Christophe-Paulin de La Poix de Fréminville

Christophe-Paulin de La Poix de Fréminville, dit le Chevalier de Fréminville (°1787 à Ivry-sur-Seine - +1848 à Brest) est lieutenant de vaisseau (1811) puis capitaine de frégate de la Royale (1827). C'est aussi un savant, hydrographe, naturaliste, archéologue-"antiquaire" et écrivain français. Il est en outre chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis et de l'ordre du Christ du Portugal. Il fut membre de la Société Philomathique de Paris (fondée en 1788) et de la Société du Temple de Brest.

En 1822, il relâche pendant 3 mois aux Terres de Haut aux Saintes en Guadeloupe. Sauvé de la noyade (il ne sait pas nager) lors d'une de ses sorties naturalistes, le lieutenant est confié aux bons soins de Madame C. riche veuve Créole du Morne Maurel. Sa soeur Caroline, âgée de 19 ans le soigne. Malgré leur différence d'âge (il a 37 ans), ils tombent éperdument amoureux l'un de l'autre. Rétabli, il doit repartir précipitamment en mission. Celle que l'île entière appelle "princesse Caroline" se languit de son amoureux et influencée par les médisances croit avoir été trahie et abandonnée par son amour et se jette du haut du Morne Morel. Trois jours plus tard, Fréminville revient aux Saintes et apprend la mort de sa bien-aimée. Il ne s'en remettra jamais. A la fin de sa vie, il se travestira avec les habits de sa bien aimée et se fera appeler Pauline. La Société Brestoise finira par accepter Pauline de Fréminville jusqu'à sa mort en 1848. Les Mémoires du chevalier de Fréminville (1787-1848), capitaine des frégates du roi, seront publiées en 1913.

Auteur très prolifique, il écrit, entre autres, les Antiquités du Finistère (1835) et le Guide du voyageur dans le département du Finistère (1844) où il reprend pour Penmarc'h ce qu'il a déjà écrit dans ses Antiquités du Finistère (1835). 


Christophe-Paulin

Pauline

Antiquités du Finistère. Tome 1, seconde partie.


Antiquités du Finistère - Tome 2. Extrait des page 100 à 118.

Vers le soir je vis se dessiner à l'horizon un amas de ruines que surmontaient de distance en distance les tours massives de quelques grandes églises : c'était la ville de Kérity-Penmarc'h , jadis importante et florissante, aujourd'hui abandonnée. Je me hâtai d'y arriver, car depuis long-temps je désirais examiner en détail les ruines de cette ville, dont j'avais souvent entendu parler comme d'une chose fort remarquable.

Ville de Kérity-Penmarc'h

Le sol de la pointe de Penmarc'h est peu élevé ; c'est un plateau de roc recouvert d'un peu de terre sablonneuse et stérile ; mais ce plateau, dans une surface de près d'une lieue carrée, est couvert d'édifices antiques et de ruines dispersées çà et là, qui annoncent qu'autrefois il était occupé par une grande ville.

Deux groupes principaux de maisons, encore habitées, se remarquent à chaque extrémité de cet assemblage de décombres : l'un, le plus enfoncé dans les terres, et le plus à l'est par conséquent, forme ce qu'on appelle proprement le village de Penmarc'h ; l'autre, désigné par le nom de Kérity, est sur le bord de la mer, à l'ouest, précisément sur cette pointe d'où s'étend au large cette effrayante chaîne d'écueils si redoutés des marins.

Les ruines de murs d'enclos et de jardins de maisons fort considérables , qui couvrent l'intervalle qui sépare Penmarc'h de Kérity, prouvent que ces deux endroits étaient autrefois réunis, et faisaient partie d'un seul tout, ce qui donnait alors à la ville une étendue considérable.

