LE REGULATEUR SERRIN

Victor Serrin est l'inventeur du système d'éclairage le plus puissant, le plus fiable, le plus propre et le plus adapté à l'éclairage des phares de l'époque : Le premier régulateur de lampe à arc électrique pour l'éclairage des phares.

Pour faire naître la lumière électrique, entre les deux charbons de la lampe ou régulateur, il faut d'abord amener les pointes au contact, afin que le courant électrique s'établisse; il faut les reporter ensuite à une petite distance l'une de l'autre, pour que l'arc électrique puisse se développer; enfin, il faut qu'elles se rapprochent constamment à mesure qu'elles s'usent par la combustion ou le transport électrique, de telle sorte que le foyer de lumière occupe toujours le même point de l'espace.

Le régulateur de M. Serrin satisfait complètement à ces trois conditions. Il laisse les charbons en contact quand le courant ne circule pas ; il les écarte à distance voulue quand le courant est établi ; il les rapproche ensuite incessamment sans les laisser arriver au contact. Si, par une cause accidentelle, les charbons se brisent ou s'éloignent trop, ils sont automatiquement ramenés, après un contact d'un instant, à la distance qui doit les séparer pour que Tare voltaïque se développe dans tout son éclat.

D'autres régulateurs remplissent les mêmes fonctions ; mais c'est celui de Serrin qui les remplit avec le plus de précision, de délicatesse, si nous pouvons nous exprimer ainsi, et le moins d'inconvénients.

L'appareil est représenté ci-contre, figure 9.

Il se compose d'un électro-aimant A, d'une tige B servant de moteur, d'une tige G supportant le charbon négatif, d'une armature D, d'un butoir E, d'une attache F, d'une vis à excentrique G, d'un support de charbon positif H, d'une entretoise fixe I, d'une entretoise à rallonge J, d'un levier de tension KL, d'un double parallélogramme MNPQ, d'un mouvement d'horlogerie 0, d'une vis de réglage inférieure R, d'une vis de réglage supérieure S, d'une vis de jonction T, d'une borne d'ivoire V servant à arrêter le mouvement de la lampe, d'une enveloppe en cuivre et d'une série de détails accessoires.

Les charbons sont fixés au moyen de vis de pression dans deux porte-charbons. Le charbon positif est maintenu au-dessus du charbon négatif au moyen d'une tige cylindrique massive munie, à la partie supérieure, de deux traverses horizontales reliées au porte-charbon. La traverse ou entretoise supérieure permet, au moyen d'un bouton fileté, d'imprimer au porte-charbon un déplacement dans un plan parallèle au plan du dessin. La traverse inférieure, au moyen d'un excentrique commandé par le bouton G, déplace le charbon dans un plan vertical perpendiculaire au plan de la figure.

La combinaison de ces deux mouvements rectangulaires entre eux donne le moyen d'amener rigoureusement en présence les deux pointes de charbon. C'est entre elles que jaillit Tare voltaïque constamment maintenu à la hauteur d'une petite gorge circulaire ménagée sur la tige massive du porte-charbon positif.

Quant au porte-charbon négatif, placé au-dessous de l'autre, il est introduit dans un tube creux, d'où on peut le retirer pour le débarrasser des fragments de charbon qui s'y rompraient accidentellement. Une vis de pression maintient le charbon dans sa gaine.


Voyons maintenant comment va se produire le rapprochement des pointes et ensuite le maintien de l'écart convenable.


Lampe à arc Serrin, fabrication Breguet.
©  Spark Museum

1° Rapprochement. — La tige massive du porte-charbon positif tend à descendre verticalement sous l'action de la pesanteur. Elle est, sur sa partie inférieure, taillée en crémaillère et, pendant la descente, engrène avec une roue dentée qui communique le mouvement au système d'engrenages figuré. Sur l'arbre de la première roue dentée est calée une poulie de diamètre moitié moindre que la roue. Cette poulie suit le mouvement et le transmet, au moyen d'une chaîne à la Vaucanson, à une petite poulie de renvoi : la chaîne vient se fixer à une pièce en saillie F rattachée au tube du porte-charbon négatif. Par suite des dimensions et de la disposition de la première poulie, le porte-charbon positif se déplace de bas en haut d'une quantité sensiblement moitié de celle dont descend le porte-charbon positif. On compense donc ainsi la différence de l'usure qui, pour le charbon négatif, est à peu près moitié de celle du charbon positif.

