LE CONFLIT DE PENMARC'H - JUILLET 1927 (suite 2)

 Deuxième partie de l'article tiré de La révolution Prolétarienne, n° 39 du 1er Août 1927.

LA GRÈVE GÉNÉRALE.

Au retour de la délégation des pêcheurs de Penmarch, après la première entrevue au ministère et de laquelle rien ne sortit, les pêcheurs en grève comprennent qu'ils ne doivent plus rester isolés ; seuls ils ne pourront lutter contre les usiniers bien groupés, et décident de faire appel à la solidarité effective des autres ports. Dès ce moment, la grève entre dans une nouvelle phase. Ce n'est plus le conflit de Penmarch ; c'est toute la côte bretonne qui va se jeter dans la bataille.

Les militants de Saint-Guénolé, aidés par Tillon, se rendent alors dans tous les ports de la région pour préparer la conférence de Quimper, qui se tiendra les 22 et 23 Juin.

A cette conférence les délégués étudient la situation, condamnent l'emploi du filet tournant et arrêtent les propositions qui seront faites aux représentant ; des fabricants de conserves, MM Lémy et Amieux, qu'ils doivent voir le lendemain. Le 23 juin, aucun résultat. Les usiniers restent sur leurs positions : 400 francs les 100 kilos pour Saint-Guénolé, vu les conditions spéciales de ce port. Les délégués, après l'entrevue du matin croyaient que les pourparlers n'étaient pas rompus ; mais le soir, après un communiqué à la presse, MM. Lémy et Amieux reprenaient le train.


Tournée des ports - Concarneau (Photo montage)


La délégation des grévistes se transforme alors en Comité de grève, quitte Quimper et s'en va dans les ports rendre compte de son mandat. Les pêcheurs sont "placés dans l'alternative de la famine ou de la grève générale".

Les 24, 25, 26 et 27 juin toute la côte est visitée. Les marins réunis, décident, dans certains ports, après bien des hésitations, de déposer les rôles : C'est la grève générale.
Douarnenez, Guilvinec, Loctudy, L'Ile Tudy, Lesconil, entrent d'abord dans la lutte, suivis les jours suivants par Concarneau, Audierne, Quiberon, etc...


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Abri du Marin de Douarnenez

Si j'en juge par les réunions auxquelles j'ai assisté à Douarnenez et par les renseignements reçus des autres ports, il y eut peu d'enthousiasme au début ; on sentait chez les auditeurs beaucoup d'attention et de réflexion. On ne veut pas s'engager à la légère. La pêche aux maquereaux a été mauvaise, le gain à peu près nul et, dans beaucoup de foyers, c'est déjà la misère. On compte beaucoup sur la pêche de l'été, on a besoin d'argent et l'on hésite, car l'on se demande si la grève durera longtemps. Quelques-uns pensent et disent - les femmes surtout, pour qui la grève est loin d'être populaire - : "Allons d'abord à la pêche, nous ne savons pas quels seront les prix, on verra après. Quand la sardine sera à quai, si les usines n'en prennent pas ou offrent un trop bas prix, nous resterons à terre", ne voulant pas voir que, peut-être « après », le moment sera passé.


La pêche commencée, un mouvement d'ensemble n'est guère possible et les conflits locaux ne peuvent aboutir, les usiniers ayant des maisons sur toute la côte.

Et toujours cette question du filet tournant. Saint-Guénolé l'emploie et il faut que les délégués insistent beaucoup sur la décision prise à Quimper : engagement de ne plus travailler avec cet engin, pour lever les doutes qui peuvent rester dans certains esprits.