Toutes les maisons que l'on y voit, soit en ruine, soit encore debout, portent, par leur architecture, le cachet des quatorzième et quinzième siècles. Comme la ville n'avait point de fortifications, sans doute à cause de l'étendue de son circuit, et que cependant elle était exposée à l'invasion des pirates et des Anglais qui y descendirent plus d'une fois, les riches particuliers qui l'habitaient s'étaient retranchés chacun chez eux, de manière à se mettre à l'abri d'un coup de main. On voit encore quelques-unes de ces grandes maisons entourées d'un mur crénelé et à mâchicoulis, et fortifiées par une tour au haut de laquelle était un petit beffroi destiné à sonner l'alarme aux premières apparitions de l'ennemi. Sur l'une de ces maisons fortes, la plus voisine de Kérity, on voit, au-dessus du portail gothique, l'écusson armorié de la famille de Cheffontaine. Une chose qui ne peut laisser et du nombre considérable de ses habitants, c'est le nombre et la grandeur de ses églises. On y en compte six en tout, savoir : 1° celle du bourg de Penmarc'h, proprement dit ; 2° celle des Templiers de Kérity ; 3° celle de Saint-Pierre ; 4° celle de Notre-Dame de la Joie ; 5° celle de Saint-Guénolé ; 6° la chapelle de Saint-Fiacre.

Église de Penmarc'h.

L'église de Penmarc'h est la plus grande de toutes ; elle a nef, bas côtés et Chapelles latérales. Cette église, dédiée à Saint-Nona, est d'un style gothique assez remarquable, quoiqu'un peu lourd. Les ogives de ses fenêtres ont de la grâce, et leurs compartiments, découpés avec art, ne sont pas dépourvus d'élégance. On remarque surtout, dans la fenêtre de la façade du bas côté, à gauche du portail, trois grandes fleurs de lys découpées dans la pierre qui supporte le vitrage, ce qui à dû être d'une grande difficulté d'exécution.

Le portail est pratiqué au pied d'une grosse tour carrée, garnie de contreforts ; c'est une grande arcade en ogive, enrichie d'ornements en feuilles de vigne. Plusieurs navires , curieux par leur forme singulière, sont sculptés à la façade ; ils peuvent donner l'idée de la construction bizarre des vaisseaux du quinzième et du seizième siècles, et prouvent en même temps que l'édification de l'église de Saint-Nona est due principalement à la munificence des armateurs de Kérity-Penmarc'h, qui faisaient un très-grand trafic, comme nous le dirons plus bas.

La maîtresse-vitre placée derrière le chœur est remarquable par la beauté de ses vitraux , où l'on voit encore les armoiries de plusieurs anciennes familles bretonnes qui, par leur générosité, ont aussi contribué à faire ériger l'église dont il s'agit.

On voit, en outre, au portail, une inscription très mutilée, en caractères gothiques carrés. La voici telle que j'ai pu la lire :

En lonr sainet Nona, lan mil CCCCCVIII , fut fondée
ceste église, et la tour en l'an ..... , dont estoit
recteur Kerugon.

J'ignore quel était ce Saint-Nona, auquel est dédiée l'église de Penmarc'h. On ne le trouve dans aucune légende, dans aucun catalogue des Saints de Bretagne, même parmi les Saints douteux.

Église des Templiers de Kérity.

L'église de Kérity , beaucoup plus ancienne que celle de Penmarc'h, doit son édification aux chevaliers du Temple. A l'élancement de ses ogives, et à leurs belles proportions, on doit reconnaître que cet édifice date de la fin du 13e siècle, époque où l'architecture gothique-arabe avait atteint l'apogée de sa perfection. Mais à la masse pesante de la tour carrée qui surmonte le portail, à la tourelle ronde servant de guérite de vedette, que l'on voit à son sommet, on reconnaît le style presque constamment observé dans les établissements des Templiers, monuments demi-religieux et demi-militaires, moitié églises, moitié forteresses.

