire trop bon marché de la vie des hommes.

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Les bouées-ceintures notamment donnent lieu à de vives critiques. Lors du sinistre, des sauveteurs réussirent à repêcher un naufragé en le tirant par sa ceinture mais les lanières lâchèrent, et l'homme coula. Les marins voient dans ce fait une preuve nouvelle que l'attelage de la bouée, bretelles et lanières de ceinture, est défectueux. Il conviendrait donc de rechercher un système empêchant la bouée-ceinture de se détacher du corps.
En outre, les lanières, cousues la machine, ne sont pas assez solides. Dans les parties qui fatiguent, des ceintures de cuir seraient préférables. Les bouées-ceintures sont de deux sortes : en liège ou bourrées de kapok. Les.deux systèmes ont leurs inconvénients. La ceinture en liège, plus volumineuse, gène pour ramer mais elle permet de se maintenir plus aisément sur l'eau qu'avec la ceinture en kapok, qui garde l'humidité et qu'on devrait changer souvent.
Le fait-on ? Malheureusement non. Même les ceintures de liège devraient être changées, chaque fois que cela est reconnu nécessaire et, m'a-t-on dit, au moins une fois par an. Or, les ceintures du canot de Kérity servent depuis une vingtaine d'années.
Si donc, dans l'avenir, on veut réduire au minimum les dangers que courent les sauveteurs, il est de toute urgence qu'une surveillance plus rigoureuse du matériel soit établie. La catastrophe de Penmarc'h doit être une leçon dont il faudra bien tirer tous les enseignements. Des mesures de protection des marins-pêcheurs doivent être prises sans tarder. Il ne s'agit plus de promettre, il faut s'exécuter. Les parias de la mer n'attachent plus d'importance aux paroles, même à celles d'un ministre. Ils veulent et ils exigeront des réalisations.


JOURNAL L'HUMANITE du 31-05-1925

APRES LE DRAME DE PENMARCH
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Les tragédies de la mer
ont pour cause l'incurie administrative