La descente du charbon positif est régularisée au moyen du système d'engrenages qui se termine par un pignon commandant à la fois un régulateur à ailettes et un petit volant étoile dont nous verrons plus tard le rôle important.


Lorsqu'on veut renouveler les charbons, on soulève de bas en haut la tige massive du porte-charbon positif : cette opération entraîne la descente du tube du porte-charbon négatif sous l'influence de son propre poids, et elle ne détermine aucun mouvement des engrenages, parce qu'un encliquetage placé sur l'arbre de la seconde roue maintient le système au repos.

2° Établissement et maintien de l'écart convenable entre les pointes. — Ce résultat est obtenu au moyen du double parallélogramme articulé MNPQ, de l'armature de fer doux D, et de l'électro-aimant A.

Dans le parallélogramme, le côté vertical MQ, voisin du porte-charbon positif, est fixe ; deux côtés, MN, PQ, peuvent s'écarter de la direction horizontale ; le troisième côté NP est vertical et les extrémités inférieures de ces côtés verticaux mobiles sont reliées par une armature en fer doux D.

L'influence de la pesanteur sur le parallélogramme articulé est contre-balancée au moyen de deux ressorts en spirale. L'un s'attache, d'une part, au côté horizontal inférieur l'électro-aimant s'affaiblit, les ressorts l'emportent à leur
tour et relèvent le parallélogramme.

L'armature de fer doux D, placée en regard de l'électroaimant A, sera attirée par ce dernier lors de la fermeture du circuit, et l'intensité de cette attraction variera avec l'énergie du courant.

Le fil positif de la machine, serré dans une borne, est mis en communication avec la masse de l'appareil, et le courant électrique, passant du charbon supérieur (positif) au charbon inférieur (négatif), par l'arc voltaïque, va du porte-charbon inférieur, en traversant le conducteur isolé S, à l'électro-aimant, et sort de l'appareil par une borne isolée, à laquelle est fixé le fil négatif.

On voit sur le dessin que le tube du porte-charbon négatif est relié au côté vertical mobile du parallélogramme. Celui-ci est soumis à deux efforts qui se contre-balancent : son poids qui tend à le faire osciller autour de l'arête fixe et les ressorts qui tendent à le relever. L'action de l'électro-aimant consiste à triompher à un moment donné de la puissance des ressorts et en attirant l'armature de fer doux à faire descendre le parallélogramme. Lorsque le courant de l'électro-aimant s'affaiblit, les ressorts l'emportent à leur tour et relèvent le parallélogramme.

Il est facile de se rendre compte que dans le premier cas le charbon négatif descend et qu'il remonte dans le second. En effet, le côté vertical mobile du parallélogramme porte une équerre E, dont la pointe peut, en s' abaissant, pénétrer entre les bras du moulinet, enrayer le mouvement des engrenages et par suite de la crémaillère. L'abaissement du parallélogramme engage l'équerre, tandis que le relèvement l'a dégagée ; et, par suite, la crémaillère est arrêtée dans le premier cas, tandis qu'elle est libre de descendre dans le second en provoquant l'ascension du charbon négatif.

Le bouton R agit par le levier LK sur un ressort qui sert à régler l'appareil de la manière suivante. Lorsque la lumière jaillit entre les deux pointes de charbon, il existe un écart (un seul suivant l'intensité du courant) pour lequel le pouvoir éclairant est maximum. A cet écart correspond une position du parallélogramme oscillant relié aux actions des ressorts et de l'électro-aimant. En faisant varier au moyen du levier la tension du ressort et la distance de l'armature à l'électro-aimant, on peut arriver promptement à fixer la position convenable du parallélogramme et à maintenir la distance des pointes dans les conditions les plus favorables.