L'intérieur de cette église , maintenant en ruines, n'a qu'un seul bas côté , particularité qui semble avoir été observée dans toutes les églises des Templiers , ou du moins dans le plus grand nombre, sans qu'on ait pu en expliquer le motif. Des personnes qui ont vu celle-ci dans son entier, m'ont dit qu'elle était décorée avec beaucoup de luxe. On y voyait beaucoup de statues en albâtre oriental ; il n'en subsiste plus qu'une, qui représente Saint-Jean, patron de l'ordre du Temple. On l'a transportée dans l'église de Penmarc'h , où je l'ai vue récemment.

Le maître-autel était aussi d'albâtre, orné de bas-reliefs gothiques, sculptés avec beaucoup de délicatesse, et dorés ; quelques fragments de ces bas-reliefs sont aujourd'hui jetés négligemment dans un coin de l'église de Saint-Pierre ; on pourrait les faire rentrer dans la restauration de l'église dont ils proviennent, et qui, à ce qu'on assure, va être réparée et restituée au culte.

Après l'expulsion des chevaliers du Temple de Kérity, leur église fut donnée à la paroisse, sous l'invocation de Sainte-Thumete. Sainte-Thumete, dont il serait curieux de connaître la légende, est encore du nombre de ces saintes et saints inconnus dont fourmille la Basse-Bretagne*, et dont la cour de Rome n'a jamais soupçonné l'existence, et ignore même le nom.

* Ce grand nombre de saints particuliers à la Bretagne provient de ce que, dans les premiers temps du christianisme, les habitants de cette contrée regardèrent et honorèrent comme saints, non-seulement les premiers évêques qui y répandirent les lumières de la foi, mais encore plusieurs curés et de simples anachorètes.

Église de St Pierre

En allant de Kérity vers la pointe sur laquelle est bâti le phare de Penmarc'h, on trouve l'église de Saint-Pierre, édifice très-bas, bien moins considérable que les deux précédents, mais où on doit remarquer une tour très-solidement construite, et qui servait à la fois de défense et de clocher. Cette tour est carrée, mais un de ses angles est coupé par un pan dans les deux tiers de sa longueur. A l'angle opposé à celui-ci est adossée une de ces tourelles terminées en cul-de-lampe et appelées, en terme de fortifications, nids d'hirondelles. Celle-ci est percée de meurtrières pour placer des arquebuses à croc.

Aux quatre principaux angles de la tour sont placées, à peu près vers le milieu de sa hauteur, des cornières qui représentent des figures bizarres d'hommes et d'animaux. L'une de ces figures d'hommes est représentée nue et occupée à une action de la dernière indécence; chose qui, comme nous l'avons déjà dit dans notre 1re partie, se voit dans beaucoup d'autres églises.

Aucune inscription, aucune date n'indique l'époque précise de la construction de celle-ci , mais elle ne me paraît pas devoir remonter au-delà du quinzième siècle.

Chapelle de N.-D. de la Joie

Un peu plus loin , en se dirigeant au nord, on voit la chapelle de N.-D. de la Joie, qui est un peu plus moderne, et n'a rien de remarquable que son nom. Il indique effectivement une substitution du christianisme dans un lieu consacré jadis au culte d'une divinité païenne. Nous l'avons déjà dit dans nos Antiquités du Morbihan, toutes les églises, toutes les chapelles qui portent les noms de N.-D. de la Joie, de N.-D. de Liesse, ou autres synonymes, sont construites sur des lieux où les Celtes rendaient hommage à une divinité qui réunissait les attributions de la Cybèle et de la Vénus des anciens Grecs.

Église de St Guénolé

Les belles ruines de l'église de Saint-Guénolé présentent un peu plus loin leur masse imposante et romantique. Sa façade est une grosse tour carrée, surmontée de guérites de pierre et garnie de contre-forts et de clochetons décorés d'ornements gothiques qui en dissimulent la masse. On y voit aussi des sculptures représentant des vaisseaux. Le portail est une fort belle arcade ornée de sculptures gothiques. Au-dessus est une grande fenêtre à trois divisions.

On voit à ce portail une assez longue inscription en caractères gothiques carrés, mais que le temps a rendus illisibles.