Carte originale de l'article


De plus, les vieilles rancunes se réveillent. On se rappelle que dans le passé, à Saint-Guénolé, par exemple, les pêcheurs des autres ports n'avaient parfois pas le droit d'accoster pour vendre leur poisson et que les bateaux d'Audierne et de Guilvinec, en particulier, ont été souvent obligés de s'en aller chez eux. Et les marins les plus au courant de la situation ajoutent, avec quelque semblant de raison : "Si les usines sont aujourd'hui encombrées, s'il y a des stocks, cela provient peut-être des ports comme Penmarch qui, à la fin de l'année, emploient le filet tournant et alimentent ainsi, par camions, les fabriques voisines, ou de ces ports du sud de la Bretagne et de la Vendée, qui pêchent avec plusieurs annexes. Si les autres pêcheurs, disent-ils, nous avaient imités en n'utilisant que le filet droit avec une seule annexe, et n'étaient, comme ceux de Douarnenez, sortis que cinq fois la semaine, il n'y aurait pas eu de surproduction l'an dernier, et la crise d'aujourd'hui aurait été, "sinon évitée, du moins beaucoup moins forte".

D'autres questions se posent. Les thoniers sont déjà partis. Que feront-ils au retour ? Se solidariseront-ils avec les sardiniers, ou bien retourneront-ils à la pêche, si le prix est assez bon ? Dans ce dernier cas que feront les grévistes ?
Et les pêcheurs à la ligne qui ne vendent pas à l'usine, surtout au début de la saison ? Et les langoustiers qui ne connaissent que les mareyeurs. Certains ne voient pas d'une façon nette que si les, sardiniers sont battus, les prix des autres poissons s'en ressentiront et que, pour eux, la baisse jouera aussi, et ils boudent à la grève.

On peut comprendre maintenant pourquoi il y eut un peu d'hésitation dans certains ports. Cependant les chiffres sont là : 400 fr. les 100 kgs.


Thonier de St Guénolé


La rupture brutale des pourparlers est un fait. Les usiniers intransigeants ne veulent rien entendre et la grande majorité des pêcheurs comprend très bien qu'avec les prix offerts, c'est la misère, c'est la vie de privations d'avant-guerre, qui va recommencer.

UN COUP D'OEIL DANS LES PORTS.

A Audierne, toute la semaine du 26 an 3 juillet, le mouvement traîne. Le 28, une minorité décide de déposer les rôles ; la majorité s'abstient, les lan­goustiers résistent. Ils voient venir la plus be11e marée de morte-eau de l'année et une bonne pêche en perspective. Après la langouste, disaient quelques-uns, nous commencerons la sardine, ou envisagerons la grève. Néanmoins, une quarantaine de rôles sont déposés. Le samedi 2 ,juillet, presque tous les langoustiers sortent, mais rentrent le lendemain, chassés par le mauvais temps. Le 4, le mouvement semble prendre une autre tournure. Ou vote et le scrutin secret donne 190 pour la grève, 2 contre. Ça paraît bien marcher. Tous semblent décidés, mais il faut noter que les langoustiers du Cap sont chez eux et n'ont pas assisté aux deux réunions.
Le soir, flottement de nouveau. D'aucuns parlent même de sortir sans rôle si le temps se remet.
Le lendemain, nouvelle réunion : les patrons pêcheurs seuls sont convoqués. Le Comité local de grève, étant donné les hésitations de la veille au soir, leur demande un nouveau vote secret : 81 pour, 14 contre.
En conséquence on dépose tous les rôles. Les langoustiers, qui ont relâché à l'Ile de Sein, sont invités à rejoindre Audierne au plus tôt.

A Concarneau, la pêche ayant été nulle au début de juin, il n'y a que peu de bateaux au port au début du conflit. Les autres sont à Belle-Ile, Quiberon, etc. A la réunion. qui décide la grève, la majorité s'abstient, le Comité demande alors aux adversaires du mouvement de se faire connaître : pas une main ne se lève. Un délégué est chargé de ramasser les rôles et de les remettre au bureau de l'Inscription Maritime. J'ignore s'il y a eu vote secret ensuite, mais la grève fut effective parmi les sardiniers. Si le dimanche 26, il n'y avait encore qu'un nombre infime de rôles déposés, au fur et à mesure que les bateaux rentraient, le dépôt se faisait sans difficulté.



Les pêcheurs à la ligne de Concarneau n'ont pas cessé d'aller à la pêche pour l'approvisionnement de la localité. Quelques pêcheurs de crustacés des petits ports environnants continuent à servir les mareyeurs.


