LES ATTRIBUTIONS ANNUELLES DU MEMORIAL, (suite et fin)

1929 - CALAIS


Il y a, au large de notre merveilleux port de Calais, de mauvais partages que connaissent bien les marins de la côte. Il y a notamment les parages du phare de Walden. La tempête, quand elle souffle du nord-ouest les rend plus mauvais encore. Malheur alors aux navires, grands ou petits, qui s'y laissent pousser par la mer !
Par trois fois, l'an dernier, une catastrophe a failli s'y produire. Par trois fois, le canot de sauvetage à moteur Compagnie-Générale-Transatlantique, commandé par le brave patron Delannoy, a dû sortir. Et, par trois fois, grâce lui, un désastre a été évité et des Vies humaines ont été sauvées.
La première fois, ce fut le 21 mars 1928, à l'aube, quand un steamer norvégien, le Talleyrand, s'échoua malencontreusement à 500 mètres environ du phare de Walden. Immédiatement alerté, le canot est mis à l'eau et s'élance vers le phare. La mer est grosse. Le vent souffle dur. Cependant, le capitaine du Talleyrand décide de tenter la chance et d'attendre la marée montante pour essayer de remettre à flot son navire. Fidèle sa mission, le canot de sauvetage attend avec lui. Pendant trois heures, il monte la garde, prêt à toute éventualité et ne quitte ce lieu de la mort que quand, remorqué par un vapeur de Calais, le steamer a pu s'en arracher. Alors, paisiblement, le canot rentre au port.
La seconde fois, ce fut, le 1er juin dernier, en plein après-midi. Le sémaphore signale qu'un petit bateau de pêche à voile, le Don-de-Dieu, a été jeté sur les brisants et va périr. Son salut est une question de minutes. Le canot de sauvetage part à toute vitesse et fonce droit sur les brisants. Cette fois, on est en pleine tempête et, les flots démontées ne permettent ni manœuvre, ni louvoiement. Qu'importe ! On ne manoeuvrera pas. Arrivés sur le lieu du sinistre, les sauveteurs constatent que le malheureux bateau de pêche est déjà aux trois quarts submergé par les vagues. Seul, un homme, un vieillard, le pêcheur Carriotte, âgé de soixante ans, s'accroche désespérément à ses débris. On lui jette une amarre. Avec des difficultés inouïes, on parvient à l'embarquer. Il était temps, car à peine avait-on viré pour rentrer au port, que ce qui restait du Don-de-Dieu disparaissait à tout jamais dans les profondeurs de la mer déchaînée. A son actif, la Compagnie-Générale-Transatlantique avait de son côté, une vie humaine.

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Il devait en avoir bien davantage, le 22 novembre, quand il opéra sa troisième sortie, alors que tout près encore du phare de Walden, un bateau, avait naufragé. Mais rien ne vaut souvent, dans son laconisme admirable, le rapport officiel de nos sauveteurs. Voici le très simple bulletin que, le lendemain, le président du comité calaisien adressa à la Société Centrale de sauvetage. Je le reproduis, sans y rien ajouter. Il se suffit à lui-même :
Notre canot se dirigea par ses propres moyens, et parvint sur les lieux malgré un fort vent de N.-O:, une mer très dure et très grosse. Le patron Delannoy fit alors jeter l'ancre pour venir debout à la lame mais cette manœuvre s'effectua non sans difficultés, en raison de la mer houleuse et des paquets de mer qui passaient par-dessus bord.
Un va-et-vient put enfin, être établi afin de pouvoir approcher aussi près que possible du bateau naufragé, le dundee français Espérance, du port de Tréguier.
Cette manœuvre fut considérablement gênée par la grande voile du dundee qui était tombée à la mer, le long du bord, et après des efforts surhumains, les quatre naufragés qui se trouvaient à bord purent enfin être embarqués et ramenés au port de Calais vers 10 heures du matin.
Le commandant de port Crequer fit conduire aussitôt ces hommes auprès de M. l'administrateur principal de l'inscription maritime.
L'équipage de notre canot se composait, en plus du patron Delannoy, du sous-patron Pérard, du mécanicien Plé, et des canotiers Jules Brasse, Edouard et Eugène Ledez.
J'ai pensé qu'il vous serait agréable d'apprendre ce nouveau sauvetage accompli par nos vaillants sauveteurs équipiers calaisiens,
Le président du comité de sauvetage,
Léon Vincent.

Tel est le modeste récit du magnifique sauvetage qui, le 22 novembre 1928, fut opéré au, large de Calais par le canot Compagnie-Générale-Transatlantique.
Le dimanche 5 mai prochain, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, ce récit sera fait à nouveau avec d'autres non moins émouvants à l'assemblée générale de la Société centrale de sauvetage des naufragés, qui se tiendra sous la présidence de l'amiral Touchard.
Et il sera en même temps annoncé que, pour commémorer cette série de silencieux exploits, le Mémoral du Matin sera attribué pour 1928, au port de Calais. Il sera solennellement remis à cette ville le 21 juillet, au cours des belles fêtes qui doivent s'y dérouler à l'occasion de la grande Semaine Maritime.

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Depuis qu'il existe le Mémorial a toujours été attribué par le comité national qui en a la libre disposition (1) à de braves gens pour des actes de bravoure. Tour à tour Kérity-Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarch, Honfleur, Quimper l'ont eu en dépôt. Cette fois encore, il ira attester que si la colère de la mer ne désarme pas, le courage de nos sauveteurs ne désarme pas non plus. Chaque jour, la lutte contre la mort, organisée par la Société centrale de sauvetage se perfectionne. Mais il y a une chose qui n'est point perfectible car elle a atteint le maximum de perfection c'est le culte du sacrifice et la ferveur de dévouement de nos marins. Les hommes de Calais, sentinelle avancée qui, la France doit tant de pages héroïques de son histoire, l'ont au même degré que les hommes de Bretagne, de Normandie ou de toutes nos côtes. Aussi le groupe de bronze de Falize, qui pendant un an va leur être confié, n'est-il qu'un faible hommage rendu la vaillance de leur cœur.

Stéphane Lauzanne

(1) Le comité est composé de MM. de Kerguézec, sénateur, président de la commission sénatoriale de la marine le commandant ; Le Verger administrateur délégué de la Société centrale de sauvetage des naufragés ; Lémery, sénateur, président de l'Union navale paritaire ; Rondet-Saint, directeur de la Ligue, maritime française.


1930 - CALAIS


Et voici qu'une fois de plus, selon une pieuse tradition, le Matin doit parler à ses lecteurs de tous les actes d'héroïsme qui s'accomplirent, l'an dernier, le long des côtes de France. Car, de même que les arbres reçoivent leurs feuilles vertes, de même nous recevons, nous, la brochure verdoyante de la Société centrale de sauvetage des naufragés. Elle vient nous rappeler qu'une année encore s'est passée, qu'il y a eu de mauvais jours pour nos rives et nos ports, qu'il y a encore eu des tempêtes, des sinistres, des victimes et qu'il y a eu aussi des héros.

La Société qui, depuis sa fondation, a secouru 1.898 navires et sauvé 28.135 vies, humaines, a, au cours de l'année 1929, redoublé d'efforts et d'énergie. Soixante-cinq fois, par les rafales les plus atroces, ses canots sont sortis et ont ramené à terre 88 naufragés. En outre, les menus engins et porte-amarre ont sauvé 83 personnes. Au total, 171 êtres humains ont été arrachés à la mort.
Comme toujours, le comité, national (1) chargé d'attribuer chaque année le Mémorial du Matin a cherché à discerner, parmi tant d'admirables sauvetages, quel fut le plus admirable ou, en tout cas, le plus digne d'être récompensé. Après avoir tout examiné, il a décidé que le Mémorial resterait attribué à la ville de Calais, car Calais a, en 1929, multiplié les exploits. A notre grande cité du Nord, à ses magnifiques marins, à son énergique maire, M. Léon Vincent, qui est d'ailleurs président du comité de sauvetage, sera donc confiée, pendant une année encore, la garde du challenge de bronze.

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Huit sorties dramatiques, les 23 janvier, 2 mars, 27 mars, 28 mai, 1er juin, 8, 14 et 22 novembre, et dix-huit vies humaines sauvées, tel est le bilan de Calais pour l'année écoulée. Le plus bel exploit est celui qui s'accomplit dans la nuit du 13 au 14 novembre dernier, quand, sur le coup de 4 heures du matin, l'officier de service du port fit prévenir le patron Delannoy qu'un bateau venait de s'échouer à l'est du phare de Walden, qu'il demandait du secours et qu'il fallait se hâter.
Le canot à moteur Compagnie-Générale-Transatlantique est aussitôt mis à la mer. Il sort du port par une mer déchaînée et fait route vers le lieu du sinistre. Pour se reconnaître dans la nuit noire, il tire des fusées rouges auxquelles répondent du bateau naufragé d'autres fusées. Enfin, il approche du théâtre du drame. Le bateau naufragé est un chalutier à vapeur de Boulogne, le Ludovic-Maria, qui n'a pas moins de vingt hommes à bord. Impossible d'accoster à cause des vagues qui déferlent. La seule chance de salut est de lancer des amarres, le long desquelles les hommes s'accrocheront et se laisseront glisser. Ainsi est fait. Dix-huit naufragés, un à un, au prix d'efforts inouïs, passent du chalutier dans le canot. Les deux derniers le patron et un matelot refusent de quitter le bord. On les appelle. On les supplie. Inutile. Le patron s'obstine à rester sur son bateau et le matelot à rester avec le patron. En désespoir de cause, le Compagnie-Générale-Transatlantique regagne Calais où il débarque ses dix-huit rescapés. Il fait maintenant grand jour et la nuit a été rude pour les sauveteurs. Mais ceux-ci estiment que leur tâche n'est pas terminée. N'y a-t-il pas toujours là-bas, à l'est de Walden. deux êtres humains en danger de mort et qui se débattent sur une épave ?
Le Compagnie-Générale-Transatlantique n'hésite pas. Il ressort dans la tempête, retourne sur le lieu du sinistre, insiste pour ramener a terre les deux derniers naufragés. Mais ceux-ci, obstinément, farouchement, refusent. Si leur bateau coule, ils couleront avec lui. Aucune prière, aucune objurgation n'aura raison de leur entêtement sublime. « Alors, dit laconiquement le rapport officiel du maire de Calais, le canot de sauvetage mit le cap sur le port, où il rentra à 11h. 30 du matin. » Tel est le récit du drame qui se déroula au large de Calais, le 14 novembre dernier, à 4 heures de relevée. Et tel est l'exploit qui, parmi plusieurs autres, vaut à notre vieux et cher port de garder le trophée de bronze que tailla le ciseau du maître orfèvre Falize. Toujours il fut confié à de braves gens pour un acte de bravoure. Jamais il n'aura été confié à de plus braves gens. Culte du sacrifice, sens du dévouement, courage tranquille devant la mort, ils ont tout cela à un degré sublime et magnifique. Et, d'année en année, ils nous montrent que la colère de la nature n'a de prise ni sur la vaillance de leur cœur ni sur l'abnégation de leur âme.