Il nous reste maintenant à voir comment on opère dans la pratique.

Nous supposons que les charbons aient été placés sans que le courant passe encore dans l'appareil. Le mouvement de descente de la tige massive détermine le mouvement ascensionnel du charbon négatif jusqu'à ce qu'il y ait contact, A partir de ce moment, les deux tiges descendent ensemble, mais comme la tige du porte-charbon négatif est reliée au côté vertical mobile du parallélogramme, elle fait abaisser le parallélogramme, l'équerre enraye le petit moulinet et tout le mécanisme est immobilisé.

Dès que le courant est envoyé dans l'appareil, l'électro-aimant devenu actif attire l'armature, entraîne le parallélogramme oscillant et par suite le charbon inférieur, dont la pointe s'écarte à une petite distance de celle du charbon supérieur : l'arc voltaïque apparaît et relie les deux pointes. A mesure que le courant devient moins énergique par suite de l'usure et de l'écartement des pointes, l'électro-aimant devient moins puissant, l'action des ressorts l'emporte, l'armature s'éloigne de l'électro-aimant, le parallélogramme oscillant remonte. Par suite de ce mouvement incessant du parallélogramme, qui tantôt descend entraîné par l'armature, tantôt remonte sous l'action des ressorts, le moulinet se trouve alternativement engagé et dégagé ; la crémaillère, par suite, passe par des alternatives de descente et d'arrêt, et le mécanisme de rapprochement fonctionne en maintenant constamment les charbons dans les limites voulues.

L'avantage que présente le régulateur Serrin sur les autres, tient surtout à ce que son moteur est assez puissant pour lui assurer une marche certaine, en détruisant les petites résistances anormales qui se présentent, sans que, malgré cette puissance, il puisse écraser les pointes de charbon Tune contre l'autre ou leur permettre de glisser parallèlement. Dès que la tige inférieure descend un peu, elle embrayé immédiatement le moulinet et soustrait ainsi les charbons en contact à l'action du poids de la tige supérieure. Il suffit de tendre convenablement le ressort équilibrant le porte-charbon inférieur pour donner au mouvement toute la douceur qu'on désire obtenir.

Aucun autre régulateur ne possède la propriété d'avoir un moteur très-puissant et très-docile, à un degré égal, ce qui ne veut pas dire cependant que l'appareil de M. Serrin soit sans défaut ; il a, comme toute chose humaine, des imperfections, et, bien que ces imperfections soient légères, il est utile de les signaler.

Tous les mouvements produits par l'électro-aimant sur son armature sont directement transmis au porte-charbon inférieur, lequel oscille sans cesse lorsque les charbons contiennent des impuretés. Ces oscillations augmentent ou diminuent alternativement la longueur de l'arc voltaïque, et par
suite sa résistance. Le courant change alors d'intensité à chaque instant et réagit sur la machine motrice et sur l'électro-aimant, lesquels multiplient les oscillations premières et donnent souvent à la lumière une instabilité très désagréable. Ajoutons que l'appareil ne peut pas fonctionner horizontalement, ni prendre une trop forte inclinaison, que ses organes sont un peu délicats pour l'usage des ateliers de construction, et nous aurons énuméré tous ses petits inconvénients. Malgré cela, nous répétons que son service normal est satisfaisant et qu'il suffît de prendre quelques précautions pour n'éprouver aucun désagrément sérieux. Avec des charbons chimiquement purs et une source d'électricité bien constante, on peut rendre presque nulles les amplitudes de l'armature de l'électro-aimant et obtenir une lumière aussi fixe que celle d'une lampe à huile ou d'un bec de gaz bien réglé.








Infos tirées du livre l'ÉCLAIRAGE A L'ÉLECTRICITÉ de Hippolyte FONTAINE -

Edition J. Baudry, 1877

Hippolyte Fontaine - Sa bio