Au péristyle et parmi les ruines du chœur, sont sculptés plusieurs écussons armoriés, surmontés de casques garnis de leurs timbres ou cimiers , bourrelets et lambrequins. Parmi ces armoiries, qui sont celles des familles qui, par leurs dons, ont contribué à la construction de l'église, j'ai remarqué celles des Tanguy du Chastel, Kernisan et le Bastard de Mesmeur.

L'église de Saint-Guénolé paraît avoir été construite dans les trente dernières années du 15e siècle ; mais tout semble prouver que cet édifice n'a jamais été achevé, car, même avant la révolution de 1789, il n'avait ni flèche, ni couverture, et un de ses bas côtés était demeuré à moitié fait. Probablement les fonds auront manqués pour son achèvement, par suite de l'émigration des plus-riches habitants de Kérity-Penmarc'h ; car, ainsi qu'on va le voir tout à l'heure, c'est du commencement du 16e siècle que date la décadence de cette ville.

Chapelle de St Fiacre

La petite chapelle de Saint-Fiacre, bâtie tout près et en face de l'église de Saint-Guénolé, n'a rien qui mérite l'attention.

Après avoir examiné les édifices de Kérity-Penmarc'h et ses ruines si étendues, deux questions se présentent naturellement à l'esprit : 1° Qui peut avoir porté à bâtir une si grande ville dans ce lieu si écarté, si solitaire ? 2° Quel est le motif qui l'a ensuite fait abandonner au point qu'il y reste à peine aujourd'hui cent soixante habitants en tout, et en comprenant même dans ce nombre les marins classés ?

Voici comment nous y répondrons :

Les habitants de Penmarc'h étaient, dans des temps déjà fort éloignés, d'intrépides et hardis marins ; leur habileté, leur expérience de la mer leur attira la confiance, et tous les riches propriétaires de la Cornouailles leur confièrent, de préférence à tous autres, les marchandises dont ils voulaient trafiquer.

Un établissement maritime se forma donc à Penmarc'h ; bientôt les bénéfices et l'activité du commerce y attirèrent nombre de capitalistes et d'armateurs ; ils s'y fixèrent. Des artisans de toute espèce vinrent à leur suite, et la ville se forma et s'accrut progressivement.

Dès le 13e siècle, elle était déjà très-populeuse. Une circonstance particulière augmenta la source de ses richesses. A trente ou quarante lieues dans l'ouest de la pointe de Penmarc'h on trouvait, à certaine époque de l'année, un banc considérable de morues, poisson qui, comme on sait, transmigre en troupes comme le hareng et le maquereau. La pêche de ces morues, objet d'un commerce très-lucratif, plus encore dans le moyen âge qu'aujourd'hui, devint l'objet principal des spéculations des armateurs de Penmarc'h, qui, en outre , envoyaient un très-grand nombre de bateaux à celles du hareng et du merlus. On en voit la preuve dans un titre de l'an 1266 publié dans les anciens Jugements de la Mer, article 26, page 87 des constitutions du duché de Bretagne.

Mais, en outre, la ville de Kérity-Penmarc'h faisait, aux 14e et 15e siècles, un commerce très-étendu de grains et de bestiaux, de toiles, de chanvres, etc., avec les ports espagnols de la Gallice et des Asturies. L'appât des bénéfices immenses qui en résultaient séduisit tant de monde, que les laboureurs des paroisses environnantes les abandonnèrent, négligeant la culture des terres pour accourir à Kérity-Penmarch et s'y adonner au trafic. La chose même arriva au point qu'il fallut que l'autorité y mît un frein, afin que les champs ne demeurassent point en friche, et que la contrée ne fût pas ainsi privée de ses richesses territoriales. Une ordonnance ducale, relative au négoce de Penmarc'h, datée de l'an 1404 , s'exprime ainsi sur ce sujet :