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La presse bourgeoise aura dit (avec quelle littérature écœurante) le deuil qui s'est abattu sur la côte bretonne. La population qui lutte dans la lande maigre et sur la mer sauvage aura aussi écouté avec étonnement ce concert de louanges et de lamentations intéressées.
Avec étonnement ? Oui, car les marins si exploités sur le fruit de leur pêche, les femmes si bien volées à l'usine, ne comprennent pas que des cadavres soient nécessaires à la pitié bourgeoise pour qu'elle s'émeuve. Les marins de cette contrée courent la mer toute l'année, le long d'une côte où les récifs seuls sont là pour arrêter les lames et la tempête. Aucun travail de défense, aucune mesure de sécurité possible à l'endroit le plus dangereux du littoral.
Les femmes vont à l'usine à toute heure du jour et de la nuit, l'usine les lâche quand la pêche est pauvre. Alors, elles s'égrènent par les champs sans arbres, et cultivent la terre maigre. Les barques rentrent : course l'usine. Au petit jour, parfois, elles rentrent par la lande à l'heure où le pêcheur repart.
Et comme les phares, les cheminées d'usines se dressent Cassegrain, Béziers, Saupiquet, Ravilly (marchand de viande pourrie à Rennes), etc.. A côté de l'usine pieuvre, le mareyeur. Il achète le premier la pêche et fait le prix. Ensuite l'usine semble par charité prendre pour rien le poisson dont le mareyeur n'a plus besoin. Lorsque la pêche est mauvaise, la part du pêcheur est maigre. La pêche est-elle nonne alors le poisson se donne, la part du pêcheur est toujours maigre. Aussi à terre le marin n'a que des ennemis.
Le pêcheur aime la mer et s'en remet pour le reste à la fatalité. Il connaît tous les rochers et ce n'est pas lui qui peut changer quelque chose pour diminuer le danger avec son argent comme le demande le gouvernement. Les députés, maires, usiniers, gros fonctionnaires, « fayots de la marine font des promesses qu'ils ne viennent jamais. Les marins s'en souviennent quand les bateaux ou les hommes s'écrasent à la côte, mais les élections sont passées.
Et il n'existe toujours pas de port véritable, de Penmarch aux rochers de Saint-Guénolé rien que des jetées insuffisantes, des barques de secours dont tout le matériel est rapidement pourri.
Des catastrophes, surgissent périodiquement. La mer commet ses crimes et rien ne l'arrête. Malgré l'héroïsme des hommes et des femmes, les moyens de sauvetage rudimentaires sont impuissants. La campagne de l'Humanité après l'enquête de Kérity ne montre-telle pas la négligence des pouvoirs responsables, l'incurie de l'administration maritime et la fourberie des politiciens démocrates, radicaux et socialistes ? Rien n'a été fait.
Mais lorsque le malheur atteint un tel nombre de victimes, 27 cadavres, tout le monde officiel, pour cacher l'assassinat, se rue vers la douleur des veuves, des enfants, et les force à la reconnaissance avec de l'argent et des discours pour les empêcher de songer à la vengeance et à la révolte. Car il y a des responsables. Ce sont ceux qui dépensent l'argent de l'Etat pour la marine de guerre, alors que rien n'est fait pour les pêcheurs, la marine de paix. Ceux qui à Douarnenez refusent l'argent pour l'éclairage des écueils et à Kérity ne mettent à la disposition des sauveteurs que des barques insuffisantes et des ceintures en mauvais état. Les responsables sont tous les tenants du régime où les intérêts du travailleur sont sacrifiés aux intérêts d'une minorité de parasites. Les syndicats dénoncent avant les drames semblables à celui de Kérity, les causes qui les engendrent. Pour y parer, ils appellent les marins et leurs compagnes à ne compter que sur eux pour se défendre.
Le Parti Communiste et la C.G.T.U. réclamaient avant la catastrophe de Kérity des travaux de protection, l'étude des moyens de sauvetage modernes, comme ils réclament de meilleurs salaires dans les usines, et la fin de l'exploitation honteuse des pêcheurs. Les syndicats sont combattus par tous les moyens, leurs militants sont poursuivis, mais ceux qui traquent, poursuivent les organisations ouvrières et sont les responsables des drames du travail, tous les bonisseurs de la République, toute la presse vendue, tout ce monde là éclate en sanglots sur la tombe des victimes.
Les syndicats de la côte dont tous les membres ont été douloureusement remués par la mort des 27 camarades de Kérity, ont le devoir de dénoncer l'hypocrisie de toute cette tourbe qui avec des phrases apprises à la guerre « du droit » poursuit le commerce des morts.
Dénoncer les mangeurs de cadavres à la sauce patrie », un Aymard de la presse, un pourvoyeur de cimetière maritime comme Daniélou, dévoiler l'incurie de ceux qui laissent tomber les ports de pêche pour mieux soigner les ports de guerre, doit être la tâche des organisations de la classe du prolétariat.
La population maritime sait que ses défenseurs ne pont pas les exploiteurs de la mort tragique, des exploités, mais ceux qui se groupent, s'unissent, travaillent pour que le pouvoir serve un jour prochain le prolétariat après qu'il l'aura conquis.
Les syndicats de Saint-Guénolé font un appel pressant auprès des travailleurs pour venir en aide aux familles des victimes de Kérity. Les fonds doivent être envoyés au secrétaire des Inscrits Lepage Joseph, patron pêcheur, à Saint-Guénolé.