Stéphane Lauzanne.


(1) Le comité est composé de de Kerguézec, sénateur, président de la commission sénatoriale de la marine ; le commandant Le Verser, administrateur délégué de la Société centrale de sauvetage des naufragés ; Lémery, sénateur, président de l'Union navale paritaire ; Rondet-Saint, directeur de la Ligue maritime françaises.


1931 - LES SABLES D'OLONNE


La mi-juillet est par tradition, pour la France, une période de magnificence céleste. Elle l'est notamment pour nos rives de l'Atlantique et pour cette plage vendéenne des Sbles-d'Olonne, dont l'immensité somptueuse se pare alors de toutes les grâces d'un merveilleux soleil. Mais l'Océan ne respecte pas toujours la tradition, et ses colères suivent, hélas de près ses sourires.
Il en fut ainsi le matin du 18 juillet 1930, lorsque, brusquement, le ciel se chargea de nuages sombres et le vent se mit à souffler de l'ouest avec furie.
« Nous allons avoir du vilain », dirent les vieux pécheurs vendéens, qui connaissent leur Atlantique.
Il y eut plus que du vilain il y eut du tragique.
Le sémaphore, soudain, signala un bateau perdu au large. Le canot de sauvetage sortit. Il s'élança sur les flots déchaînés, s'enfonça vers l'horizon sinistre, disparut aux regards, des hommes de la terre. Quand il revint, il traînait à la remorque une vedette, la Petite-Jeannette, qui, la quille en l'air, n'était plus qu'une épave. Au prix de difficultés inouïes, il réussit à la ramener au port. Et, ayant fait son devoir comme tout bon canot de sauvetage, il rentra lui-même au bercail.
Mais midi sonne, les heures passent et l'ouragan, loin de s'apaiser, redouble de fureur. En plein après-midi, voici que le sémaphore arbore à nouveau son pavois de détresse. Y aurait-il encore un navire en perdition ? Oui, il y en a encore un. Cette fois, c'est un dundee, le Germaine-René. Il appelle au secours ou c'est la mort. Très bien ! On le secourra. Et le canot de sauvetage repart une seconde fois. Il livre à nouveau, le soir, la lutte effroyable qu'il a livrée le matin. Et il la gagne à nouveau. Mais écoutez le procès-verbal de la Société centrale de sauvetage des naufragés, car rien ne vaut le langage, sublime, dans sa simplicité, de nos héros de la mer quand ils racontent leurs exploits.
« Le dundee Germaine-René, courait dans la grosse mer un très grand danger. La manœuvre à faire était des plus difficiles : notre patron Mornet sut la mener à bien, passa lui-même la remorque au dundee et le rentra dans le port, aux applaudissements d'une foule de spectateurs. Le Germaine-René échappa ainsi à un grand péril, car son équipage était déprimé par dix-huit jours de mer, exténué des fatigues endurées pendant la nuit précédente, privé tout à la lois du moteur en avarie et du gréement arraché par la tempête. »
Est-ce tout ? Oui, c'est tout pour le 18 juillet. Mais entendez bien ceci : cinq autres fois, au cours de l'année 1930, le même canot de sauvetage Les-Sables-d'Olonne, commandé par le même patron Mornet, est sorti ; cinq autres fois, il a accompli des prouesses, et, le 5 octobre, dans la nuit, aidé alors de la baleinière Duc-et-Duchesse-Decrès (patron Galarneau) et de la vedette Petite-Georgette (patron Chaillou), il a encore sauvé un bateau échoué sur le banc de la Mort, en même temps qu'il sauvait les cinq êtres humains qui le montaient.
Et c'est parce qu'il a fait tout cela que, le dimanche 3 mai prochain, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, l'amiral Lacaze, président de la Société centrale des naufragés, au cours de l'assemblée de cette société, annoncera solennellement que le Mémorial du Malin, pour 1930, est attribué au port des Sables d'Olonne.

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Depuis qu'il existe, ce Mémorial a toujours été attribué à de braves gens pour honorer leur bravoure. Tour à tour, Kérity-Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarc'h, Honfleur, Quimper, Calais par deux fois, l'ont eu en dépôt. Mais, cette année, ce n'est pas seulement un acte de bravoure qu'il s'agit de récompenser : c'est une série ininterrompue d'exploits. L'Océan, au large des côtes de Vendée, comme plus au nord, sur les côtes déchiquetées de Bretagne, ne se lasse pas de vouloir engloutir hommes et bateaux : les marins vendéens comme les marins bretons, ne se lassent pas de sauver hommes et bateaux pour les arracher au gouffre.
Il était donc bien que le challenge de bronze, taillé par le ciseau du maître orfèvre Falize, allât se fixer pendant un an dans ce port de Vendée, qui porte dans ses armoiries une vieille frégate aux voiles gonflées par l'immense souffle du large : il ne représente qu'un faible hommage à ceux dont le courage fut plus fort que la colère de la nature.


1932 - ILE DE SEIN


Le 30 juillet 1931, il y avait fête à l'île de Sein : bateaux pavoisés, drapeaux arborés, population massée sur les rochers, personnages officiels venus par mer de Brest. La fête était simple : on inaugurait un canot de sauvetage tout neuf, à deux moteurs. Mais la fête aussi était un peu triste, car il s'agissait de célébrer un des plus grands marins et des plus grands sauveteurs de France, l'amiral Touchard, qui, miné par l'âge et la maladie, venait de s'éteindre après une belle vie, consacrée au pays et au bien.
Grand marin, l'amiral Touchard l'avait été dans toute la force du terme. Grand sauveteur, ou, si l'on préfère, grand animateur du sauvetage, il l'avait été également. N'est-ce pas lui qui, prenant, au début de la guerre, la présidence de la Société centrale de sauvetage des naufragés, lui avait donné cette admirable petite flotte de trente canots à moteur, éparpillée le long de nos côtes pour lutter contre la tempête et la mort ? N'est-ce pas lui qui, depuis quinze ans, était de toutes les inaugurations de stations de sauvetage et disait « Le jour où je ne pourrai plus donner l'accolade aux braves auxquels leur beaux actes méritent la croix, je n'aurai plus qu'à m'en aller »? Ce jour, hélas était venu. Et l'amiral sauveteur était parti...
Aussi, pour le célébrer, n'avait-on rien trouvé de mieux que de donner son nom au premier canot qu'on inaugurerait. Et l'amiral Lacaze, son successeur, disait, en ce jour du 30 juillet 1931, à la foule accourue à l'île de Sein :
« Je vous remets le canot à moteurs Vice-Amiral-Touchard. Les hauts faits des canotiers de l'île de Sein sont un sûr garant qu'il sera en bonnes mains. Depuis que la station existe, le canot de l'île a pris part à 103 sorties de sauvetage, au cours desquelles 303 personnes ont été sauvées et 44 navires secourus. Quand vous conduirez votre nouveau canot au secours des navires en détresse, quand vous irez de nouveau sauver des vies humaines à travers la mer furieuse et dans les sifflements de la tempête, vous vous souviendrez que, quelque temps avant sa mort, l'amiral Touchard disait à l'un de ses amis « Je crois que, dans le monde où nous sommes appelés après la mort, nos âmes continuent vivre pour les grandes et bonnes actions auxquelles nous avons participé ici-bas. » Et vous songerez que la grande âme de celui qui n'est plus plane au-dessus de vous. »

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Le nouveau canot n'avait pas un mois d'existence que, le 24 août, par terrible ouragan du sud-ouest, il exécutait sa première sortie. Un sloop, chassant sur ses ancres, avait hissé le pavillon de détresse et demandait du secours. Le canot Vice-Amiral-Touchard s'élance vers lui, lui jette une remorque, le ramène au port. Mais, tandis qu'il exécute la difficile manœuvre, voici qu'il découvre un autre sloop errant un peu plus loin à la dérive, parmi les roches ; puis trois autres ; puis quatre autres encore. Toute une flottille venue de Camaret et d'Audierne courait danger de mort et appelait à l'aide... A chacun, tour à tour, le canot Vice-Amiral-Touchard alla porter secours. Et, entendez bien ceci, il les rentra tous au port. En un après-midi, il avait sauvé neuf bateaux avec leurs neuf équipages.
Mais voici mieux encore. Le 3 octobre 1931, vers 1 heure du matin, le patron Jean-François Hervis entend soudain deux coups de sirène au large. Il se précipite dehors, tâche de percer du regard la nuit obscure rendue plus obscure encore par la brume. Il aperçoit enfin une fusée et, ayant rassemblé ses canotiers, met le Vice-Amiral-Touchard à l'eau, pour s'élancer dans la direction aperçue. Ici, le mieux est de laisser parler le procès-verbal officiel, dans sa simplicité laconique et émouvante.
« A 2 h. 45, le Vice-Amiral-Touchard faisait route dans la direction du navire en détresse ; arrivé sur les lieux à 3 h. 30, il a constaté que c'était le Johanna, du port de Rotterdam, qui coulait lentement ; ses deux baleinières de sauvetage étaient à l'eau et amarrées à l'arrière avec une partie de l'équipage à bord.
Ayant pu s'expliquer avec le capitaine, le patron Hervis lui a dit qu'il était temps d'évacuer, ce qu'il fit en embarquant les 27 naufragés dans le canot Vice-Amiral-Touchard, manœuvre qui s'est effectuée avec beaucoup de difficultés, vu que le vapeur se trouvait au milieu des
rochers, avec temps brumeux et mer très houleuse.
Le canot se dirigea ensuite vers le port de Sein, où il arrivait, à 5 h. 30, sans incident. Il fut remonté à son abri 7 h. 30. »

