DISCOURS DE M. QUINETTE DE ROCHEMONT

Discours de M. Quinette de Rochement, Conseiller d'Etat, Président d'Honneur de la cérémonie :

Messieurs,

M. le ministre des travaux publics, retenu à Paris par la Prochaine rentrée du Parlement, n'a pu, à son grand regret, venir présider à l'inauguration du phare d'Eckmühl; il m'a fait l'honneur de me déléguer pour le représenter.

C'est en son nom que je prends possession, pour le département des travaux publics, de ce phare élevé à la mémoire du maréchal prince d'Eckmühl par la piété filiale de Napoléon-Louis Davout, duc d'Ausrstaedt, prince d`Eckmühl, son fils unique, et par sa fille Adélaîde-Louise d`Eckmühl, marquise de Blocqueville, tous deux morts sans enfants.

Mme la marquise de Blocqueville en consacrant à l'érection de ce phare, une somme de 300,000 fr., a voulu comme le porte son testament, que le nom d`Eckmühl demeura longtemps béni et que les larmes versées par la fatalité des guerres qu'elle redoutait et détestait fussent rachetées par les vies sauvées de la tempête. Elle a voulu que son bien-aimé frère et elle, également malheureux dans la vie restassent unis dans le souvenir reconnaissant des marins. Ce sont là des sentiments dignes de la femme distinguée qui exerça sur tous ceux qui ont eu l'honneur de l'approcher un si puissant attrait, une si grande autorité morale. Mme la Marquise de Blocqueville a tenu à continuer après elle son oeuvre de bienfaisance et de charité en y associant l'administration des Ponts et Chaussées, qui lui en est profondément reconnaissante.

J'ai également à coeur de remercier les parents de Mme la marquise de Blocqueville qui sont intervenus pour aider à la réalisation de ses intentions et en particulier M. Le Myre de Vilers qui s'est acquitté de ses fonctions d'exécuteur testamentaire avec autant de tact que de délicatesse et qui a contribué à sauver l'entente cordiale avec le département des travaux publics.

Messieurs, la pointe de Penmarc'h présente en raccourci l'histoire des phares. Près du sémaphore, la vieille église St Pierre montre encore la tour OÙ s'allumaient jadis les feux de bois et de charbon qui ont constitué le seul éclairage des côtes jusqu'au XVIIIème siècle. Le phare qui a fonctionné jusqu'à ce jour est un type des appareils lenticulaires créés en 1820, par Fresnel ; mais il était devenu insuffisant pour satisfaire aux besoins de la navigation et son remplacement par un feu plus puissant s'imposait. La généreuse pensée de Mme la marquise de Blocqueville a permis d'atteindre ce but : le phare d'Eckmühl qui va être allumé tout à l'heure est pourvu des appareils les plus perfectionnés, les plus puissants.

La portée lumineuse du feu électrique qui surmonte la tour dépasse 100 Km (54 milles) ; elle ne sera inférieure à 40 Km (22 milles) que par le temps plus ou moins brumeux dont la fréquence dans ces parages atteint le dixième de l'année. L'intensité du feu peut être évaluée a 3 millions de becs-carcel, 30 millions de bougies, alors que celle des ancien phares ne dépassait guère 4000 becs et que celle des phares les plus puissants atteignaient naguère, encore à peine 100.000 becs. Ce résultat, qui fait le plus grand honneur à l'administration des phares de Franc, est dû à l'invention des feux éclairs par le Directeur de ce service, M. l'inspecteur Général des Ponts Et Chaussées, Bourdelles. Grâce à ce savant ingénieur, la France a repris sans conteste le premier rang parmi toutes les nations pour ce qui est de l'éclairage des côtes ; cette suprématie que lui avaient données autrefois les belles découvertes de Fresnel, avait depuis lors disparu.
Le principe des feux éclairs est maintenant accepté dans toutes les parties du Monde. On trouve des feux de ce système aux Etats Unis, en Australie, au Japon, en Chine. Le gouvernement du Royaume-Uni et de l'Allemagne, après avoir envoyé en France leurs ingénieurs examiner et étudier ces phares en ont adopté l'emploi. L'invention des feux éclairs n'est pas seulement un honneur pour la France ; elle a donné une nouvelle impulsion à notre industrie qui a fabriqué les nouveaux appareils pour tous ces pays où ils sont actuellement en service.

Le Phare d'Eckmühl, bâti en granit, de manière à défier les outrages du temps, pourvu des appareils les plus puissants, constitue un monument digne à tous égards du Maréchal dont il porte le nom.

Davout, duc d'Auerstaedt, prince d'Eckmühl, est l'un des plus brillants généraux qui aient pris part à toutes les guerres de la République et de l'empire. C'est une de nos gloires les plus pures. Bon patriote, administrateur probe, ferme et laborieux autant qu'homme de guerre intrépide, il s'est toujours et partout trouvé à la hauteur des emplois qu'il a occupés et des charges qu'il a remplies. La défense de Hambourg ne l'honore pas moins que la part brillante qu'il a prises aux batailles d'Aboukir, d'Austerlitz, d'Eckmühl et de Wagram, que la victoire d'Auerstaedt et que sa conduite pendant la campagne de Russie où il a commandé l'arrière-garde durant une grande partie de la retraite.

Les facilités que le phare d'Eckmüht procurera à la navigation et la sécurité qui en résultera aussi bien pour les marins naviguant au loin que pour les pêcheurs s'écartant peu des côtes réduiront certainement dans de larges proportions le nombre des naufrages malheureusement trop fréquents sur les côtes de Bretagne. Un grand nombre de vies seront ainsi épargnées.
Les vaillantes populations maritimes de ces régions, reconnaissantes des services que leur rendra ce magnifique phare, le plus puissant de l'univers, béniront le nom d'Eckmühl ainsi que la mémoire de Mme la marquise de Blocqueville. (Tonnerre d'applaudissements).