A Quiberon, après la réunion du dimanche 28, les pêcheurs décident de rester à terre, bien que les renseignements donnés ne sont pas tout à fait exacts. Douarnenez n'avait pas encore voté la grève d'une façon ferme et les bateaux de Concarneau dont on annonçait le dépôt des rôles, étaient à Belle-Ile.
Ce port a été dans une situation difficile. Alors que les bateaux de Quiberon faisaient grève, les pêcheurs de la localité et les Finistériens qui s'y trouvaient voyaient tous les jours ceux d'Etel, petit port voisin qui n'a interrompu la pêche que deux ou trois jours, faire de bonnes pêches et ravitailler les usines et les mareyeurs de la région.


A Douarnenez, à la réunion du 25, l'ordre du Jour du Comité de grève est adopté. Mais beaucoup - peut-être plus de la moitié des pêcheurs - ne votent pas. On veut réfléchir; on sent bien que les délégués ont raison, on les approuve, mais on hésite encore.
La fin de cette sérieuse réunion ne facilita d'ailleurs pas la tâche du Comité. Avant le vote de l'ordre du jour, tout se passa dans le plus grand calme. Les délégués pêcheurs, Tillon, Simonin montrèrent quelle était la situation qui allait être faite à tous les travailleurs de la côte et tout le conflit fut examiné à fond. Mais après, ce fut autre chose. Le Flanchec crut bon d'intervenir, et, à la grève, fut mêlée l'arrestation prochaine de Cachin, l'apologie du Parti communiste, etc., ce qui permit à un avocat démocrate, l'illustre Feillet de Quimper, de venir à la tribune essayer de jeter la confusion dans les esprits; la réunion se termina sur une note comique, au lieu de conserver jusqu'à la fin le caractère sérieux qu'elle avait eu au début.
Après cette réunion, le Comité compris qu'il ne devait pas se contenter du vote émis, et le Lundi suivant un nouveau scrutin donna 759 voix pour la grève et 167 contre. Tous les bateaux - pêcheurs à la ligne qui ne vendent pas à l'usine compris - restent à terre, et dans ce port la grève fut vraiment générale.


A Tréboul, port voisin, il y eut un vote défavorable à la grève et quelques bateaux sortirent comme d'habitude. Certains marchands de Douarnenez s'y ravitailleront pour aller vendre à la campagne.

Comme on le voit, les situations ,ont différentes dans chaque port et les difficultés que doit vaincre le Comité central de grève sont grandes, surtout si l'on tient compte du grand nombre de petits ports échelonnés tout le long de la côte.
Malgré tout le mouvement se discipline peu à peu, et au début de juillet, dans une quinzaine de ports, de Douarnenez à Saint-Nazaire, les rôles sont déposés. Dans 1e Finistère en particulier - thoniers qui sont en mer exceptés - la grève est à peu près générale : en tout 20.000 à 25.000 pêcheurs sont à terre.

L'Humanité a exagéré quand dans son numéro du 24 juin, elle parle de « 60.000 grévistes pour la semaine prochaine » et son rédacteur se moque des lecteurs eu écrivant : « dès samedi vingt mille rôles auront été déposés ». Vingt mille rôles, à six hommes en moyenne sur chacun, cela fait cent vingt mille pêcheurs. Où ce rédacteur a-t-il vu ces cent vingt mille pêcheurs ? Dans un conflit pareil - et dans les autres aussi d'ailleurs - le bluff est parfaitement inutile, la réalité suffit largement.


LES NEGOCIATIONS.

Dès le 25 juin, le ministre ayant fait par l'intermédiaire d'un administrateur de l'Inscription maritime, des propositions d'arbitrage, le Comité de grève lui fait savoir que les ports seront consultés à ce sujet, et qu'une délégation se tiendra à sa disposition et à celle des usiniers.