Ordonnance du duc Jean V relative aux négociants de Penmarc'h

» Comme nous ayons sçu que plusieurs s'avancent à tirer et mettre hors ,le nostre pays plusieurs vivres, victuailles et aultres choses nécessaires pour la vie et néccessité des hommes, comme bestes d'aumailles, ouais, moustons, poulailles, porcs, beurres, œufs, graisses, cuirs, œuvres de cordouannerie, fil, lin, chanvre et aultres plusieurs espèces de denrées, vivres et victuailles, qui sont nécessaires pour la provision de nostre pays ; à quoi tirer et mettre hors, plusieurs couratiers, regrattiers, se sont aucunement appliqués par convoitise et avarice, et par la grande abondance de la pécune et de la monnaie qu'ils ont et du grand gain et profict qu'ils trouvent en ce faisant, et sont presque tous les gens du plat pays délaissant leurs labours à faire ; quelles choses sont cause et moyen de cherté qu'il est en nostre pays ; pourquoi nous désirons à ce pourvoir : faisons expresse défense à tous et chacun de nos subjects de non tirer et ne mettre hors par eux ne par autres ne bailler à estrangers pour les tirer, ne mettre hors, nuls ne aulcuns desdicts vivres, denrées ne autres choses quelconques, sauf seulement les vins , poissons , fourmens, sègles et seaux, et ce soubs le congié et licence de nous.»

D'après cela, on s'explique naturellement, et la prospérité passée de Kérity-Penmarch , et son étendue , et sa population.

Un port avec une longue jetée y existait pour recevoir les vaisseaux et les mettre à l'abri. Ou retrouve encore des vestiges de cette jetée en pierres de taille, qui s'étendait depuis Kérity jusqu'au rocher nommé la Chaise, qui en est à un quart de lieue en mer. Plusieurs des chemins qui serpentent parmi les décombres de Kérity portent encore des noms de rues ; il y a la Grand-Rue, la rue des Marchands, la rue des Argentiers ( des orfèvres ), etc.

Examinons actuellement les causes de la décadence et de l'abandon de cette cité.

La première fut due à la découverte de Terre-Neuve, en l'an 1500. La prodigieuse abondance de morues qui se trouvent sur les côtes et le grand banc de cette île, y attira promptement tous les pêcheurs de l'Europe. Les pêcheurs de Penmarc'h commençaient à éprouver des pertes ; les morues qu'ils prenaient dans leur voisinage avaient presque entièrement disparu. Soit qu'à force d'en pêcher, de puis plus de deux siècles, on en eût détruit l'espèce, soit que ces poissons, dans leurs transmigrations annuelles, eussent pris une autre direction, les Malouins, les Granvillais, les Bretons des côtes de Saint-Brieuc, armant en foule pour Terre-Neuve, leur enlevèrent le monopole de la pêche. Ce qui leur causa un préjudice immense, et dès lors plusieurs des plus riches armateurs de la ville la quittèrent pour aller chercher fortune ailleurs.

Cependant, au milieu du seizième siècle, Kérity-Penmarch était encore florissante par le grand commerce de grains et de vins qu'elle continuait de faire avec l'Espagne. On en voit la preuve par le privilège que lui accorda le roi Henri II, en 1556 ; privilège qui donne à celui de ses arquebusiers qui abattrait le Papegaut le droit de débiter quarante-cinq tonneaux de vins, exempts de toutes taxes et redevance*. Or, ce privilège n'avait pas été accordé même aux villes de Rennes et de Nantes. Celle de Kérity-Penmarc'h comptait alors parmi ses habitants près de trois mille arquebusiers, ce qui suppose que leur nombre total était encore considérable.


* A cette époque, pour exercer les gens des milices ou arrière-bans, et les rendre aptes au maniement des armes, on avait établi, dans chaque ville et bourg, un tir, où, chaque dimanche, ils allaient faire preuve d'adresse. Le but était un oiseau, appelé alors Papegaut, placé an haut d'un mât planté en terre. Il y avait une récompense pour ceux qui l'abattaient.