JOURNAL L'HUMANITE du 01-06-1925

APRES LE SINISTRE DE PENMARCH
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Sur la côte, avec les pêcheurs
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Les travaux à effectuer tout de suite
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Penmarc'h, 30 mai (De notre envoyé spécial.)
Nous étions, hier, en compagnie de quelques pêcheurs de Saint-Guénolé, sur l'étroite terrasse érigée devant l'atelier du peintre Lemordant, face à la -mer. Juste au-dessous de nous, la roche d'où fut enlevée par une lame de fond, vers la fin de l'année 1870, la famille du préfet Levainville. Une pancarte prévient les touristes que l'endroit est dangereux et que des accidents nombreux s'y sont produits...
– Le sous-secrétaire d'Etat, me disait un pêcheur, semblait, l'autre jour parler bien légèrement de "tous les projets de travaux qui s'imposent sur une côte aussi tourmentée". Il était venu naturellement pour promettre, il a donc promis. Mais si dans le cas présent, examiner signifie réaliser, ce qui n'est malheureusement pas certain, le gouvernement ne manquera pas de besogne, en admettant même qu'il s'en tienne aux travaux les plus pressants. Dans les passes particulièrement dangereuses, pas de feux, pas de balises autour des écueils. Les pêcheurs ne choisissent pas leur heure pour rentrer au port, surtout lorsqu'ils sont chassés par la tempête. Et s'ils doivent rentrer de nuit, c'est souvent à tâtons, en courant les plus grands dangers, qu'ils doivent le faire.
Ensemble, nous avons parcouru la côte de Saint-Guénolé jusqu'à Guilvinec. Mes amis pêcheurs m'ont désigné les endroits les plus dangereux et m'ont expliqué minutieusement quels sont les travaux indispensables qu'il convient d'entreprendre sans tarder, ceux qu'on leur promet depuis si longtemps et qu'ils attendent toujours. Le plus strictement possible, je vais les résumer. On pourra alors se faire une idée de l'abandon total dans lequel on a, jusqu'à présent, laissé cette côte semée de récifs et d'écueils où viennent chaque année se briser de nombreuses embarcations.

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A Saint-Guénolé, la question la plus importante est celle de l'éclairage. Pas de feu pour rentrer la nuit, même dans le chenal du Groumilli, très difficile à franchir par mauvais temps. Les pêcheurs réclament ce feu depuis environ une trentaine d'années et la question a, paraît-il, souvent été étudiée. Jamais rien n'a été fait et les pêcheurs s'étonnent que les naufrages n'y soient pas plus nombreux. Une tourelle sans feu a bien été construite, il y a environ deux ans, sur le rocher de Basse Gouâch. Trois années avaient été nécessaires pour l'édifier. A peine achevée, cette tourelle fut démolie par une tempête. C'était pour les pêcheurs un point de repère qui leur permettait d'éviter les rochers du Groumilli. Maintenant ils n'ont ni feu, ni tourelle pour les guider.

Dans ce même chenal du Groumilli, les roches de Men ar Caval (Pierres du Chenal) obstruent la passe. On pourrait très aisément les faire sauter à marée basse, la sécurité du passage serait alors assurée. Des accidents se sont souvent produits à cet endroit ainsi l'an dernier, le patron du canot de sauvetage de Saint-Pierre, Berrou, – qui vient de mourir dans la catastrophe de Penmarc'h – perdit au Men ar Caval son petit canot de pêche, avec tous ses engins. Sa grande barque de pêche faillit couler.
La petite passe qui mène au port de Saint-Guénolé est trop étroite. Elle pourrait être aisément élargie, puisqu'elle vient à sec à marée basse. Au sortir de cette petite passe, un plateau de rochers gêne les bateaux ne pouvant avoir suffisamment de liberté pour passer au vent, s'échouent. Enfin, dans le port même, les débris de rochers, situés aux endroits de mouillage, constituent un danger pour les bateaux qui s'échouent au moment de la marée basse.

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Le port de Saint-Guénolé est mal abrité et les moyens de protection y sont des plus rudimentaires. Chaque année, l'an dernier le fait s'est produit deux fois, des raz-de-marée jettent les bateaux à la côte, et toujours les dégâts sont énormes. Les grandes marées d'équinoxe, par mauvais temps, causent également de grands dégâts aux embarcations mouillées dans le port. L'année dernière, une quarantaine de bateaux eurent à en souffrir et une vingtaine furent complètement démolis.
Une chaîne transversale, dans le port, éviterait ces pertes très sensibles pour des travailleurs qui, en peinant dur, n'arrivent à gagner que juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim. Pour préserver la localité contre les raz-de-marée, qui pénètrent jusqu'à un kilomètre dans l'intérieur des terre, on construit un mur de protection. On pourrait du même coup, affirment les pêcheurs, protéger le port en prolongeant ce mur, qui passerait au travers des rochers et qui irait aboutir à la pointe de l'île Steviou, bordant ainsi la grande passe.