Ayant déjà, dans sa première sortie, sauvée neuf sloops, le Vice-Amiral-Touchard venait, dans sa seconde sortie, de sauver vingt-sept naufragés. Tout simplement. Et c'est parce qu'il a fait cela que, jeudi prochain, jour de l'Ascension, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, l'amiral Lacaze, président de la Société centrale des naufragés, au cours de l'assemblée de cette société, annoncera que le Mémorial du Matin, pour 1931, est attribué à l'île de Sein. Avec l'agrément de l'amiral Dubois, préfet maritime de Brest, il sera solennellement remis, dans quelques semaines, à la préfecture maritime de notre vieux port de guerre, qui, pendant un an, en sera le gardien fidèle.
Depuis qu'il existe, ce Mémorial a toujours été attribué à de braves gens pour honorer leur bravoure. Tour à tour, Kérity-Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarc'h, Honfleur, Quimper, Calais, les Sables d'Olonne l'ont eu en dépôt. Mais relisez cette liste et méditez-en les noms, vous y verrez que, par quatre fois déjà, le challenge alla célébrer, les exploits des marins bretons. Il va retourner, pour la cinquième fois en Bretagne. Peut-on imaginer cycle plus émouvant ? Périodiquement, le groupe de bronze que tailla le ciseau du maître-orfèvre Falize, revient ainsi sur cette pointe extrême de la terre de France, déchirée par les flots, balayée par les vents, mais où le granit des rochers n'a pas de prise sur le granit des âmes.
Stéphane Lauzanne.


1933 - ILE DE GROIX


LE MEMORIAL DU "MATIN" sera remis cette année
aux sauveteurs de l'île de Groix

Le 7 mai prochain, en Sorbonne, on parlera de braves gens. Une fois par an, c'est leur tour. Une fois dans l'année, ils sont à la vedette de cette actualité qui fait, hélas! plus large place au meurtre qu'au dévouement et trouve plus riche butin auprès de ceux qui ont ôté la vie qu'auprès de ceux qui l'ont sauvée.
Le 7 mai, en Sorbonne, on fêtera les sauveteurs. Une fête par an. Une seule. Au moins qu'elle ait l'éclat qu'ont mérité tant de sacrifices, tant d'héroïsme. Et, en vérité, à lui donner ce lustre nécessaire chaque année s'emploie avec un zèle heureux la Société centrale de sauvetage des naufragés. Au jour choisi, en présence des plus hautes autorités du pays, on proclame le long et merveilleux palmarès du courage et de l'abnégation. Il est long, il est fourni de tant d'actes splendides, ce palmarès ! Des faits secs, des rapports sans littérature, sans grandes phrases, mais un tableau qui poigne.
C'est qu'en un an combien on en peut glaner de ces magnifiques gestes de sauveteurs, au long de nos cotes de France, qui, si elles sont parfois battues de la tempête, ont vu, du moins, se dresser en face de la mer mauvaise, et toujours prêt à entrer en lutte avec elle, l'infini dévouement des hommes.

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Puis, ce même jour, d'après une tradition maintenant déjà longue, la Société centrale fait, suivant la désignation d'un comité où siègent les plus qualifiés des juges, l'attribution de ce Mémorial qu'a créé le Matin et qui doit, dans l'année, récompenser le plus bel acte de sauvetage. Pouvait-on permettre que de tant d'abnégation, de tant de sacrifices il ne restât, au bout de tout, que quelques femmes, quelques petits-gars de plus, en deuil, parmi le deuil éternel et latent de la côte !
L'oubli qui reprend tout, les noms, les sacrifices ; l'oubli qui, sur la grève, nivelle les tombes des martyrs héroïques aura-t-il le pouvoir d'effacer jusqu'à la lumineuse beauté d'un geste, jusqu'à la vertu de l'exemple ?
Et le Mémorial va du Nord au Sud, de l'Ouest au Sud-Est, il dit, il évoque, il enseigne. Gagné de haute lutte aujourd'hui encore par des Bretons, il retournera demain à l'incessante compétition de la vaillance.
Son bronze, où un grand artiste concrétisa, parmi la douleur des femmes, l'indomptable résolution des hommes contre la stupide horreur d'un destin, porte déjà la patine des ans passés, à Kérity, Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarch, Honfleur, Quimper, les Sables-d'Olonne, l'île de Sein et par deux fois Calais.

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C'est en face des côtes déchiquetées du Morbihan, c'est à l'île de Groix que notre Mémorial reviendra attester, une fois de plus, la vaillance bretonne.
Écoutez, en effet, comme elle est émouvante et simple cette belle histoire du canot de sauvetage Rosalie-Marchais, parti par un matin de gros temps au secours de quelques hommes qui se trouvaient en péril de mer.
Vous n'aurez sans doute point à la lire sous ma plume l'émotion que vous eussiez à coup sûr ressentie de la tenir, comme moi, par mots hachés, hésitants, mais si simples, si pressants, du patron Jego, lorsqu'il vous conte son aventure en tournant sa casquette dans ses grosses mains hâlées. auxquelles ont été suspendues des vies humaines, et qu'il sauva !
C'était le 30 mars 1932, le matin, vers 7 heures. Un vapeur s'était échoué sur ces mauvais rochers du Grasu. Il était en mauvaise posture, et ceux qui s'efforçaient de lui porter secours n'étaient pas plus fiers que ça à cause du temps.
Quand il eut jugé la situation, le patron Marcel Jego fit battre le rappel des hommes du canot de sauvetage Rosalie-Marchais dont on peut bien comprendre qu'on lui ait donné le périlleux commandement rien qu'à voir cette belle vareuse du dimanche toute constellée de médailles qu'arbore le patron Jego.
Une demi-heure plus tard, ayant quitté Port-Tudy, le canot était au côté du chalutier Cécile-II, en perdition, à la pointe est du plateau Grasu. A bord, douze hommes se tenant les uns les autres, arrimés comme ils peuvent sur leur dernier refuge, cette passerelle que balayent déjà furieusement les vagues. De possible il n'y a qu'une manœuvre. Elle est hardie, si on la manque on va par le fond : mouiller l'ancre au vent et se laisser porter, se laisser « culer le plus près possible. »
Le remorqueur Auroch, qui était, déjà sur les lieux, tentant le sauvetage, ayant osé cette même manœuvre, avait bien réussi à ramener quatre hommes. Mais, au second coup, l'embarcation chavirée, trois hommes de l'Auroch avaient été encore bien contents d'aller prendre sur le chalutier la place de ceux qu'ils venaient de sauver. Ce n'étaient peut-être plus les mêmes qui étaient en peine, mais c'était toujours à peu près le même nombre. Et c'est tout ce que voyait le patron Jégo. Écoutez encore, ce n'est pas tout. Un autre canot de pêcheurs venait d'avoir le même sort. A grand' peine on avait pu hisser ses deux hommes sur le vapeur en perdition, mais non sans qu'ils n'aient bu un bon coup.
Le patron Jego calculait que, à cette manière d'aller, on ne saurait bientôt plus où mettre un homme sur le Cécile.
En tout cas, hésiter plus longtemps c'était risquer de laisser aller à la mort quelques-uns de ces gars hardis qui ne regardent pas quand il s'agit de porter secours si on est suffisamment bien équipé.
Alors, en demandant à tous les saints du paradis, que la haussière ne casse pas, le patron Jégo et ses hommes se laissèrent porter aux coups rudes des vagues, contre l'épave. Deux heures après deux heures d'un rude, d'un périlleux travail, le patron Jego pouvait inscrire treize vies humaines de plus a l'avoir de son compte dans le grand livre où il est de l'autre côté tant de noms de marins que la mer n'a jamais rendus.

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Tel est le sauvetage qui, parmi bien d'autres hauts faits, a. paru mieux mériter encore le Mémorial, du Matin.
En des jours prochains, la belle œuvre que cisela Falize gagnera cette île de Groix dont les fils l'ont conquis au lourd prix de leur peine et de leurs sacrifices. Cœurs de granit parmi des rocs de granit, soyons sûrs que ces vaillants verront dans ce Mémorial, que leur fierté salue, moins une œuvre de bronze immobile et figée que l'éclat tutélaire d'un phare éternel dont on aurait doté leur côte.

Léo Gerville-Réache.