Mais, à dater de cette époque , avec le perfectionnement de l'art de la navigation arriva celui de la piraterie. Des corsaires descendirent fréquemment à Penmarc'h, pillèrent cette ville dénuée de fortifications, et leurs fréquentes apparitions dégoûtèrent beaucoup de gens de continuer à l'habiter. Les ravages qu'y commit Fontenelle, vers la fin de la guerre de la Ligue, achevèrent de la ruiner ; on l'abandonna, elle demeura presque déserte, et ses ruines ne sont plus habitées aujourd'hui que par quelques misérables pêcheurs.

Je terminerai cet article sur la ville de Kérity-Penmarch par une observation importante : Aujourd'hui que les monuments de l'ancienne France ne sont plus généralement considérés que comme des carrières de. pierres, ayant sur les autres l'avantage de fournir des matériaux tout taillés et appareillés, les ruines de Penmarc'h subissent le sort commun de tous les antiques jalons de notre histoire. La main des industriels les anéantit tous les jours dans une progression rapide. Ce fut en 1819 que je fus les visiter pour la première fois, alors elles présentaient encore un ensemble considérable. Mais lorsque j'y retournai, en 1833, elles étaient pour ainsi dire tellement éclaircies, on en avait tant détruit, que je ne retrouvai pas la moitié de ce que j'avais vu précédemment. Encore quelques années de ce déplorable système de destruction, et je ne doute pas que ces ruines intéressantes n'aient entièrement disparu. Si donc alors un voyageur antiquaire vient, mon livre à la main, reconnaître la cité de Kérity-Penmarc'h, et s'il la cherche vainement au lieu qu'elle occupait, qu'il ne taxe pas d'inexactitude et d'exagération la description que j'en ai faite, mais qu'il songe que le marteau et la pioche industriels sapent le matériel de la vieille France avec autant d'activité que la hache républicaine en a frappé jadis le personnel à mort.


Chapelle de Traon-Hoüarn

A une lieue an nord de Kérity, et à une demi-lieue dans l'est de l'Anse de la Torche, est la chapelle de Traon-Hoüarn, isolée au milieu d'une campagne inculte et solitaire. Elle est très-grande et d'un beau style d'architecture gothique. Elle est voûtée en pierre avec des nervures et des culs-de-lampe dans la retombée des voûtes et à leurs clefs. Sa nef est fort élevée ; il n'y a qu'un seul bas côté, comme dans la plupart des églises des chevaliers du Temple. Cette chapelle était une succursale de la maison des Templiers de Kérity. Elle ne renferme, du reste, ni tombeaux, ni statues, et je n'y ai vu nulle part de date, ni d'inscriptions.

En avant, on voit un calvaire, sur le soubassement duquel sont sculptées en ronde bosse quantité de figures représentant toute l'histoire de N. S. J. C. Les lichens et la mousse qui couvrent ces figures leur donnent une apparence bizarre et presque fantastique.

Chapelle de N.-D. de Buec :

En rentrant dans les terres , du côté de l'est, on trouve à peu de distance, les ruines pittoresques d'une autre chapelle appelée Chapelle de Notre-Dame de Buec. Elle m'a paru remonter à l'époque du 15e siècle. On voit au près une croix remarquable , et un Men-hir renversé probablement dans le temps où le monument chrétien a été élevé.

Monuments druidiques de Penmarc'h

Si, dans le moyen âge, le sol de la pointe de Penmarc'h a été occupé par la ville dont on voit encore les débris, on ne peut douter qu'à une époque bien plus ancienne, avant l'introduction du christianisme, et même avant son ère, il existait aussi au même lieu une cité celte très-importante, à en juger d'après le nombre et la grandeur des monuments celtiques dispersés dans les environs.

Le premier est un Dolmen qui se voit au milieu des maisons même de Kérity ; trois pierres debout et une horizontale le composent. Ce monument a été respecté pendant des siècles par les habitants de la ville ; je l'ai vu encore en 1819 ; il est aujourd'hui détruit.

