LE CONFLIT DE PENMARC'H - JUILLET 1927 (suite 3)

FIN DE LA GRÈVE.

Il y avait bien de la lassitude dans les ports, il était permis de croire que dans certains, Audierne, Quiberon, où la résistance se faisait toujours sentir, la grève ne durerait plus très longtemps, mais sur toute la côte l'on ne s'attendait pas à une fin si brusque (1).


A Douarnenez, la grève fut d'abord confirmée le mercredi 6 par plus de trois cents voix de majorité et il fut décidé, en principe qu'une partie des bateaux irait en mer pour le ravitaillement des grévistes et de la population.
A cette réunion de l'après-midi, un des orateurs ayant dit que dans le conflit il s'agissait aussi de défendre les patrons pêcheurs, plusieurs femmes qui y assistèrent prirent ceux-ci à partie en leur disant que c'étaient eux la cause de la continuation de la grève et la fin de la réunion fut mouvementée.
A l'issue les patrons pêcheurs ne voulant pas endosser cette responsabilité, se réunissent à la Coopérative et s'informent de 1a situation dans les autres ports. Audierne répond : " Nous attendons le beau temps pour sortir. " Quiberon dit : " Nous sommes en mer depuis ce, matin. " Concarneau attend la décision des autres ports.

La discussion commence et le vote a lieu : 72 voix pour la reprise; 11 contre. Par ce vote les patrons pêcheurs disent :
1° Nous ne prenons pas la responsabilité de la continuation du conflit, nous sommes prêts à reprendre la mer si la majorité le décide;
2° Nous ne voulons pas de non-professionnels à la tête de la grève;
3° Nous ne sortirons qu'après tous les autres ports.
Concarneau, et, sans doute, les principaux ports en grève, sont informés du résultat du vote. Douarnenez attendra leur décision. Le lendemain 7 juillet, tous les pêcheurs réunis ne s'opposent pas à la sortie des bateaux, qui ne prendront la mer que le samedi.


A Concarneau, le mardi 5 juillet est marqué par des incidents. Au cours d'une réunion, il fut décidé d'empêcher les thoniers étrangers au port de vendre leur poisson. Une annexe fut envoyée dans la rade prévenir les bateaux qui rentraient. Les délégués présents ont-ils fait tout leur possible pour écarter cette décision malheureuse, je me le demande. En tout cas, c'était le conflit cherché par les usiniers : thoniers contre sardiniers.
Les fabricants, naturellement, poussent à la division, et le thon vendu la veille, le 4, de 310 à 370 francs la douzaine, passe brusquement de 470 à 525 francs. Le prix étant favorable, les thoniers n'acceptent pas la décision des grévistes.
Le soir, le poisson au port est vendu. La manifestation qui devait avoir lieu ne se fait pas. La grève va subir le contre-coup.

Le jeudi, les patrons pêcheurs, ayant eu la veille connaissance du vote de Douarnenez, se réunissent et il y eut 16 voix pour la reprise, et 17 contre.
La plupart de ceux qui étaient pour la reprise déclaraient - les faits leur ont donné tort - que toujours à Concarneau les prix ont été plus élevés qu'à Saint-Guénolé et que les prix indiqués par le Comité de grève n'auraient pas forcément été appliqués dans ce port. Au fond, un grand nombre de patrons et de matelots étaient pour la cessation de la grève. Eux aussi pensaient : " Ne faisons pas grève avant la pêche. Tentons l'expérience et après nous verrons."


Audierne-Après une journée de pêche


A Audierne, la grève votée le 5 n'apporta aucun changement. Les opposants n'avaient, pas assisté à la réunion et on sentait chez eux la volonté de sortir dès qu'ils le pourraient. 

D'ailleurs, deux bateaux sortirent le mercredi 6, le, temps ayant une tendance à s'améliorer.
Le jeudi 7, tous les bateaux sortent le matin. Le Comité de grève fait annoncer qu'à la suite de l'entrevue de Nantes, les prix proposés vont être mis à l'essai. Il est probable que même si la sortie n'avait pas été autorisée, tous les langoustiers auraient quand même pris la mer.


A Penmarch, la situation n'était pas non plus brillante au début de la semaine. Kérity, surtout, paraissait vouloir lâcher, et cela se comprend après un mois de misère. Il fallut une intervention pressante des pêcheurs de Saint-Guénolé et de Saint-Pierre pour décider quelques gars de Kérity à rester au port.
Le mercredi 6, après un exposé lumineux de Jos Le Pape, la confiance revint et, à l'unanimité, et dans un grand enthousiasme, la continuation de la grève fut décidée.
Malgré tout, quelques pêcheurs de crabes et de maquereaux se préparèrent, le jeudi 7, et prirent la mer le 8, malgré l'annonce de la réunion du soir.
Devant pareille situation : Douarnenez, Concarneau, Audierne, Quiberon (où la grève se termina le mardi 5), la grève ne pouvait plus continuer à Penmarch. Le 9 juillet elle était terminée dans tous les ports.