1934 - AUDIERNE


Mai, ce joli mois de mai qui, parfois, cependant, ne ramène pas, dans le printemps nouveau, les beaux jours, connaît chaque année, maintenait, en ses débuts, une journée radieuse.
C'est celle où, en Sorbonne et devant les plus hautes autorités de l'État se fêtent le courage et l'abnégation.
Ainsi, aujourd'hui, dans ce grand amphithéâtre, des milliers de personnes, et demain, par les journaux, des millions de personnes apprendront, en ces jours de commissions d'enquête, de scandales navrants et de troubles fratricides qu'on peut tout de même être fier d'être Français.
Ce sentiment de fierté légitime, une pléiade de héros modestes le leur donnera.
Il faut donc louer cette Société centrale de sauvetage des naufragés, dont c'est l'œuvre pie, de valoriser, au moins une fois l'an, le moral national et, dans cette actualité qui fait, hélas plus large place au crime qu'au dévouement, de venir nous parler de braves gens !
Ils n'ont droit à la vedette qu'une fois l'an, les sauveteurs. Et c'est aujourd'hui que nous les verrons ces héros, dont la seule coquetterie est peut-être cette vareuse sombre sur laquelle des médailles d'or, d'argent ou de bronze additionnent les vies qu'ils ont sauvées.
Nous les verrons, gauches, mal à l'aise, plus gênés en ces vêtements d'apparat et devant cette foule parisienne qu'au jour du drame où leur suroît ruisselant d'eau claquait au vent de la tempête.
Ils se regarderont entre eux, étonnés des l'étonnement de cette foule, abasourdis jusqu'au fond d'eux-mêmes que des bravos puissent aller à ces gestes qui étaient simples et surtout nécessaires. Oui, ce jour, en Sorbonne, on fêtera de braves sens.
Mais, parmi ces faits héroïques que l'on nous dira, sans doute en sera-t-il un sur lequel on insistera davantage.
C'est que, parmi tant d'autres, il aura été remarqué par ce comité, où siègent les plus qualifiés des juges, et qui, au nom du Matin, doit faire attribution de notre Mémorial à ce point quelconque des côtes de France où s'est déroulé dans l'année le plus bel acte de sauvetage.
Pouvait-on, en vérité, laisser l'oubli qui reprend tout, reprendre aussi ces noms, ces sacrifices ?
De ce dévouement total, de cette splendide abnégation il ne resterait donc rien que les larmes des veuves et le mutisme désespéré des petits gars qui, face à l'insatiable marâtre, attendent leur tour.
Non. Le Mémorial est là. Il évoque il rappelle, il enseigne. Et sa course vagabonde du nord au midi, de l'ouest au sud-est, apprend que tout au long de nos côtes, pour lutter contre la mer mauvaise, il est toute la vaillance de nos marins, de nos pêcheurs, la même partout, et bien française !
Son bronze, où Falize a su si bien concrétiser l'idéal de ceux qui fondèrent ce challenge du sacrifice, porte déjà en son grain la patine des ans passés à Kérity, Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarc'h, Honfleur, Quimper, les Sables-d'Olonne, l'Ile de Sein. Deux ans de suite, la bravoure des marins de Calais en fit le précieux ornement de leur hôtel de ville. Hier, l'île de Groix l'exposait avec fierté aux embruns du grand large.
Audierne l'aura demain.
Ainsi, une fois de plus, sur ce coin du Finistère, le Mémorial viendra attester de la vaillance bretonne.
Je veux, maintenant, vous conter le haut fait qui l'a ravi à tant d'autres hauts faits. Je voudrais retrouver, pour cela, les mots simples, hésitants et magnifiques du patron Couillandre. Je voudrais l'émailler de ces mille « Vous comprenez » de ces innombrables « C'est bien simple » dont ce brave homme, tout honteux, s'efforçait d'excuser son propre héroïsme et celui de ses hommes.
Je lui ai fait une promesse c'est de vous présenter la chose, simplement, comme un « rapport de l'inscription maritime ».
Eh bien même comme cela, si ce récit ne vous émeut, s'il ne vous prend pas aux entrailles, c'est que j'aurai été alors bien maladroit.

C'était le 3 février 1933, 4 heures du matin. Nuit noire et brume. Un temps de chien, quoi ! Les hommes, dans ces petites maisons d'Audierne, où le vent piaulait par tous les interstice griffait au toit les ardoises, se retournaient sous leurs couvertures, en se disant « On est mieux là qu'en mer ! »
Tout à coup, un meuglement de sirène ; des coups précipités, sans interruption. L'appel du bateau qui se perd et qui a peur. En même temps, un coup de canon. Maintenant, les hommes sont fixés. C'est le sémaphore de Lervily qui alerte. L'écho n'en est point assoupi que les hommes ont déjà passé leur suroît. Réfléchir ? A quoi ? Et pourquoi faire ? Il y a un bateau en perdition. On y va.
La tempête ? Les vagues hautes comme une maison ? Le vent déchaîné ? Le sauvetage presque impossible, tout au moins hasardeux ? Vous pensez bien que, si on devait réfléchit à tout ça, le bateau serait déjà par le fond. Et voilà le canot Général-Béziat chargé de ses douze hommes qui grimpe à la crête des vagues, dégringole dans les vallées mouvantes qu'elles creusent, piquant vers ce cargo danois, l'Astrid, bien mal engagé sur les rochers de Lervily où la mer le balaye de bout en bout.
Accoster ? Impossible. Ce serait ajouter douze hommes de plus au funèbre palmarès. Le patron Couillandre mouille son embarcation.
Autant que le permettent les rafales du vent, il encourage les hommes qui, sur le pont de l'Astrid grelottent de froid, de peur et aussi de cette espérance...
Enfin une clarté confuse annonce le petit jour. C'est le moment. A grand' peine on est arrivé à installer un va-et-vient. C'est en s'accrochant à ce fil d'acier que l'équipage devra quitter l'Astrid pour gagner le canot.

Plouf ! Il a du cran, le petit mousse. Il a sauté le premier dans la vague furieuse, comme le veut la hiérarchie inverse du sauvetage. Le dernier, comme le lui impose la loi de la mer, le capitaine Nielsen, à son tour, s'aggrippant au filet a sauté à la mer.

Les seize rescapés sont à bord du frêle esquif qui danse sa diabolique farandole. Quel mal il a à se relever à la lame avec une telle surcharge de vies qu'on à sauvées
A plat bord, lentement, il rentre vers le port. Encore une difficulté : la barre. On est marin, chez nous. Du coeur, du biceps la barre est franchie.
Le Général-Béziat. rague de son étrave les cailloux de la grève. Sauveteurs et sauvés sont à peine sur la terre ferme qu'un commandement impérieux retentit. Au geste de leur chef, les hommes de l'Astrid, brisés de fatigue et d'émotion, se sont quand même, sous l'emprise des fortes disciplines, figés au garde à vous. Sur deux rangs face à leurs sauveurs. Ceux qui ont encore un béret se sont découverts. Un triple hurrah un triple merci pour la vie sauve.

L'écho, par-dessus les épaules secouées des nôtres qui pleurent, en monte sur l'aile de la tempête, vers Dieu.

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Les sauveteurs à Paris
Leur réception au « Matin »
et l'attribution du challenge
à l'équipage du « Général-Béziat »


Le rassemblement des sauveteurs, appelés de nos diverses régions maritimes, se trouvait fixé, hier, à midi en « leur » Maison voisine de la Concorde.
A 13 heures, l'appel des braves a commencé. Voici le patron Morvan, un récidiviste du sauvetage. De ses quarante-trois ans de service à la station de Camaret, il prétend supprimer celles où son canot n'est pas sorti pour sauver quelque vie humaine. Soixante sauvetages, tel est le chiffre inscrit au livre de bord du patron Morvan. Ce chiffre sera crié, aujourd'hui, à la Sorbonne où le patron Morvan recevra la croix de la Légion d'honneur.

Et l'appel continue
Patron Levavasseur, Pierre. Celui-ci commande à bord du Maréchal-Foch, canot à moteurs de la station de Calais. Le 14 janvier dernier, le trois-mâts AIbatros luttait contre la tempête. Le Maréchal-Foch parvint à délivrer les six homme et le mousse qui se trouvaient en péril mortel à bord du bateau en détresse. Déjà, le 13 décembre 1933, le Maréchal-Foch avait secouru les naufragés du bateau-feu Dyck, qui avait rompu ses chaînes et s'était échoué à la côte.
...Patron Brunet, de Gravelines, qui, le même soir de décembre, par 20 degrés de froid, se porta aussi au secours du Dyck.
...Patron Leparmentier, de Goury-la-Hague, dont le canot recueillit l'équipage d'un bateau de pêche drossé par la tempête, dans le dur passage de la Déroute, le 14 décembre 1933. Un mois plus tard, le patron Leparmentier partait avec son équipage, par une nuit de tempête, pour sauver le vapeur Saint-Prosper.
...Patron Hervis, de l'île de Sein, providence des parages dangereux de l'Ile, ou ne se comptent plus les bateaux de pèche qu'il a secourus.
...Patron Lucas, du Conquet, titulaire de Quatre citations de brave, pour quatre sorties accomplies en douze mois dans les condition les plus dif̃ficiles.
...Patron Marius Roche, des Saintes-Maries-de-la-Mer, qui, le 22 avril 1933, réussit à sauver les huit hommes d'un chalutier échoué et recouvert par les lames, à la pointe de Bauduc.

Ceux-là figurent en tête du palmarès qui sera lu aujourd'hui, à la cérémonie de la Sorbonne que présidera le vice-amiral Lacaze, président de la Société des sauveteurs, promoteur de la journée nationale du 6 mai dans l'intention de réunir les ressources qui permettront aux braves de la mer d'être dotés d'un plus grand nombre de canotes de sauvetage.
Ensuite, seront distribuées les nombreuses récompenses accordées à des capitaines au long cours, officiers de la marine marchande, patrons et équipages de bateaux de pêche.
Suivant la tradition instituée par le Matin, un exploit a été sélectionné dans le palmarès de 1933. L'attribution du challenge qui récompense la belle action du canot Général-Béziat, sous le commandement du patron Couillandre, s'est effectuée à 17 heures, dans le hall de notre journal.

C'est le capitaine de corvette Cogniet qui a présenté au Matin le groupe de braves qu'accompagnaient des femmes et des filles de marins, en costumes régionaux. Un collaborateur de notre journal rappela la fondation du challenge, cita les équipages qui le méritèrent avant l'équipage du Général-Béziat et évoqua le dramatique sauvetage du vapeur Astrid, qui aura valu au patron Couillandre et à ses hommes, d'être à l'honneur au Matin, avant d'être acclamés à la Sorbonne, en compagnie de leurs valeureux camarades.
Le capitaine de corvette Cogniet a assuré que ses braves, qui ont la mémoire des bons accueils, n'oublieraient pas celui que leur avait reservé le Matin. Il demanda que fût associé à l'hommage aux grands lauréats de demain, le benjamin du palmarès, le jeune Revoal, sauveteur de douze ans, qui, durant la réception, ne quitta pas l'imposant patron Lévavasseur, vétéran du groupe et grand sujet d'admiration pour le garçonnet.

Léo Gerville-Réache


1935 - PLOUMANAC'H - BREHAT - ERQUY - PORTZ EVEN


Challenge du dévouement, ce Mémorial du Matin, dont le sort est de courir, le long de nos côtes, du nord au sud, de l'ouest au sud-est et à récompenser, parmi tant de faits héroïques, le plus bel acte de sauvetage, une fois encore, cette, année, ce Mémorial restera fortement fixé aux rocs de la côte bretonne. Les braves du Finistère qui le gardaient ces jours encore ne l'ont laissé. partir que pour le remettre aux gars des Côtes-du Nord qui sont des marins-pêcheurs de la même trempe.