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Voilà, pour Saint-Guénolé. On conviendra que les pêcheurs sont qualifiés pour parler des rochers qu'ils frôlent chaque jour. Que va faire M. Daniélou ? Va-t-il tenir compte de leurs justes observations ou bien s'adressera-t-il à des ingénieurs dont la compétence ou la bonne volonté sont, avec raison, souvent mises en doute par les populations maritimes de la pointe de Penmarc'h ?
A moins que le ministre charge une commission d'enquête de rédiger un rapport. Alors, ce serait l'enterrement de première classe, l'oubli des promesses faites solennellement. Si les marins pêcheurs laissaient faire.
Ce qui est peu probable.


JOURNAL L'HUMANITE du 02-06-1925

APRES LE SINISTRE DE PENMARCH
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LES PECHEURS RECLAMENT DES FEUX ET DES BALISES
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Les travaux de protection les plus urgents
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Penmarch, le 31 mai. (De notre envoyé spécial.)
Des pêcheurs de Kérity m'ont fait voir de près les dangers qu'ils redoutent. A bord d'une barque de pêche véritable "coquille de noix", ils m'ont emmené dans le dédale des écueils que les vagues recouvrent ; ils m'ont désigné les passes particulièrement dangereuses où des rochers devraient être balisés, où des feux devraient être placés. Bien sûr, m'a dit l'un d'eux, les marins-pêcheurs du port de Saint-Guénolé sont fondés il réclamer l'exécution immédiate de travaux de protection dont l'urgence n'est plus à démontrer. On n'a que trop attendu. Mais ici, nous ne sommes pas mieux protégés. C'est, vous le savez, sur les roches de Kérity-Saint-Pierre que s'est produit le sinistre qui vient de coûter la vie à vingt-huit d'entre nous et qui a fait quarante-cinq orphelins. Il ne peut être question, bien entendu, de faire disparaître tout danger, surtout sur une côte aussi accidentée. Quoi qu'on fasse, l'Océan sera toujours le plus fort. Ce qui, par contre, est très possible, c'est de donner aux pêcheurs, par des travaux appropriés, plus de sécurité, en réduisant au minimum les causes d'accidents et de naufrages. On peut aisément le faire, pour peu qu'on le veuille. Mais le voudra-t-on ? Et, disant cela, le pêcheur fit un geste qui voulait dire "Pour ma part, je n'y compte guère". De même qu'à Saint-Guénolé et ensuite Guilvinec, les pêcheurs de Kérity et ceux de Saint-Pierre-Penmarch réclament des balises pour éviter les écueils, des feux pour rentrer de nuit.
L'énumération serait longue de tout ce qu'ils m'ont signalé comme absolument indispensable. Je m'en tiendrai donc aux travaux revêtant un caractère d'extrême urgence.

