L'ECHOUAGE DU CHALUTIER ESPAGNOL HUERTA le 23 Octobre 1937 (Fin)

L'ECHOUAGE SELON LES ANNALES DU SAUVETAGE, 2ème SEMESTRE 1937

(Rapport du Maître guetteur Guillou, Secrétaire du Comité de Sauvetage)

SAINT-PIERRE PENMARC'H (Finistère).

Le 23 octobre, à 6 h. 15, je faisais une veille attentive à l'approche du

jour en raison du mauvais temps et du fait que le guetteur Bariou avait
signalé la veille au soir deux chalutiers espagnols remplis de réfugiés, l'un rentrant à Guilvinec, l'autre à Quimper. En scrutant la mer à la longue vue, je distinguai à 3 milles W-N-W la silhouette imprécise d'un petit chalutier tenant la cape sans aucun feu. Aussitôt je téléphonai à mon guetteur de venir me seconder immédiatement au poste et j'envoyai un pêcheur prévenir le patron du bateau de sauvetage de rassembler immédiatement son équipage et de se tenir prêt à appareiller à mon premier signal. J'appelai également le maître de phare, M. Houchoua, Président du Comité.
Ne perdant pas de vue le bâtiment, nous avions la stupéfaction de le voir mettre le cul à la lame à 6 h. 25 et le cap droit sur le sémaphore en laissant le phare du Menhir légèrement par tribord dans des parages qui ne sont que bas-fonds brisant à blanc. A ce moment nous nous rendions compte qu'il était chargé à couler bas, son pont recouvert d'une grappe humaine, et que cette manœuvre de faire côte, coûte que coûte, était nécessitée par sa position intenable car il était submergé par les paquets de mer.
Prévoyant le drame rapide qui pouvait se dérouler, nous avons aussitôt précipité l'alarme (pavillon noir appuyé de deux coups de canon) et informé les stations voisines. Jugeant que les secours de ces stations auraient été tardifs je priai les pêcheurs de tenter l'impossible pour armer leurs pinasses. En raison du grand nombre de vies humaines à sauver, le canot de sauvetage de Saint-Pierre se serait trouvé débordé. A 6 h. 50 la pinasse à moteur du patron LUCAS appareillait en même temps que notre canot de sauvetage, le Léon-Dufour. A 6 h. 55 le chalutier après avoir franchi miraculeusement la ligne des brisants venait s'échouer à 100 mètres dans le Nord-Ouest du sémaphore où, après de graves soubresauts et violents roulis le couchant de tribord à bâbord, il arrivait à se stabiliser assez vite sur les rochers plats et il se trouvait en assez bonne posture pour le sauvetage. La pinasse du patron LUCAS l'accostait aussitôt et embarquait précipitamment 25 personnes, mais elle dut se retirer immédiatement, tout son bordage tribord défoncé, son étrave arrachée. Elle réussissait cependant à rentrer au port et à y débarquer son chargement.
Notre canot de sauvetage Léon-Dufour accostait aussitôt et en deux tournées d'une manœuvre remarquable sauvait 41 personnes.
Le patron BOUGUEON (Michel) et ses hommes avec une très grande plate tenant bien la mer, en quatre tournées sauvait 54 hommes.
Tous ces sauveteurs, marins spécialisés dans la manoeuvre parmi les brisants de notre pointe, ont eu une conduite admirable, d'autant plus qu'au moment où, sans hésiter, ils ont pris la mer ils couraient les mêmes risques qu'en 1925, si comme tout permettait de la supposer le chalutier avait touché avant d'arriver à la côte, la culbute instantanée était certaine. Les patrons STÉPHAN et BOUGUÉON sont des rescapés de l'accident de 1925.
Les naufragés furent groupés à l'hôtel d'Eckmuhl où ils reçurent les soins que nécessitait leur état.
Embarqués à Aviles, près de Gijon (Espagne), le 20 octobre, à 18 heures, ils étaient sans vivres et avaient eu à supporter dans des conditions déplorables, sur une coque de noix de 30 tonneaux, une violente tempête et une pluie torrentielle.
La population de Penmarc'h a bien accueilli tous ces malheureux épuisés, délabrés et chacun apportait ce qu'il pouvait comme effets secs et chaussures.
Toutes les autorités civiles et militaires sur les lieux, avisées par nos soins, se sont occupées de désarmer les soldats et, après les avoir soignés, les ont dirigés dans l'après-midi sur la Colonie de Poulgoazec, près d'Audierne, par ordre de M. le Préfet du Finistère présent avec M. SCHMITZ, Administrateur de l'Inscription Maritime à Guilvinec.
Sur les conseils de M. l'Administrateur, les pêcheurs à la pleine mer
du soir ont effectué le sauvetage du chalutier qu'ils ont conduit à Guilvinec.
Le canot de sauvetage Léon-Dufour a été remisé intact à son abri. Il
est prêt, le cas échéant, pour de nouvelles missions.