Cette fois, pourtant, ce n'est pas peut-être un acte particulièrement prodigieux que va récompenser l'attribution du bronze que sculpta Falize. C'est plutôt un état d'âme, une habitude, des moeurs. C'est tout cet inconscient, ce spontané qui là7bas, parmi ces rochers si souvent battus de la tempête, pousse les hommes êtres si faibles, si petits au milieu de ces assauts forcenés des forces de la mer à se porter mutuellement une aide et à faire, pour le salut de ceux qui sont en péril, le lourd sacrifice de leur propre existence. C'est toute une population, une race noble et forte qui porte en elle cette fierté ancestrale de n'avoir jamais marchandé son secours qu'aujourd'hui, en Sorbonne, magnifiera ce Mémorial, dédié aux sauveteurs. Si vous n'avez jamais vu de bra- ves gens, allez, aujourd'hui, dans ce grand amphithéâtre où viendront pour glorifier ces hommes les plus éminentes personnalités. C'est ce jour, en effet, que la Société centrale des naufragés - dont l'effort tenace et magnifique additionne, chaque année, au long de nos côtes, les vies qu'elle a sauvées - proclame le beau palmarès du dévouement. C'est ce jour, notamment, qu'elle fait connaître l'attribution du Mémorial.
Oui, là, vous verrez de braves gens. Mais des braves gens bien éberlués, bien embêtés Vous les verrez, ces gars hardis, tout intimidés et mal à l'aise vous les verrez tourner la casquette d'apparat toute neuve entre leurs gros doigts rugueux, plus habitués à lancer la bouée où à s'accrocher rudement aux filins. S'ils sont tout à fait sincères, ils vous avoueront qu'ils se trouvaient mieux sur la mer démontée par les vents de suroît et la tempête qu'en cette salle magnifique où tant de messieurs imposants et de belles madames les regardent avec curiosité.
Et puis, alors, vraiment, ils ne comprennent pas. Pourquoi tout ce remue-ménage, tout cela parce qu'on est allé un jour de tempête porter secours à de pauvres bougres que la mer allait avaler Ces grands mots qu'on leur jette à la tête les giflent plus durement encore que la pluie et le vent. Courage. abnégation. sacrifice. D'abord, ce n'est plus du sacrifice, quand ça devient une habitude. Voilà sans doute ce que penseront aujourd'hui les héroïques sauveteurs assemblés en Sorbonne.
Braves gens, gens braves, simples gens et dignes de tout l'éclat de cette fête qu'une fois par an lassée de scandales et de vilenies l'actualité concède à la vaillance et au dévouement.
J'ai renoncé à demander à Jean Cleuziat et aux hommes de son bateau de sauvetage, le canot à moteur François-Henry-Provensal, le récit de leur exploit. Les marins qui montaient le canot Marie, d'Erquy, ceux du Félix-William-Spiers, de Ploumanac'h comme ceux du Léonce-Reynaud, de Portz-Even, c'est à peine s'ils se souviennent encore des heures tragiques qui leur valent aujourd'hui d'être à un honneur qu'ils jugent plus périlleux. Interrogez-les avec patience, vous obtiendrez d'eux à la fin ceci, par exemple « Il ventait frais » ou encore « La mer n'était pas bien bonne. » Mais le beau récit, vous ne l'entendrez pas. Il s'est évanoui parmi les mille souvenirs identiques d'une vie qui ne s'est prolongée jusqu'ici que parce que Dieu n'a pas voulu de son incessant sacrifice.
Alors, ce récit, je l'ai demandé aux notes revêches de l'Inscription maritime. Sans doute elles manquent de flamme et de frisson. Mais les faits s'y trouvent transcrits, eux, nus et magnifiques.

Toute cette journée du 15 mars 1934 qui avait été mauvaise, sur la côte, le canot de sauvetage François-Henry-Provensal l'avait passée à courir de Portrieux jusqu'à Bréhat à la recherche des barques en perdition que lui signalait le sémaphore. Il y en avait une qui lui avait donné bien du mal. Les hommes exténués, la nuit venue avec un redoublement de la tempête, il avait fallu abandonner l'espoir de retrouver le jarp L-554 que l'on signalait en détresse sans pouvoir fixer sa position. La rage et la peine au cœur les hommes étaient rentrés. Poursuivre la recherche, c'était inutilement tenter le ciel. Le canot regagna Bréhat. Le lendemain au petit jour sans qu'on ait eu besoin,de sonner la cloche, les hommes rembarquaient silencieux, les dents serrées. La mer elle aussi était en rage. A chaque coup de lame, c'était à penser qu'elle retournerait l'embarcation. Quatre heures on louvoya, on tourna, on retourna. Enfin dans la brume de la pluie la barque en perdition mit une tache plus sombre et combien émouvante.
Ce fut dans le hourvari du vent et le choc furieux des lames quelque chose que d'accoster le jarp. Il faisait eau de toute part. Croyez-vous que le patron Borvo et le matelot Vincent Grossec aient consenti quand même à l'abandonner ? « On le ramène ou on va au fond avec ! Trois fois la remorque se rompit. « On vous prend à bord, les gars ? » Le patron Borvo secouait la tête. les sauveteurs du Provensal avaient trouvé des naufragés à leur mesure. Transis, à demi morts de fatigue et peut-être aussi un peu brutalement bousculés par l'émotion, les uns et les autres, rejetés de Bréhat par la tempête, trouvaient enfin abri à Portrieux.
Avec quelques variantes, vous trouverez ce même sobre récit dans les papiers de l'administration au sujet du canot de sauvetage d'Erquy, de celui de Ploumanac'h, ou encore du Léonce-Reynaud, de Portz-Even.
Ce dernier notamment pouvait inscrire, à l'avoir des hommes, trois naufragés le 16 mars et deux autres encore le 6 mai, dans ce grand livre tragique où il est, hélas à l'autre colonne, tant de noms de marins que la mer n'a jamais rendus.
Le comité du Mémorial, qui compte les plus qualifiés des juges, a décidé que tant de persévérance, tant d'opiniâtreté dans le dévouement valaient l'honneur de garder un an durant la belle œuvre que sculpta Falize.
Ce bronze, où le grand artiste a concrétisé parmi l'angoisse des femmes l'indomptable résolution des hommes contre la stupide horreur d'un destin, porte déjà la patine des ans passés à Kerity-Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarc'h, Honfleur, Quimper, les Sables-d'Olonne, l'île de Sein, Groix et Audierne. Deux ans de suite Calais le conserva. Se pouvait-il qu'au lendemain de tant d'actes héroïques, au souvenir d'un si total dévouement, d'une abnégation si splendide, il ne restât que les larmes des veuves et eux, les petits gars, avec leurs yeux douloureux et secs, face à la marâtre attendant leur tour ?
Se pouvait-il que l'oubli qui reprend tout, les noms, les sacrifices, l'oubli qui sur le sable des grèves lentement nivelle les tombes, reprit également jusqu'à la beauté du geste, jusqu'à la vertu de l'exemple ?
Et voilà la raison de ce mémorial. Tout au long de nos côtes, il a jalonné le vivant holocauste. Il récompense, mais surtout il évoque, il enseigne.
Une fois de plus, il devra attester de la vaillance bretonne lorsque en ces jours prochains il gagnera Saint-Brieuc, chef-lieu de ces Côtes-du-Nord, dont les fils l'ont conquis au lourd prix de leur peine et de leur sacrifice.
Léo Gerville-Réache.

Le rassemblement des sauveteurs de la mer

La Société centrale de sauvetage avait hier, comme chaque année, rassemblé à son siège, 1, rue de Bourgogne, les sauveteurs de la mer qui doivent être solennellement récompensés aujourd'hui, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne. Au premier rang de ces braves se trouvait Jean-Louis Courtès, patron du Vice-Amiral-Duperré, de Guilvinec (Finistère), qui réunit trente-trois ans de services et a pris part à 25 sorties au cours desquelles 35 personnes ont été sauvées, à qui la croix de la Légion d'honneur sera remise cet après-midi. Mais on remarquait l'absence d'un glorieux sauveteur à qui le ruban rouge devait aussi être décerné avec éclat.
Pierre Levavasseur, patron de l'héroïque équipage du canot Maréchal-Foch, de la station de Calais, n'a pu venir à Paris, cloué au lit par une cruelle maladie qui cause les plus vives inquiétudes. Âgé de 65 ans, Pierre Levavasseur compte quarante-deux années de services. Il a pris part à 27 sorties au cours desquelles 81 personnes ont été sauvées. Magnifique exemple qui faisait de lui le premier héros de cette fête.
Que de patrons sont là dont tout à l'heure l'esprit de sacrifice sera consacré : Jean Le Cleuziat, de la station de Bréhat qui, au cours des violentes tempêtes des 15 et16 mars 1934 a secouru plusieurs bateaux et en a sauvé un en détresse à 15 milles au large ; François Le Levier, de la station de Mogador qui, dans la nuit du 12 au 13 mars 1934 a sauvé une balancelle espagnole et ses 7 hommes d'équipage, jetés à la côte par une mer déchaînée ; Louis Thomas, de la station du Palais (Belle-Ile) qui, le 6 novembre 1934, au cours d'une soudaine et violente tempête, a secouru des barques de pêche et en a sauvé une montée par 5 marins ; Yves Caous, de la station de Portz-Even (Côtes-du-Nord) qui, au cours de la violente tempête du 16 mars 1934 a sauvé une barque de pêche et les 2 hommes qui la montaient ; Joseph Renucci, de Bastia qui, dans la nuit du 26 août 1934, par très mauvais temps, a recherché et sauvé une embarcation désemparée et partie en dérive avec 3 hommes en extrême péril ; Casimir Albano, de la station d'Agde, qui, le 3 novembre 1934, a sauvé une barque et 4 hommes qu'une mer très dure empêchait de rentrer au port et tant d'autres patrons de canots de sauvetage qui ont accompli de très périlleuses missions.
D'autres héros - des jeunes gens et des enfants - partagent la gloire de leurs aînés : le jeune Gertoux, 17 ans, qui, sur la plage de Fos, par très fort mistral, est allé à la nage secourir un jeune homme dont la périssoire avait chaviré à 500 mètres au large ; le jeune Jourdan, 15 ans, qui, à Carqueiranne, le 18 août dernier, a sauvé une jeune baigneuse en danger à 100 mètres du rivage et qui, le lendemain, a secouru à nouveau 3 jeunes filles qu'il a ramenées à la plage : l'une d'elles, évanouie, n'a pu être rappelée à la vie qu'après vingt minutes de soins ; enfin, les benjamins Michel Le Guen, d'Erquy, 11 ans, qui, le 8 juillet, a sauvé une baigneuse en danger, et le jeune Michel de Ganay, 9 ans, qui, le 24 avril 1935, sur la plage d'Hyères, a secouru à la nage un jeune homme tombé d'une périssoire en eau profonde et l'a soutenu jusqu'à l'arrivée des secours.