En premier lieu, le dangereux chenal de la Jument. A l'endroit même où s'est produite la catastrophe du 23 mai, le rocher Basse Moulec devrait être balisé. Les ingénieurs n'ignorent pas les périls que courent les pêcheurs, puisqu'une balise y avait été placée : une tempête la détruisit, voici deux années. Elle n'a pas été remplacée Si le sinistre de l'autre jour s'était produit pendant la nuit, me fait remarquer un pêcheur, il est à peu près certain qu'aucun bateau ne serait rentré.
Dans le chenal de la Jument également, il convient de signaler comme étant particulièrement redoutables les rochers Le Speis et Men Caïnec. Des balises sont indispensables. En outre, il serait relativement facile d'y faire sauter quelques petites roches qui gênent le passage.
Le chenal du Branket, situé au sud de la Jument, est utilisé pour l'entrée dans le port de Kérity et dans celui de Guilvinec. On n'y trouve aucune balise et le danger y est grand, surtout la nuit, où l'on doit y passer sans feux. Un peu plus loin, les roches Le Rat et Lagoden (La Souris) sont également à craindre et ne sont pas balisées. Tous les pêcheurs sont unanimes à réclamer un feu sur le rocher Locarec, à l'entrée du port de Kérity. Une simple tourelle, d'environ deux mètres de hauteur, avec éclats, serait suffisante. Actuellement, les pêcheurs doivent se servir des feux de Guilvinec, trop éloignés, et ils se dirigent au petit bonheur.
Un feu sur le môle est nécessaire pour éclairer le canal de Stoniellec, qu'empruntent les bateaux de pêche lorsque, par mauvais temps, le chenal de la Jument est devenu impraticable.
Les municipalités de Guilvinec et de Penmarc'h ont depuis longtemps demandé que soit placée une tourelle sur le rocher Leuren, à proximité des Etocs. Le génie en à reconnu l'urgente nécessité, il y a de cela trois ans. Rien n'est venu.
Mais il y a mieux : depuis plus de quinze ans, on promet à la population maritime de Kérity un brise-lames qui rendrait de grands services. On l'attend toujours. Il permettrait notamment à tous les bateaux de pêche, même aux dundees, de se réfugier dans le port en cas de tempête. Il permettrait aussi en y posant des rails, d'en sortir plus facilement et aussi plus rapidement le canot de sauvetage.
Le port de Guilvinec-Léchiagat est aussi délaissé que ceux de Kérity et de Saint-Guénolé. Il est mal abrité et, à marée basse, il est complètement à sec. Ce qui oblige les bateaux à rester en mer lors des grandes tempêtes. Une digue, partant du prolongement des Faoutez jusqu'à 200 mètres à l'ouest, est nécessaire pour protéger le port. A l'entrée de celui-ci, les feux sont mal placés. Sur le grand chenal, les feux blanc et rouge sont à peu près inutilisables, tant leur portée est insuffisante. Et l'ingénieur en chef ne paraît nullement pressé de faire opérer les transformations qui s'imposent. Voilà donc dans quelles conditions pénibles les marins-pêcheurs de la pointe de Penmarch doivent gagner leur vie. Et il leur a fallu un épouvantable sinistre pour attirer l'attention sur ces malheureuses populations. La question viendra prochainement en discussion à la tribune de la Chambre. Les représentants du Parti communiste, fidèles à notre programme de défense des travailleur, exigeront du Cartel des Gauches qu'ils tiennent les promesses qu'au nom de celui-ci M. Daniélou est allé faire aux pêcheurs de la côte bretonne.


JOURNAL L'HUMANITE du 04-06-1925

LES ENSEIGNEMENTS DE PENMARCH
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Il faut défendre la vie des pêcheurs
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La presse capitaliste n'a pas marchandé, après la catastrophe de Penmarc'h, ses larmes et ses manifestations de pitié. On a pleuré sur les victimes. On a célébré l'héroïsme des sauveteurs. On a ouvert des souscriptions pour les veuves et les orphelins : Bonne réclame ! Mais seule l'Humanité dit qu'il faut que cette épouvantable malheur serve de leçon. Il faut défendre la vie des marins qui sont sur cette côte sauvage, décimés par les naufrages. Pas tant de marques d'admiration, pas tant d'effusions : des actes, des améliorations matérielles pour protéger efficacement l'existence des pêcheurs. Et l'Humanité a envoyé un de ses rédacteurs, notre camarade Viquit, à Saint-Guénolé, à Kérity et dans les autres ports. Il s'est renseigné sur place. Son enquête, nos lecteurs ont pu le constater, établit, avec cent preuves à l'appui, que ces pauvres petits ports du Sud de la Bretagne sont démunis de tout ; c'est l'impression que j'avais rapportée moi-même de mon séjour dans la région, après la grève de Douarnenez.

Sans doute le marin, aux prises avec les éléments, risquera toujours sa vie, mais il y a un minimum de protection qui s'impose. Ce minimum fait défaut dans les petits ports. En premier lieu, il est clair que les antiques bateaux de sauvetage à rames devraient être remplacés partout par des canots à moteur. D'autre part, chacun de ces malheureux ports devrait être transformé, modernisé, débarrassé des roches qui en obstruent l'entrée, défendu par les jetées indispensables, éclairé par les feux réclamés depuis si longtemps par les travailleurs de la mer. Il s'agit, notons-le, non seulement d'augmenter dans une très importante proportion la sécurité des pêcheurs, mais encore d'assurer la rénovation économique d'un pays et d'une industrie.

Le Parti Communiste a jeté un peu de lumière sur ce problème, il continuera. L'Humanité reste à l'entière disposition des marins-pêcheurs. Le camarade Gauthier du parti communiste, suivra avec attention spéciale, toutes les questions qui les intéressent. Mais les marins auraient grand tort s'ils sous-estimaient la force d'inertie des pouvoirs publics. Ceux-ci promettront, mais continueront de réserver toutes les décisions utiles aux grands ports et aux plages de luxe où les puissants armateurs et les mondains exigeants font obtenir tout ce qu'ils veulent.

