LE MONDE ILLUSTRE

Voici l'inauguration du Phare d'Eckmühl telle qu'elle a été relatée dans le MONDE ILLUSTRE.


Le phare d'Eckmühl à Penmarch

(Retranscription du texte) La mer tourmentée et puissante qui bat les flancs déchiquetés de la côte extrême-ouest de l'Armorique est semée d'écueils et ses côtes granitiques sont partout hérissées de dangereux récifs.

Déjà plus de cinquante phares, de plus en plus perfectionnés, sont échelonnés de l'île du Four à Penmarch, sur moins de vingt lieues de traversée et les ponts et chaussées ont tout balisé sur ces rivages; mais ce n'est pas encore assez pour la mer des naufrages et la côte redoutable des « pilleurs d'épaves. A cette région périlleuse, il faut de puissants avertisseurs électriques et sonores. La généreuse pensée posthume de la fille d'un maréchal de France, Mme la marquise de Blocqueville, née Davout d'Eckmühl, vient de combler le voeu humanitaire de l'Etat en ce qui concerne la pointe dangereuse de Penmarch.

A la pointe extrême de Penmarch s'élevait un phare de 41 mètres de haut, mais reconnu comme insuffisant comme phare de grand atterrage dans ces parages dangereux. Aussi la Commission instituée par l'Etat, d'accord avec l'exécuteur testamentaire de Mme de Blocqueville, choisit elle-même la pointe de Penmarch pour y établir le puissant Phare d'Eckmühl, qui résume tous les perfectionnements de la science optique et de l'éclairage, tout en étant le plus complet qui existe de nos jours. Commencé le 18 septembre 1893, ses travaux ont duré juste quatre ans et ce phare a été inauguré et allumé pour la première fois le 17 octobre dernier, en présence de la famille d'Eckmühl et des hauts fonctionnaires des Ponts et Chaussées et du Ministère des Travaux Publics.

Le Phare d'Eckmühl est situé à l'extrême-ouest et à la pointe de la grande et triste presqu'île de Penmarch, couverte de ruines et de rocs déchiquetés.
Placé à une centaine de mètres seulement de l'ancien phare de Penmarch, que l'on va éteindre en même temps que l'on allumera le nouveau, ce phare s'élève à 64 mètres au-dessus des plus hautes mers. C'est une superbe et gigantesque tour octogonale en granit de Kersanton et qui défie les corrosions du pays des brumes salées. Elle repose sur une colossale base carrée de douze mètres de côté et d'autant de hauteur, ornée de bandeaux et de jolies moulures. Au-dessus de la porte d'entrée se lira en gros caractères cette inscription :

PHARE D'ECKMUHL – 1893

On atteint la corniche en mâchicoulis du sommet qui est entourée d'un élégant parapet aussi en granit par une interminable spirale intérieure de deux cent cinquante-sept marches de pierre. Si elle est un peu pénible, cette ascension mérite d'être faite. D'abord, on peut y admirer à l'aise deux magnifiques travaux d'art : la rampe en bronze de l'escalier qui a coûté près de 80.000 franc, et l'ornementation des parois du phare tout revêtus de superbes carreaux d'opaline, le tout évalué 25,000 fr. Puis la vue superbe et immense sur les côtes bretonnes de ce belvédère de granit, dédommage
encore amplement le touriste.

Là, à cinquante mètres au-dessus des vagues est le salon d'honneur du phare; pièce octogonale percée de huit fenêtres, dont quatre sont fermées par des glaces biseautées où est placée la réduction de la statue du maréchal Davout, prince d'Eckmühl, qui orne une des places d'Auxerre. A côté sont la liste des batailles où il a assisté et une inscription commémorative sur une plaque de marbre.

A côté du salon d'honneur, et sur la même plateforme est la cabane métallique de la sirène du phare. Cette puissante sirène s'entendra de fort loin, puisque l'intensité des sons produits doit correspondre à un travail moteur d'environ 160 chevaux-vapeur.

De la plate-forme, un escalier de fer conduit à la lanterne du phare, dont le plan focal est à soixante mètres au-dessus du niveau des hautes mers. Elle est couronnée d'une élégante coupole ornée d'une rose des vents et recouverte d'un paratonnerre. C'est là que seront installées en permanence les deux lanternes perfectionnées qui jetteront sur l'immensité des flots une intensité lumineuse qui pourra être portée jusqu'à trois millions six cent mille becs-carcels, soit celle de près 40 millions de bougies et que l'on verra de plus de 45 milles soit plus de cent kilomètres.

Le service hydrographique de la marine a déjà fait connaitre dans tous les ports du littoral et aux navigateurs que ce nouveau et puissant feu électrique a été allumé dès le soir du 17 octobre, jour de son inauguration, et qu'il est à éclats blancs réguliers se succédant de cinq en cinq secondes. Au pied même du phare, sont les logements des gardiens et mécaniciens, et deux batiments réservés à la machinerie.

Ce phare électrique, qui n'aura pas de rival dans le monde entier, est l'oeuvre des principaux et savants ingénieurs qui dirigent avec tant de talent notre administration des phares : MM. Bernard, Bourdelle, Considère, etc. Le conducteur principal de ces longs travaux est M. Probesian un intelligent et énergique Brestois.