Les sauveteurs de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés
sont venus rendre visite au « Matin »

Suivant une tradition qui se perpétue heureusement d'année en année, les sauveteurs de la mer qui, aujourd'hui, recevront à la Sorbonne, la récompense de leurs actes d'héroïsme sont venus hier rendre visite au Matin, accompagnés des commandants Richard et Cholet, de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés. Il y avait au premier rang, les patrons Courtès , du Guilvinec ; Cleuziat, de l'Ile de Bréhat ; Caous, de Porz Even ; Le Guen, d'Erquy ; Jégo, de l'Ile de Groix ; Thomas, du Palais (Belle-Ile) ; Albano, d'Agde ; Renucci, de Bastia ; Villetorte, de La Palice et le benjamin des sauveteurs récompensés cette année, le jeune Leguen, 11 ans.
Un représentant de la rédaction leur souhaita la bienvenue, auquel répondit le commandant Cholet, qui remercia le Matin de l'intérêt constant qu'il porte aux héros de la mer et retraça l'historique de son Mémorial qu'il attribue chaque année à la station qui a accompli les actes de sauvetage les plus méritoires. On sait que cette année, le Mémorial du Matin est confié aux marins-sauveteurs du département des Côtes-du-Nord.
Puis on but quelques coupes de champagne.


1936 - BOULOGNE SUR MER


Dans le majestueux amphithéâtre de la Sorbonne, capitole de nos gloires nationales qui a si souvent vibré aux acclamations saluant des apothéoses les Sauveteurs de la mer vont être aujourd'hui à l'honneur, au cours de l'assemblée générale de la Société centrale des naufragés.
Il est juste que, chaque année, en présence d'une foule innombrable et frémissante, soient exaltés les hauts faits, glorifiés l'abnégation et le dévouement d'une pléiade de héros sympathiques et simples, élite de nos marins pécheurs, fils et filles de nos ports et de nos côtes qui ont à ce point fait du devoir et de l'altruisme les lignes essentielles de leur rude existence, qu'ils seront tout à l'heure étonnés et comme gênés devant les applaudissements enthousiastes qui crépiteront à la lecture de leurs actes sublimes d'héroïsme.



Ces timides et ces humbles portent, avec eux, une ambiance si pure et si franche, comme une brise vierge venue du grand large, que nous aurons, en les admirant, l'impression de sentir passer au milieu de l'atmosphère délétère de la grande ville, un air vivifiant et frais, propagateur d'énergie et de foi. Comme chaque année, le palmarès de la Société centrale de sauvetage des naufragés, ou les hauts faits des sauveteurs sont exposés dans une suite de citations, d'une concision toute militaire, mais d'une éloquente simplicité, redira les actes de bravoure et de dévouement du patron et de l'équipage, de l'officier et du marin, du vieillard et de l'enfant, du matelot et de la jeune fille, comme pour nous prouver que l'héroïsme de nos sauveteurs ne connaît ni l'âge, ni la condition, et que c'est sur nos côtes, une vertu ancestrale que chacun porte en son âme depuis sa naissance, et qui n'attend qu'une occasion pour brusquement s'épanouir.
C'est François Hervis, patron du canot de sauvetage de l'île de Sein Vice-amiral-Touchard, qui recevra des mains de l'amiral Lacaze la croix de la Légion d'honneur, « pour avoir depuis trente ans, pris part ou dirigé 42 sorties du canot de sauvetage, au cours desquelles 116 vies humaines ont été sauvées ».
C'est le patron Avron, du canot de Sauvetage de Calais Maréchal-Foch, qui recevra une médaille d'or, « pour avoir sauvé, le 18 janvier 1936, dans des circonstances très difficiles, sept naufragés d'un chalutier belge, jeté à la côte par la tempête ».
C'est le patron Py, des douanes de Saint-Louis-du-Rhône, qui, la tête de l'équipage du canot à moteur Commandant-de-Coligny, arrache à la mort, par une tempête effroyable, les trois officiers et les dix membres de l'équipage d'un vapeur norvégien et, quelques mois plus tard, les vingt-quatre hommes d'une gabare de la marine nationale.
Ce sont le patron Corolleur, le sous-patron Charles Masson, la mécanicien Coeffeur, de la chaloupe de sauvetage de l'île Molène, qui seront récompensés « pour avoir, dans la nuit du 17 au 18 février 1936, secouru en pleine tempête et ramené au port cinq bateaux de pêche en détresse dans les dangereux parages d'Ouessant ».
C'est le marin pêcheur Adolphe Laurent qui s'est jeté à la mer, du bord d'un trois-mâts échoué, a traversé à la nage au milieu des récifs sur lesquels déferlait la mer furieuse et réussi à établir avec la terre un va-et-vient, grâce auquel vingt-deux hommes furent sauvés.
Ce sont l'enseigne de vaisseau Normand et le matelot Jean Cam, qui n'hésitèrent pas à plonger pour secourir des camarades qui se noyaient.
C'est Mlle Emilienne Marteau, de Cherbourg, une dactylographe de 16 ans, qui se jette tout habillée dans le port pour sauver un enfant de 8 ans et, son acte d'héroïsme une fois accompli, s'en va sans même donner son nom.
C'est Jean Melot, âgé de 11 ans, le plus jeune sauveteur de l'année qui, pour sauver un de ses camarades tombé dans le port de Saint-Nazaire, n'hésite pas à plonger par 8 mètres de fond, faisant preuve d'une résolution et d'un courage que son jeune âge rend particulièrement méritoire.

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Cette année, le Mémorial du Matin, qui, de la mer du Nord à la Manche, de l'Atlantique à la Méditerranée, passe, comme un flambeau de main en main et récompense l'action la plus méritoire de nos sauveteurs, sera attribué à la station de Boulogne-sur-Mer.
Glorieux challenge dû au ciseau du maître orfèvre Falize, il a été tour à tour mérité par Kérity, Saint-Guénolé, Dunkerque, Marseille, le Conquet, Dieppe, Arcachon, Penmarch, Honfleur, Quimper, les Sables d'Olonne, l'île de Sein, l'Ile de Groix, Audierne, les Côtes-du- Nord.
Pour un an, c'est la station de Boulogne-sur-Mer qui va en avoir la garde : Boulogne, dont l'armement du canot de sauvetage à moteurs Alexandre-et-Louise-Darracy, commandé par le patron Testard, a, au prix de quelles difficultés ! sauvé, le 17 décembre 1935, quatre hommes emprisonnés par la mer dans un caisson de la digue en construction et le 26 décembre, secouru et ramené au port un bateau de pêche en détresse monté par neuf hommes.

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Grâce à l'oeuvre admirable de la Société centrale de sauvetage des naufragés. qui exalte les humbles et les met une fois par an en vedette, nous verrons aujourd'hui et nous admirerons, dans la grande nef de la Sorbonne, le véritable visage de la France.

« Les Sauveteurs de la mer ont rendu visite au Matin »

Fidèles à la tradition, les sauveteurs de la mer, qui vont recevoir aujourd'hui leurs récompenses à la Sorbornne, sont venus, hier après-midi, accompagnés des commandants Cholet et Richard, de la Société centrale de sauvetage des naufragés, rendre visite au Matin.
L'équipage du canot de sauvetage de Boulogne-sur-Mer, à qui est attribué, cette année, le Mémorial du Matin, était au grand complet avec sa tête le patron Testard, le sous-patron Labarre et le mécanicien Caftier. On remarquait aussi le patron Hervis, de l'île de Sein ; le patron Avron, de Calais ; le patron Py, de Saint-Louis-du-Rhône, et le benjamin des sauveteurs, le jeune Jean Melot, âgé de 11 ans.
Un représentant de la rédaction leur souhaita la bienvenue et leur dit le plaisir qu'éprouvait le Matin à recevoir chaque année la visite si réconfortante des Sauveteurs de la mer. Le commandant Cholet lui répondit en remerciant notre journal de sa cordiale réception et en affirmant, en montrant d'un geste les braves gens qui l'entouraient « Il n'y a pas de crise de courage chez les Sauveteurs de France ». Puis on but quelques coupes de champagne.


1937 - PORT ST LOUIS DU RHONE

A cette heure névralgique et troublante où trop de Français sont enclins à réclamer sans cesse plus de droits sans songer à leurs devoirs, c'est à un spectacle à la fois émouvant et réconfortant que la Société centrale de sauvetage des naufragés nous permettra d'assister cette après-midi dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où, au cours de son assemblée générale annuelle, les sauveteurs de la mer vont, une fois de plus, être à l'honneur.
Les sauveteurs de la mer ne représentent-ils pas ce qu'il y a de plus noble, de plus pur, de plus vaillant, dans notre race ?
Plus que jamais il est opportun que, chaque-année, cette pléiade d'humbles, qui portent si naturellement au sublime le sens du mot Devoir, soient exaltés et récompensés en présence d'une foule innombrable. Ils doivent être remerciés d'une manière officielle, mais aussi populaire pour leurs actes d'héroïsme. Et devant eux ceux qui pourraient l'avoir oublié verraient comment des âmes vraiment françaises comprennent l'altruisme et la solidarité sociale.