Pour vaincre cette résistance passive il faut la force d'action de l'organisation ouvrière. Qu'à l'exemple de leurs camarades les inscrits de Douarnenez, les marins constituent dans chaque port un puissant syndicat unitaire. Celui-ci dressera les revendications, les défendra, fatiguera les autorités du département et de l'Etat de ses réclamations, et enfin obtiendra des résultats. De même que le syndicalisme dans les vieux ports bretons a transformé la vie des ouvrières, de même il doit apporter des améliorations profondes aux marins.

A l'œuvre donc, camarade pêcheurs, renforcez vos syndicats d'inscrits maritimes, créez-en là où il n'y en pas encore.

Il n'y a pas meilleure façon pour honorer la mémoire des noyés de Penmarc'h, victimes du dénuement lamentable des vieux ports bretons.
D. R


Un dernier article a été mis sous presse six mois après la catastrophe... Je n'ai pu résister à la tentation de le rajouter : Il comporte une "étude" financière qui a un goût bien actuel.
Presque un siècle à passé, et rien n'a vraiment changé...


JOURNAL L'HUMANITE du 16-12-1925

LA MISÈRE DES MARINS DU COMMERCE
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Quelles sont les mesures prises par l'État
pour remédier aux naufrages

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"Le gouvernement examinera dans le plus bref délai tous les projets de travaux qui s'imposent pour donner des abris sûrs aux barques des pécheurs, des digues de protection contre les raz-de- marée et tous les engins de sauvetage que nécessite une côte aussi tourmentée."
(Extrait du discours prononcé par le ministre Daniélou aux obsèques des naufragés de Penmarch.)

Voilà de bien belles promesses. Mais qu'a fait le gouvernement, depuis ce temps-là, pour éviter le retour de pareils sinistres ou atténuer tout au moins leurs conséquences.
Répondons de suite par quelques chiffres :
En 1914, le budget de la marine marchande était de 98 millions et, était notoirement insuffisant.
Le budget prévu pour 1926 est de 288 millions, sur un budget global de 44 milliards. Si l'on tient compte que l'indice du coût de la vie est supérieur à 550 on conclut que les crédits actuels devraient être d'environ 540 millions pour correspondre à ceux d'avant-guerre.
Précisons, de plus, que sur ces 288 millions de crédit, 300.000 francs seulement sont prévus pour venir en aide aux marins victimes de la tempête, alors qu'en 1925 on a dû voter un crédit supplémentaire de 2 millions pour cela.
Lorsqu'un sinistre survient, comme celui de Penmarch, toute la presse bourgeoise pousse les hauts cris. On exalte l'héroïsme des pécheurs : Les officiels se déplacent, font quelques grands discours et distribuent quelques croix. On ouvre même une grande souscription nationale pour que les profiteurs de la misère ouvrière puissent se faire de la réclame à bon compte.
Puis on n'en parle plus, les ports restent dans le même état et les pécheurs demeurent en butte aux mêmes difficultés.

Des travaux d'aménagement sont nécessaires sur les côtes.

Et cependant de grands travaux seraient nécessaires dans les ports, sur la côte bretonne, qui est couverte de falaises et parsemée de récifs innombrables, les ports sont toujours tels que la nature les a créés. On a aménagé quelques grands ports et quelques plages à la mode, mais les ports de pêche n'ont subi aucun changement.
Depuis longtemps les pêcheurs demandent que les écueils qui causent tant de catastrophes soient éclairés.
Mais lorsque la municipalité de Douarnenez voulut entreprendre des travaux dans ce sens, les crédits nécessaires lui furent refusés. Pendant ce temps on continue à dépenser des milliards pour faire la guerre.
Il serait également nécessaire que, dans les ports, une chaîne transversale soit tendue pour que les barques ne puissent pas partir, à la dérive. Il faudrait tenir les promesses faites par M. Daniélou et construire des digues de,, protection contre les raz-de-marée. Mais tous ces travaux urgents n'intéressent pas nos gouvernants bourgeois. Et les pécheurs continuent tous les jours à risquer leur vie, en exerçant leur dur métier.

Les engins de sauvetage sont en mauvais état.