Près de la chapelle de N.-D. de la Joie est un Men-hir de sept pieds et demi de hauteur.

Au milieu de la plaine, entre la chapelle de Traon-Hoüarn et celle de N.-D. de Buec , on voit un Men-hir considérable ; il a quinze pieds de haut ; son sommet se termine en pointe, mais sa base est très-large, elle a dix pieds et demi sur l'une de ses faces. Le poids et l'énorme masse de cette pyramide de granit ont sans doute opposé à sa destruction des obstacles insurmontables. Du reste comme toutes les autres de ce genre , elle est tout à fait brute. Elle marque, sans doute, la sépulture d'un chef fameux ; car, pour un personnage vulgaire, on n'aurait sûrement employé ni le temps, ni le nombre de bras qu'il a fallu pour dresser et planter une masse aussi étonnante. Une fouille faite au pied amènerait , selon toute apparence, quelque intéressante découverte.

Auprès du bourg actuel de Penmarc'h dans un champ qui borde la route de Pont-l'Abbé et tout près d'une ferme appelée Kerscaven, on voit deux antres Men-hirs plantés auprès l'un de l'autre ; ils sont plus haut que le précédent, car ils ont vingt pieds d'élévation. L'un d'eux est remarquable par sa forme, bien plus large à son sommet qu'à sa base, sillonné et rongé par le temps. Il offre, par le haut, l'apparence d'une main étendue, ou, si l'on veut, d'un éventail à moitié ouvert.

En continuant de suivre le chemin qui mène de Penmarc'h à Pont-l'Abbé, on arrive à l'ancien manoir de Gouesnac'h, aujourd'hui converti en ferme. Derrière les servitudes de ce manoir, on voit un Dolmen bien conservé ; sa plate-forme a six pieds de long sur huit de large; elle est supportée par trois pierres debout, à une hauteur de cinq pieds et demi. Un corridor, ou avenue composée de deux rangs de pierres plantées parallèlement en terre, précède la chambre du Dolmen.

Sur le dessus de sa plate-forme sont quatre trous ronds pratiqués de main d'homme , et disposés de cette manière. Étaient-ils destinés à recevoir le sang des victimes égorgées sur cet autel ?

Plus loin, dans un champ inculte, à droite de la route, est un second Dolmen ; mais celui-ci a été mutilé, ses appuis ont été détruits, et sa plate- forme repose à plat sur la terre. C'est une large pierre en forme de table à peu près ronde, et ayant vingt-quatre pieds de diamètre, sur une épaisseur de quatre pieds. Que d'efforts n'a-t-il pas fallu pour soulever une masse semblable, lorsqu'elle reposait sur ses piliers !

Enfin , un troisième Dolmen se voit à peu de distance de celui-ci, sur le bord même du chemin. Il est en bon état, et c'est un des plus beaux que j'ai trouvés en Cornouailles. Sa plate-forme est une pierre plate, longue de sept pieds et demi, et large de neuf; elle est portée sur quatre pierres plantées debout, une cinquième, du côté droit , est plantée un peu en avant, et n'a rien à soutenir.

On a amoncelé des terres en avant de ce monument , de sorte que de ce côté il ne s'élève qu'à cinq pieds au-dessus du sol , tandis que par derrière sa hauteur totale est de neuf pieds.

Les paysans des environs le connaissent sous le nom de Ti-C'horriquet ( la maison des nains ). J'ai déjà dit , dans mes Antiquités du Morbihan, que quelque gigantesques que soient les monuments druidiques, ils passent toujours dans l'esprit des paysans bas-bretons pour avoir été l'ouvrage des korrics, ou gaurics, race de nains aux quels ils attribuent un pouvoir surnaturel.*


* Dans les autres parties de la France , les monuments celtiques sont au contraire, suivant l'opinion populaire, l'ouvrage des géants, de Gargantua, etc.