Ministère du commerce à Paris


Début juillet, le ministre reçoit fabricants et pêcheurs et fait connaître à ces derniers les nouvelles propositions. Les usiniers offrent 325 francs les cent kilos pour la Vendée et le Morbihan, et 350 francs pour le Finistère, alors qu'il y a huit jours ils proposaient 400 francs pour Penmarch. Ils ajoutent : "Les exigences des autres ne nous permettent plus de consentir ce sacrifice aux marins de Saint-Guénolé."

Pure manoeuvre de division. C'est vraiment se moquer des pêcheurs. Ceux-ci, après avoir une fois de plus donné leurs chiffres - chiffres non contestés - refusent et déclarent ne pas pouvoir descendre au-dessous de 700 francs.


Le ministre intervient à ce moment et propose :

l° Que les usiniers prennent l'engagement d'absorber par quinzaine, cent mille sardines par bateau ;

2° Que les prix soient ainsi fixés, : Vendée, 375 francs les cent kilos ; Loire-Inférieure et Morbihan, 400 francs ; Finistère 450 francs.
Et le communiqué ajoute : "Les fabricants n'acceptent pas les propositions mais s'engagent à se réunir a Nantes le mardi 5 juillet ; les pêcheurs, à qui le ministre a signalé que les chiffres demandés par eux s'écartaient de plus du simple au double de ceux pratiqués à Arcachon avec les mêmes filets, consentent à soumettre ces chiffres à leurs camarades."

Ici, une parenthèse. Dans ce conflit, on a parlé des pêcheurs d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz, qui travaillent avec d'autres engins, et qui, parait-il gagnent bien leur vie. C'est fort possible. Tant mieux si les marins de là-bas ne connaissent pas la triste situation de ceux de Bretagne, mais l'on ne peut pas comparer les ports. A Arcachon, où l'on pêche avec plusieurs annexes, il n'y a que très peu de bateaux et les usines peuvent absorber à peu près tout le poisson pris. Et encore bien souvent, les pêcheurs doivent limiter leur pêche. N'est-ce pas la surproduction – provenant de l'emploi de quatre ou cinq annexes - qui provoqua, ces jours derniers, l'avilissement des prix, la limitation de la pêche et les conflits de La Rochelle et de Saint-Gilles ?

Dans le Finistère, la situation n'est pas du tout la même que dans le Sud. Ici, un très grand nombre de pêcheurs ; et les fabricants ne veulent pas s'engager à prendre tout le poisson amené à terre ; c'est cela qui nécessite l'emploi du filet droit et d'une seule annexe. Cela dit afin que les lecteurs sachent à quoi s'en tenir sur les comparaisons du ministre. Continuons.

En réponse aux propositions ministérielles citées plus haut, le Comité de grève déclare : "Les prix proposés restent inférieurs aux salaires indispensables pour les pêcheurs, malgré la parfaite connaissance de la part du ministre de la misère qu'ils engendreraient.
Cependant le Comité adressera aux usiniers pour les réunions de mardi de nouvelles propositions, mais il dénonce à l'opinion publique "les responsables de la famine organisée sur le littoral ".

Le 4 juillet les pêcheurs arrêtent le tarif dégressif suivant : Une pêche de 1.000 sardines sera payée 800 francs les cent kilos ; pour 2.000, ce sera 700 francs; pour 3.000, 750 francs; pour 4.000, 600 francs; pour 5.000. 550 francs; pour 6.000, 500 francs; pour 7000 et plus ce sera 450 francs. Le 5, une délégation remet aux fabricants les nouvelles propositions.

Ceux-ci ne les discutent pas et répondent : "Nous décidons que, par déférence envers M. le ministre et pour manifester notre désir de faire toutes les concessions possibles en vue d'apaiser le conflit, nous acceptons les prix proposés par M. Tardieu, sous la réserve toutefois que les quantités à prendre seront indiquées pour chaque port selon les possibilités des usiniers de ce port. Il est bien entendu que ces conditions s'entendent pour une durée de quinze jours."
Donc : 450 francs les cent kilos. - aucun engagernent d'absorber toute la pêche - et cela pour quinze jours seulement. La manoeuvre était trop grosse.