Kérity-Devant l'Abri du Marin

APRES LA GREVE.

J'ai dit, dans le dernier numéro, que je ne croyais pas à la trahison, je le pense toujours. Expliquer la fin brusquée de la grève en disant " trahison ", est simpliste et faux. Il n'est pas vrai que les patrons pêcheurs de Douarnenez, qui ont voté pour la reprise du travail, pas plus que ceux de Quiberon, qui sont sortis les premiers, ou que ceux d'Audierne, qui ont longtemps hésité à déposer leurs rôles, soient vendus aux usiniers ou au ministre. Ils savent trop bien que c'est le fabricant de conserves qu'ils trouvent toujours devant eux quand ils luttent pour augmenter leur bien-être. Ils connaissent leurs exploiteurs.
Mais, c'est un fait : un grand nombre de pêcheurs, matelots et patrons, voulaient tenter l'expérience et aller en mer; ils pensaient que si la pêche était bonne, ils pourraient toujours gagner leur vie.


LES CAUSES DE LA DEFAITE.

Il y a eu lassitude, manque de confiance dans l'issue du conflit, manque d'organisation, manque d'éducation syndicaliste,misère, action des femmes contre la grève, mais on ne peut pas, sérieusement, soutenir qu'il y eu trahison.
Au contraire. A Concarneau, certains accusaient les délégués pêcheurs de faire continuer la grève inutilement ; on fit courir le bruit stupide que certains d'entre eux avaient reçu de fortes sommes de Moscou pour empêcher la reprise du travail.
Les pêcheurs ont été battus parce qu'il ne connaissent pas le chemin de l'organisation, qu'il désertent le Syndicat après le conflit et qu'ils sont divisés entre eux de port à port, souvent même dans le même port, quand ils font des pêches différentes. L'an dernier, c'était Saint-Jean-de-Luz et les Sables-d'Olonne qui chassaient les Bretons. En Bretagne, c'est au moins une lutte sourde entre les pécheurs qui emploient une seule annexe et ceux qui en ont plusieurs ; bien souvent, surtout en période de bonne pêche, c'est le heurt entre sardiniers et thoniers.

J'ai vu, dans le passé, tous les thoniers vendre leur poisson à un prix assez rémunérateur, et les sardiniers attendre plusieurs heures avant que l'on veuille bien mettre un prix à leur pêche. Dans le présent, c'est à Concarneau que la division se fit le plus sentir pendant la grève. Toutes ces divisions sont savamment entretenues par les usiniers, qui, tant que les pêcheurs ne s'entendront pas entre eux, resteront maîtres dans les ports.


LES PRIX ACTUELLEMENT PRATIQUÉS.

La grève est terminée, les pêcheurs sont battus, mais le conflit n'est pas résolu. Comme je l'ai montré : à 450 francs les 100 kgs., avec une pêche moyenne, le patron ne gagnera rien ; le plus souvent, il fera des dettes.
La semaine dernière, il y avait une jolie pêche à Concarneau.
Voici les résultats pour deux patrons : "J'ai vendu, dit l'un, pour 3.500 francs de poisson dans une semaine, et j'ai perdu de 3 à 400 francs." Le second déclare : "J'ai fait une bonne pêche, mes matelots ont touché 350 francs, moi, j'ai perdu 50 francs."

Il est certain que les patrons pêcheur, qui ont voulu, malgré tout, tenter l'expérience et qui pensaient que les prix de Saint-Guénolé ne seraient pas ceux d'ailleurs, commencent à réfléchir et à voir clair, car, à moins d'une très bonne pêche, ils ne feront pas leurs frais.

Ah ! M. Tardieu, disait "il faut pêcher 10.000 sardines par bateau !" Très bien. Il est facile, lui dit Jos Le Pape, de tirer d'une source un certain nombre de mètres cubes d'eau tous les jours, mais pour prendre régulièrement 10.000 sardines, c'est une autre histoire !

Et puis, pourquoi vouloir - même si c'était possible - prendre 10.000 sardines puisque les usiniers ne sont pas capables de les travailler. Une preuve. Vendredi 15 juillet, il y eut, à Concarneau, de forts arrivages de thons (2), les usines en prirent beaucoup, et eurent ensuite de grandes difficultés pour absorber la pêche de sardines de ce jour-là, pêche pourtant bien moyenne de 2 à 6 mille par bateau. Le soir, à 9 heures, quatorze bateaux, à terre depuis plusieurs heures, n'avaient pas encore vendu, et il fallut que le commissaire de police intervienne pour que leur pêche, 55.000 environ, fût achetée.
Le Comptoir d'achat ? On n'en parle plus, mais comme les années passées, il fonctionne quand même. Sous une autre forme, c'est entendu, mais pour le pêcheur le résultat est le même.