La lecture du palmarès de la Société centrale de sauvetage des naufragés, qui relate avec une concision toute militaire, et par cela même, d'autant plus impressionnante les actes d'héroïsme du patron et de l'équipage, de l'officier et du matelot, du vieillard et de l'enfant et qui sera la partie principale de cette imposante cérémonie, nous prouvera, une fois de plus, que l'héroïsme est, sur nos côtes et dans nos ports, une vertu ancestrale.
Au début de la séance l'amiral Lacaze, de l'Académie française, ancien ministre de la marine, président de cette grandiose cérémonie, remettra la rosette d'officier de la Légion d'honneur à Gildas Bihan, sous-patron honoraire du canot de sauvetage de l'île de Groix, qui prit part à vingt-quatre sorties de sauvetage au cours desquelles soixante-deux personnes furent arrachées à la fureur des flots.
Puis l'illustre marin épinglera la croix de chevalier de la Légion d'honneur sur la poitrine d'Arsène Bossu, patron honoraire du canot de sauvetage de Dunkerque, qui participa à 18 sorties de sauvetage, au cours desquelles 71 personnes furent sauvées ; de Jules Imbert, patron du canot de sauvetage de Carro, qui sauva la vie de 225 personnes, au cours de 41 sorties de sauvetage ; de Pierre Py, patron des douanes, patron du canot de sauvetage de la station de Saint-Louis-du-Rhone, qui le 21 mars 1936, sauva 24 naufragés de la gabare Endurante de la marine de l'État.
Des médailles d'or et des prix seront ensuite décernés à des patrons et armements de canots de sauvetage. Ce sont le patron Py. le mécanicien Marcucci et l'armement du canot de sauvetage à moteurs commandant-de-Coligny, de la station de Saint-Louis qui coopérèrent au valeureux sauvetage de la gabare, pour lequel le patron Py va recevoir la croix des braves.
Ce sont le patron Bernant Le Meil et l'armement du canot de sauvetage à moteurs Taï, de la station de Camaret. qui, à deux reprises, les 8 et 23 novembre 1936, sauvèrent des barque désemparées par de violentes tempêtes, ainsi que leurs équipages.
C'est le patron Aimé Cleuziat et l'armement du canot de sauvetage à moteurs François-Henri-Provensal, de la station de Bréhat, qui, le 18 juillet 1938, sauvèrent un pécheur, au moment où, épuisé par la lutte contre une mer démontée, il allait voir sa barque, déjà remplie d'eau, couler au milieu des roches. Drame d'autant plus douloureux que le malheureux naufragé, dont la femme était à l'hôpital, avait dû laisser seuls à la maison quatre enfants en bas âge.
C'est le patron Le Guen et l'armement du canot de sauvetage à moteurs Vice-Amira-Courbet, de la station d'Erquy, qui, le 15 juillet, après avoir lutté pendant deux heures contre le vent et la mer démontée, réussirent à rejoindre, au large du cap Frehel, une barque désemparée à bord de laquelle ils trouvent un jeune homme épuisé qu'ils ramènent à terre sain et sauf.
Parmi les nombreux sauveteurs de la mer ayant accompli les plus beaux actes de courage, citons le patron pécheur Henri Donnard, de Saint-Guénolé, qui, le 80 octobre 1936, est allé à deux reprises, à la nage, secourir des pêcheurs dont le canot avait été chaviré par de très fortes lames ; l'enseigne de vaisseau Caron qui, de quart à bord du Duquesne, s'est jeté à l'eau tout habillé, en pleine nuit, pour secourir un matelot tombé à la mer ; le quartier-maître mécanicien d'aviation Caron qui, le 2 avril 1936, a améri à proximité d'un appareil qui venait de capoter et, plongeant tout habillé, réussit à sauver le pilote.
Enfin, parmi les plus jeunes lauréats, nous relevons les noms de Jean Bernard, âgé de 12 ans, benjamin des sauveteurs de l'année, qui, au Faou, le 20 juin 1936, a plongé tout habillé et sauvé une fillette entraînée par un fort courant, qui n'a dû la vie qu'à la rapide et courageuse intervention de ce jeune sauveteur ; de Mlle Irène Mallet, 18 ans, qui, le 15 juillet 1936, à Perros-Guirec, a lutté contre une mer très dure pour porter secours et sauver une personne dont le canoë avait chaviré au large de la plage.

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Le mémorial du Matin, glorieux challenge dû au ciseau du maître orfèvre Falize, qui récompense chaque année le haut fait le plus méritoire des sauveteurs de la mer, et qui était depuis l'an dernier gardé par la ville de Boulogne-sur-Mer, sera attribué pour un an à la station de Saint Louis du Rhône, pour le sauvetage, par l'armement du canot de sauvetage à moteurs Commandant-de-Coligny, des vingt-quatre naufragés de la gabare Endurante, le 21 mars 1936 que nous avons signalé plus haut. C'est la seconde fois que ce mémorial sera remis à la garde des marins de la Méditerranée, ce qui prouve que l'héroïsme en France ne connaît pas de latitude, et que les sauveteurs qui veillent sur les dangereux parages de l'embouchure du Rhône, n'ont rien à envier, comme dévouement et comme courage, à leurs frères de l'Atlantique et de la mer du Nord.

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Concluons par des chiffres : du 1" mai 1936 au l6 mai 1937 les canots de la Société centrale de sauvetage des naufragés ont effectué 103 sorties de sauvetage au cours desquelles 123 vies humaines ont été sauvées et 41 navires secourus.
N'est-ce pas le plus bel hommage que l'on puisse rendre à nos vaillants sauveteurs de la mer ?

1938 - B.A.N. DE ST RAPHAEL-FREJUS


C'est à une grande leçon,que nous convie chaque année la Société centrale de sauvetage des naufragés en nous faisant assister, dans le cadre grandiose du grand amphithéâtre de la Sorbonne, à son assemblée générale au cours de laquelle sont distribuées les récompenses aux héroïques sauveteurs de la mer. Aujourd'hui encore, ce ne sera pas sans une profonde émotion que nous verrons, réunie autour de l'amiral Lacaze et venue de tous les points de nos côtes, cette pléiade de sauveteurs de tous âges : équipages de canots de sauvetage, patrons et marins pêcheurs, capitaines au long cours, officiers des armées de terre, de mer, de l'air et de la marine marchande, simples matelots, jeunes gens et jeunes filles, enfants, fraternellement confondus, qui nous montrent a quel point d'abnégation et de courage, des âmes françaises peuvent comprendre la solidarité humaine et l'altruisme.
Grande et noble leçon, en vérité, que celle que nous donnent ces humbles, d'un héroïsme parfois surhumain, qui portent si naturellement à un sublime degré la signification du mot Devoir !

D'impressionnantes citations

La lecture du palmarès de la Société centrale de sauvetage des naufragés, suite d'impressionnantes citations d'une concision toute militaire partie principale de cette impressionnante cérémonie nous montrera que l'héroïsme est une vertu, ancestrale pour nos populations maritimes.
Au commencement de la séance, l'amiral Lacaze, de l'Académie française, ancien ministre de la marine et président de la Société, remettra la croix de la Légion à Séraphin Mornet, patron honoraire du canot de sauvetage des Sables-d'Olonne, qui, pendant les trente-cinq années où il fit partie de son armement, sauva dix-sept personnes, et à Dominique Lambruschini, patron du canot de sauvetage d'Ajaccio, qui, depuis trente-trois ans qu'il fait partie de son armement, a sauvé de nombreuses vies humaines, tant au moyen du canot de sauvetage que par des sauvetages individuels.
Des médailles d'or et des prix seront ensuite décernés à des patrons et armements de canots de sauvetage. Ce sont le patron Thomas Stephan, le sous-patron Floch et l'armement du canot de sauvetage Léon-Dufour, de Saint Pierre Penmarch, ainsi que les patrons Lucas et Bouguéon, qui coopérèrent au sauvetage d'un chalutier contenant 120 Espagnols.
C'est le patron Testard, le sous-patron Labarre et l'armement du canot de sauvetage de Boulogne-sur-Mer qui sauvèrent l'équipage des chalutiers Louis-Suzanne, Jean-Marthe et les huit hommes d'un bateau de pêche en perdition.
C'est le patron Hervis, le sous-patron Menou et l'équipage du canot de sauvetage Vice-Amiral-Touchard, de l'Ile de Sein, qui, l'an dernier, alertés neuf fois, accomplirent neuf sauvetages particulièrement difficiles, par mer démontée.
C'est le patron Le Floch, commandant le canot de sauvetage d'Etel, qui arracha à une mort certaine les trois hommes du bateau de pêche, La-Soeur-des-Quatre-Frères, échoué dans une position dangereuse.
C'est le patron Mène, le secrétaire du comité de sauvetage, Mayssenc, et l'équipage du canot de sauvetage du Cap-Ferret qui ramènent au port cinq bateaux sardiniers surpris par la tempête.
Parmi les nombreux sauveteurs de la mer qui ont accompli les plus beaux actes de courage, citons le patron d'un dundee, Louis Marie, qui, le 20 janvier 1937, à 30 milles au large, de nuit, par mer très grosse, n'hésita pas à se jeter à l'eau pour secourir - et sauver - le novice du bord tombé accidentellement à la mer ; le matelot Henri Chardon qui, en pleine mer, la nuit, par mauvais temps, saute à la mer tout habillé, avec bottes et ciré, pour sauver le patron de son bateau, tombé lui aussi, accidentellement ; le capitaine au long cours Firbach, commandant le paquebot Commandant-Dorisse, des Messageries maritimes, qui, au large des côtes d'Annam, par mer grosse et déferlante, empêchant de mettre une embarcation à la mer, parvient, par une manœuvre habile de son navire, à approcher de deux naufragés accrochés à une épave et à les hisser à bord. A noter que c'est l'un des fils du capitaine au long cours Firbach, qui recevra la récompense attribuée à son père, en ce moment en Extrême-Orient.

Enfin, parmi les plus jeunes lauréats, nous relevons les noms de Lucien Evrard, âgé de 18 ans, qui, au large de Dieppe, par mauvais temps, s'est jeté à l'eau tout habillé, afin de secourir un camarade de son bord projeté à la mer ; de Mlle Françoise Rodel, âgée de 17 ans, qui s'est portée résolument à la nage au secours d'un baigneur qui se noyait et l'a maintenu jusqu'à l'arrivée des secours ; de Pierre Salvador, âgé de 13 ans, qui s'est jeté a l'eau pour secourir un jeune homme en danger ; de Barthélemy Micheli, âgé de 12 ans, de Saint-Florent-en-Corse, qui s'est jeté à l'eau tout habile pour sauver un entant de 5 ans tombé dans le port. A l'âge de 8 ans, le jeune Micheli a déjà sauvé deux jeunes enfants.