Les engins de sauvetage qu'il y a dans tous les ports, sont-ils au moins en bon état lorsqu'on doit y avoir retours ?
Hélas l'exemple de Penmarch est là pour nous prouver qu'une incurie criminelle existe sur ce chapitre comme sur tous les autres. Une inspection est passée à peu près régulièrement, mais on se contente généralement d'un rapide coup d'œil. On n'essaye pas les engins de sauvetage pour voir s'ils sont assez résistants, et lorsqu'un sinistre se produit on se trouve dans l'impossibilité de porter secours aux naufragés. Lors du naufrage de Penmarch, il fut remontré que, sur le bateau de Kérity, les cordages qui, en encorbellement, font le tour du plat-bord et qui servent aux naufragés à se maintenir sur l'eau ont cassé. Des marins ont affirmé que les cordages étaient sinon pourris, du moins en fort mauvais état. De plus, des bouées-ceintures ont lâché par les bretelles et par les ceintures, et les sauveteurs s'en sont trouvés démunis. D'autre part les canots de sauvetage ne répondent pas aux services qu'ils doivent rendre.
A Saint-Guénolé, l'abri dans lequel se trouve le canot est construit à angle droit avec la mer. Il se trouve, à marée basse, à 250 mètres, ce qui nécessite un travail toujours très long pour le rouler dans le sable et les rochers et le mettre à flot. On compte qu'il faut environ une demi-heure pour cela. Quand on sait que chaque minute perdue peut causer la mort des naufrages accrochés à des épaves, on jugera combien coupable est l'incurie des pouvoirs publics qui tolèrent un pareil état de choses.
Le cas de Saint-Guénolé n'est malheureusement pas isolé. Au Guilvinec il faut également une demi-heure pour mettre le canot de sauvetage a la mer.

Les pêcheurs réclament des canots à moteur.

La plupart des canots de sauvetage sont encore mus la rame. Ils doivent lutter contre la mer pour se rapprocher du lieu où s'est produit le naufrage. On a bien construit des canots moteur qui se meuvent beaucoup plus vite, mais il n'y en a que 17 sur les côtes de la Manche et de l'Atlantique. Ces 17 canots se trouvent, bien entendu, dans quelques grands ports ou quelques plages en vogue, tels que Dunkerque, Calais, Boulogne, Le Havre, Granville, Saint-Nazaire, La Rochelle, Trouville, Dieppe et Saint-Jean-de-Luz : Quant aux ports de pêche, on a laissé aux pêcheurs qui crèvent de faim, le soin d'acheter des canots moteur par leurs propres moyens.
Il serait, hélas bien long de relever tous les griefs que les pêcheurs ont à reprocher aux gouvernants bourgeois. Aussi l'on comprendra aisément la colère des pêcheurs contre ceux qui leur distribuent des croix et de beaux diplômes et ne font rien pour leur venir en aide.

J.Rocher


Almanach Vermot 1926


La côte bretonne a été,en mai 1925, le théâtre d'un drame maritime terrifiant, qui a coûté la vie à vingt-huit braves marins.

C'était le samedi 26, deux barques de pêche : le Saint-Louis et le Berceau de Saint-Pierre, près de Kérity-Penmarch, étaient sorties le matin par un beau temps ne laissant prévoir aucun changement brusque.
Cependant la brise fraîchit subitement et la mer devint de plus en plus houleuse. Bientôt, ce fut la tempête. Les barques ne pouvant tenir contre une mer aussi grosse, virèrent de bord pour rentrer au port, mais assaillies par les vagues déchaînées, elles ne purent l'atteindre et chavirèrent.

Les pêcheurs qui, de terre, assistaient à cette scène, n'hésitèrent pas à sauter dans leurs barques et à se porter au secours des malheureux naufragés qui luttaient désespérément contre la mort. Ils réussirent à en ramener dix à terre, mais vingt-huit avaient disparu.

Ces malheureuses victimes ont laissé vingt-trois veuves et quarante-cinq orphelins.

L'un des sauveteurs, le patron Le Gall, de la coopérative de Kérity, qui s'est particulièrement distingué dans ce périlleux sauvetage, en ramenant à lui seul cinq hommes, a reçu la croix de la Légion d'Honneur.