Le samedi 16 juillet, bonne pêche à Concarneau. Le Comptoir fonctionne tout en n'existant pas. Les acheteuses mettent 150 francs le mille le matin, et toute la journée ce fut le même prix dans toutes les usines. Pas de concurrence.
Et encore, si le prix accepté par les usiniers était appliqué. La grève est finie et les promesses sont oubliées.
A 150 francs le mille, poisson de 25 au kilogramme, cela fait 375 francs les 100 kilos. On est loin des 450 francs promis le 5 juillet, et cependant les quinze jours ne sont pas écoulés.
Tous ces faits me font dire : "Le conflit n'est pas résolu. En ce moment, c'est le calme. Mais la tempête se déchaînera de nouveau. Pourvu qu'à ce moment-là, les organisations syndicales soient prêtes.


Les acheteuses veillent...


L'AVENIR.

L'avenir est dans l'éducation et l'organisation des marins, qui, pour la plupart sont beaucoup trop individualistes. Il y aura, je crois, beaucoup à faire pour les amener à s'organiser en syndicats solides et en coopératives puissantes. Il faudra leur apprendre à avoir confiance dans leurs camarades de travail, et aussi, et surtout, dans ceux à qui ils auront confié la barre des organisations. En dehors des temps de crise, comme celui d'aujourd'hui, c'est une qualité qu'ils ne possèdent pas à un degré élevé.
Les pêcheurs ont déjà des coopératives d'achat de rogues, de filets, etc., lesquelles, en l'état actuel, doivent sans doute passer sous les fourches caudine des trusts, mais qui, malgré tout, rendent des services et empêchent surtout les marchands de rogues de piller les pêcheurs comme autrefois.
Il est peut-être une autre organisation qui pourrait améliorer quelque peu leur situation présente. Si les pêcheurs voulaient, savaient s'organiser en coopératives de vente, ils retireraient, certainement de leur travail un peu plus de bien-être pour eux et leur famille.
L'essai vaut d'être tenté (3). Il le sera, sans doute, cette année.
Lepez, quelques jours avant sa mort, vint à Saint-Guénolé étudier la question. Il parla aux pêcheurs, leur fit voir les avantages certains ; ils le comprirent, mais oseront-ils ?
Evidemment, pour l'instant, il ne faut pas songer à écouler ainsi tout le poisson d'un port, mais je suis persuadé qu'une coopérative, bien organisée, dans chaque port servirait de régulateur des prix, au moins dans une certaine mesure.
Il ne faut pas oublier qu'au moins la moitié de la population française ne mange pas de poisson de mer. J'ai vu, - faute d'organisation - les pêcheurs de sprat obligés de vendre leur pêche aux paysans pour fumer les terres. Il y a certainement à faire pour trouver des débouchés dans le coeur même du pays. Je sais que la question est beaucoup plus complexe qu'elle ne paraît de prime abord, mais je ne pense pas qu'elle soit insoluble.
Enfin, il est probable que dans les années qui vont suivre, l'industrialisation de la pêche va se poursuivre activement et que le métier de pêcheur sera, de plus en plus difficile. Déjà dans certains ports leur nombre diminue sérieusement, et ce mouvement vers un salaire plus régulier ne pourra aller qu'en s'accentuant.
D'autre part, les usiniers reviendront souvent à la charge, ils essaieront plusieurs autres moyens pour parvenir à l'industrialisation, et je doute qu'ils ne réussissent pas un jour ou l'autre. Ce jour est, pour la Bretagne, peut-être encore assez éloigné, vu la situation spéciale des ports, mais les pêcheurs doivent y songer tout de même. II faut qu'ils sachent, et ce sera le travail de demain, que, seule l'Organisation syndicale, l'union de tous les pêcheurs de la côte, pourra, je ne dis pas arrêter cette industrialisation, mais au moins faire à ceux qui la subiront les conditions les moins mauvaises possibles dans le régime capitaliste actuel.

E. ALLOT.

(1) A ce propos une petite erreur s'est glissée dans mon article précédent. Les patrons pêcheurs de Douarnenez et de Concarneau ne se sont pas réunis à peu près à la même heure, comme je l'ai écrit. Les premiers ont eu leur réunion le mercredi 6,juillet et les autres le lendemain matin.
(2) Comme très souvent d'ailleurs, car ce port est celui qui travaille le plus de thons de toute la côte.
(3) Une coopérative de vente de pêcheurs fonctionne, depuis 3 mois, à Alger. Nous donnerons sur elle une étude, dès qu'elle aura quelques mois de plus de fonctionnement.