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Le mémorial du Matin, glorieux challenge de l'héroïsme dû au ciseau du maître-orfèvre Falize, qui récompense chaque année le haut fait le plus méritoire des sauveteurs de la mer sera attribué pour un an à la base de l'aéronautique maritime de Saint-Raphaël-Fréjus, tant pour les nombreux actes de dévouement particulièrement méritoires accomplis par le personnel de l'aéronautique maritime, que pour celui dont le lieutenant de vaisseau Robert Giraud fut le héros. Le 3 février 1937, à Saint-Raphaël, son appareil ayant coulé, le lieutenant de vaisseau Giraud plonge pour se dégager. Venu en surface, il aide les trois hommes de son équipage à se dégager eux-mêmes ; il les soutient, va à la nage chercher un gilet-flotteur lancé par un autre hydravion et le passe à l'un de ses hommes complètement épuisé. Tous peuvent tenir ainsi jusqu'à l'arrivée des vedettes qui les recueillent. Ajoutons que le lieutenant de vaisseau Giraud est, depuis 1925, déjà titulaire d'une médaille de sauvetage.

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Finissons par des chiffres depuis sa fondation (12 février 1865) jusqu'au 15 avril 1938, 22.881 personnes furent sauvées grâce aux canots de sauvetage et aux engins de la Société centrale de sauvetage des naufragés, et 2.144 navires, sauvés ou secourus.
D'autre part, du 1er mai 1937 au 1er mai 1938, les canots de la Société ont effectué 59 sorties au cours desquelles 119 personnes furent sauvées. Nos héroïques sauveteurs ont prouvé, cette année encore, qu'ils sont toujours prêts à répondre, sans hésiter, au premier appel de détresse. Ils méritent vraiment les témoignages de reconnaissance qu'ils vont recevoir aujourd'hui, officiellement, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.

Les Sauveteurs de la mer rendent visite au Matin

Les Sauveteurs de la mer sont venus, hier, fidèles à la tradition, rendre visite au Matin.
Accompagnés par le commandant Cholet, inspecteur de la société, il y avait, entre autres, le lieutenant de vaisseau Robert Giraud, à l'acte d'héroïsme duquel la base de l'aéronautique maritime de SaintRaphaël-Fréjus doit l'attribution du mémorial du Matin : les patrons de canot de sauvetage Mornet, Hervis, Testard, Stephan, Harduin, Le Floch, Mène ; le secrétaire trésorier du Comité de sauvetage de la station du cap Ferrat M. Mayssenc, qui, malgré ses 74 ans, tient à participer à toutes les sorties du canot ; le jeune Pierre Salvador, âgé de 13 ans, l'un des benjamins des sauveteurs, ainsi que quelques-unes des compagnes des vaillants sauveteurs, en coiffes de bigoudens et de l'Île de Sein. Un représentant de la rédaction leur souhaita à tous la bienvenue et magnifia le sentiment complet d'abnégation et d'héroïsme des sauveteurs de la mer, qui n'attend rien en retour, si ce n'est la satisfaction du devoir accompli. Le commandant Cholet rappela la constante sollicitude du Matin à l'égard des vaillants sauveteurs et évoqua les attributions successives de son mémorial. Enfin, M. Mayssenc, dans une allocution simple et sincère, remercia, au nom de ses camarades, le Matin de sa si cordiale réception.
Puis suivant la coutume, on but quelques coupes de champagne.


1939 - B.A.N. DE ST RAPHAEL-FREJUS


Les sauveteurs de la mer vont être aujourd'hui fêtés au cours de l'assemblée générale de la Société centrale de sauvetage des naufragés, qui se déroulera comme chaque année, en présence de nombreuses personnalités et devant une foule enthousiaste dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, capitole de nos gloires nationales. Il est bien que, chaque année, soit officiellement exalté l'héroïsme, glorifiés les hauts faits de dévouement et d'abnégation, d'une pléiade sympathique et simple élite de nos marins pêcheurs et du personnel de notre marine de guerre, fils et filles de nos côtes et de nos ports, qui font à ce point, du devoir et de l'altruisme la règle essentielle de leur existence rude et mouvementée, qu'ils considèrent leurs action d'éclat comme des gestes tout à fait naturels, et qu'ils seront tout à l'heure, comme leurs nombreux devanciers, surpris et comme gênés des enthousiastes acclamations des spectateurs, qui salueront la lecture de leurs exploits.
Comme chaque année, le palmarés de la Société centrale de sauvetage des naufragés, lu cette fois par le vice-amiral Dubois, redira la bravoure, le dévouement, le mépris du danger du patron et de son équipage, de l'officier et du matelot, du vieillard et de l'enfant, du mousse et de la jeune fille, comme pour nous prouver, une fois de plus, que l'héroïsme de nos sauveteurs de la mer ne connaît ni l'âge, ni la condition, et que c'est, tout le long de nos côtes et jusque sur les rivages lointains de notre empire colonial, une vertu ancestrale, que chacun porte en son âme depuis sa naissance, et qui n'attend que l'occasion pour brusquement s'épanouir en une magnifique floraison.
C'est François Leprêtre, patron honoraire du canot de sauvetage de Gravelines, à qui le vice-amiral Lacaze, ancien ministre de la marine, président de la Société centrale de sauvetage, remettra la rosette d'officier de la Légion d'honneur, en récompense d'une carrière au cours de laquelle il a sauvé plus de soixante-dix personnes.


Les plus beaux actes de dévouement de l'année

Des médailles d'or et des prix seront ensuite décernés à des patrons et à des armements de capots de sauvetage, qui se sont distingués pendant l'année écoulée.
C'est le patron Michel Corolleur, du canot de sauvetage à moteur de l'Ile de Molène, qui répondit à dix reprises à des appels de détresse et sauva quatre bateaux de pêche avec leurs équipages.
C'est le patron Crouzat, du canot de sauvetage de la station de Valras (Hérault), qui arracha à la mort trente-huit hommes d'un vapeur espagnol jeté à la côte au cours d'une violente tempête ; le patron Charles Renouf, qui sauva sept naufragés de la barque Surcouf qui avait coulé sur les roches battues par une mer furieuse ; le patron Massoni, du canot de sauvetage à moteur de Bastia, qui n'hésita pas, à deux reprises, à franchir de très dangereux passages pour porter secours à des naufragés en péril ; le patron Robert Gouley, du canot de sauvetage à moteur de Honfleur, qui, par une nuit de décembre dernier, sauva un bateau de pêche jeté à la côte par un très mauvais temps ; le patron Aristide Lucas, du canot de sauvetage à moteur du Conquet, qui, pendant l'année 1938, secourut trois bateaux de pêche en difficulté et qui, le 28 janvier 1939, par une tempête d'une exceptionnelle violence n'hésita pas à approcher le phare des Pierres-Noires, sur la base duquel se brisaient des lames furieuses, pour recueillir un gardien blessé.
Parmi les nombreux autres lauréats du palmarès, citons les patrons de pêche Tonnerre, Galloch et Salaun, de l'ile de Groix, qui portèrent secours à l'équipage d'un thonier coulé par la tempête et réussirent à sauver un naufragé évanoui et agrippé au sommet du mât ; le sous-patron des douanes en retraite François Tanguy, du Dourduff, qui, à 62 ans - c'est son septième sauvetage - plongea tout habillé et botté, pour sauver un enfant de 9 ans qui se noyait ; le lieutenant de vaisseau Laine, de l'aviation maritime, qui, au moment de la chute de son hydravion, fit preuve, quoique sérieusement blessé, d'une admirable volonté en contribuant à sauver le personnel emprisonné dans la coque immergée ; l'enseigne de vaisseau Ortolan, qui, au large de Cherbourg, plongea à trois reprises, tout habillé, pour dégager le corps de son chef pris dans la carlingue d'un hydravion ; le maître principal d'aéronautique volant Brélivet qui, projeté hors de la coque d'un hydravion tombé à la mer, malgré ses blessures douloureuses et au mépris du danger d'incendie, pénétra dans la coque de l'appareil et contribua au sauvetage du personnel emprisonné à l'intérieur, qui comprenait plusieurs blessés.
Enfin, le plus jeune sauveteur de l'année est Jean Faucon, de Fécamp, qui, âgé de 12 ans, se porta à la nage au secours d'une baigneuse en danger, et, faisant preuve d'une énergie peu commune, réussit à la sauver.

L'aéronautique maritime

La commission chargée de l'attribution du Mémorial du Matin, glorieux challenge offert chaque année aux sauveteurs français et dû au ciseau du maître orfèvre Falize, a décidé de le maintenir cette année aux sauveteurs de l'aéronautique maritime qui en étaient déjà détenteurs l'année dernière. Ce mémorial sera donc conservé à la base aéronautique maritime de Fréjus-Saint-Raphaël qui le reçut le 18 juin 1938, au cours d'une pris d'armes à l'issue de laquelle le vice-amiral Docteur dégagea, la haute portée des magnifique exemples de courage et d'abnégation donnés par le personnel de l'aéronautique maritime,
Les actes de dévouement qui l'année dernière, avaient justifié ainsi l'attribution du Mémorial du Matin ont été renouvelés cette année par les valeureux sauveteur que va récompenser la Société centrale de sauvetage des naufragés.

Quatre-vingt-huit sauvetages en un an

Du 1er avril 1938 au 1er avril 1939, les canots de la Société centrale de sauvetage des naufragés ont effectué quatre-vingt-huit sorties de sauvetage au cours desquelles cent vingt-quatre personnes ont été arrachées à la mort.
Les sauveteurs de la mer ont ainsi bien mérité les acclamations dont ils seront tout à l'heure l'objet dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.

Les Sauveteurs de la mer ont rendu visite au Matin

Fidèles à une ancienne tradition, les Sauveteurs de la mer qui vont recevoir, on le sait aujourd'hui en Sorbonne les récompenses de leurs hauts fait sont venus, hier après-midi, rendre visite au Matin. Ils avaient à leur tête François Leprêtre, patron honoraire du canot de sauvetage de Gravelines, qui compte cinquante sept ans de navigation et se glorifie d'avoir, avec son canot, arraché à la mort soixante-treize personnes et accompli sept sauvetages personnels.
Un délégué de la rédaction souhaita la bienvenue à nos sympathiques visiteurs et exalta leur héroïsme. Le commandant Cholet, de la Société centrale de sauvetage, le remercia en quelques phrases émues. Puis on sabla quelque coupes de champagne.