Le Maître-Guetteur,
Secrétaire du Comité de Sauvetage,
GUILLOU.

LES RECOMPENSES AUX SAUVETEURS

Extrait des Annales du Sauvetage Maritime 2ème sem. 1937) La Société Centrale de Secours aux Naufragés a décerné en Mai 1938 à la Sorbonne, les récompenses suivantes aux équipages de son canot de sauvetage de SAINT-PIERRE-PENMARC'H :


Médaille d'Or du Vice-Amiral de Jonquières au patron STEPHAN (Thomas).
Médailles d'Or aux patrons LUCAS et BOUGUEON. 

Médaille d'Argent Maurice Théry au sous-patron FLOCH (Vincent).

Médailles de Bronze aux canotiers LE BRUN (Corentin) et DRÉZEN (Corentin).

Prix Marie-Antoinette Bourgeois (2.000 francs).
Prix Emile Robin (500 francs) à l'armement du canot de sauvetage Léon-Dufour.
Prix François-Henry Provensal (1.000 francs) aux armements des embarcations de secours.

Le 23 octobre 1937, avant le lever du jour, le guetteur du sémaphore de Penmarc'h aperçoit au large la silhouette imprécise d'un petit chalutier qui ne montre aucun feu.
La tempête de S.-0. souffle avec une extrême violence; la mer, démontée, brise avec fracas sur les plateaux de roches qui entourent la pointe.
Aux premières lueurs de l'aurore, le chalutier, qui semble tenir la mer très péniblement, met brusquement le cap vers la terre et se dirige en plein sur les brisants. A ce moment, on peut se rendre compte qu'il est chargé à couler bas, que son pont est encombré de réfugiés espagnols submergés constamment par les paquets de mer. C'est leur situation désespérée qui pousse ces malheureux à faire côte dans des conditions qui ne leur laissent que bien peu de chances de salut.
Mais les vaillants sauveteurs de Penmarc'h ne vont pas assister passifs à l'affreux drame qui se déroule sous leurs yeux.
En un instant tous les moyens de sauvetage immédiatement utilisables entrent en action.
Le canot de sauvetage Léon-Dufour est lancé. Comme il ne pourra pas prendre la totalité des naufragés, deux embarcations sont armées par les patrons LUCAS et BOUGUEON.
Cependant le sauvetage se révèle singulièrement difficile.
Le chalutier après avoir franchi miraculeusement la première ligne des brisants, s'est échoué sur les roches après avoir subi de terribles soubresauts qui l'ont incliné sur un bord.
Accostant le premier, le patron LUCAS embarque précipitamment 25 naufragés. II doit aussitôt déborder, car dans un violent coup de roulis son bordage tribord a été défoncé et son étrave arrachée.
Le canot de sauvetage Léon-Dufour s'approche ensuite. Manoeuvrant avec une habileté remarquable, le patron STEPHAN réussit en deux tournées à mettre à terre 41 naufragés.
Le patron BOUGUÉON à son tour sauve en quatre tournées 54 naufragés.
Seuls, des marins spécialisés dans la manoeuvre au milieu d'aussi dangereux brisants pouvaient mener à bien une tâche aussi périlleuse. Ils ont tous fait preuve d'un courage et d'un dévouement dignes des plus grands éloges.
Les 120 Espagnols étaient à la mer depuis deux jours et demi. Partis précipitamment des environs de Gijon, sans vivres, sans eau, entassés sur un petit bateau de 30 tonnes, ils avaient traversé le Golfe de Gascogne au fort d'une tempête très violente. A bout de forces, ils auraient infailliblement péri si les sauveteurs de Penmarc'h avaient montré la moindre hésitation à affronter des dangers qui auraient fait reculer des hommes moins audacieux.
Les patrons STÉPHAN et BOUGUÉON et le canotier DRÉZEN ont déjà reçu, en 1929, chacun une Médaille d'Or en témoignage de la vaillance dont ils avaient fait preuve dans une tentative de sauvetage au cours de laquelle les trois quarts de l'armement du canot de sauvetage de Saint-Pierre-Penmarc'h avaient trouvé une mort glorieuse.