DISCOURS DE M. LE MYRE DE VILERS

Discours de M. Charles Le Myre de Vilers, exécuteur testamentaire :

Messieurs,

La libéralité de Mme la Marquise de Blocqueville envers un département qui reçoit rarement des legs, le souvenir des victoires d'Auerstaedt et d'Eckmühl qu'à cette époque surtout nous ne saurions oublier l'importance scientifique du phare qui constate une fois de plus, d'une façon magistrale, la supériorité de l'éclairage des côtes de France, m'avaient fait espérer que M. le Ministre des Travaux Publics honorerait de sa présence la cérémonie d'inauguration de ce monument. Je regrette que d'autres occupations ne le lui aient pas permis et que les vaillantes populations de ces côtes battues par la tempête soient ainsi privées du plaisir qu'elles se promettaient à recevoir pour la première fois un membre du Gouvernement de la République.

Mais cette abstention de l'honorable M. Turrel n'est certainement pas, de sa part, une marque d'indifférence ni pour la générosité de Mme de Blocqueville, ni pour la gloire immortelle du Maréchal Davout, ni pour le génie de nos Ingénieurs, ni pour le courage, l'abnégation, le dévouement de nos braves marins.

Il y a vingt ans, Messieurs, que Mme de Blocqueville m'entretint de son désir d'élever un phare en mémoire de son père et me consulta sur les moyens d'exécuter ce projet. Bien que je la visse fréquemment, la Marquise ne me reparla plus de ses intentions premières ; aussi fût-ce avec surprise que je reçus dans le mois d'octobre 1892, quelques jours après sa mort, l'extrait de son testament que je dois vous lire :

«  Jamais plus nobles pensées n'ont été exprimées dans un plus noble langage ; elles sont dignes de la femme de bien qui les a écrites ; je n'en ai pas connu de meilleure.

Mme de Blocqueville, qui avait été fort belle et conservait encore dans sa vieillesse une grâce et un charme captivants, possédait toutes les qualités du cœur et de l'esprit : fidèle à ses amis, sachant accueillir et encourager les humbles, sévère pour elle-même, indulgente aux autres ; sa charité éclairée n'admettait pas de distinction de parti devant la souffrance humaine, et je me souviens qu'après la Commune elle me dit rechercher un officier fédéré qu'elle cacha chez elle, et dont elle assista les enfants pendant plusieurs années.

Messieurs, la tâche qui m'incombait était lourde, mais elle fut grandement facilitée par la bienveillance du Gouvernement. En quelques mois nous obtinmes les autorisations nécessaires, et vous savez si chez nous les formalités administratives sont longues à remplir. Le regretté M. Viette, alors Ministre des Travaux publics, plus tard ses successeurs, MM. Jonnart et Guyot-Dessaigne, aplanirent toutes les difficultés. Je leur dois ici un témoignage public de ma gratitude.

Tout ceux qui participèrent à cette entreprise, chefs et subordonnés, rivalisèrent de talent et de zèle. Tous étaient animés de la pensée commune d'édifier une œuvre qui honorerait la science française et rappellerait aux générations futures la gloire immortelle du vainqueur d'Auerstaedt et d'Eckmühl. Je les remercie cordialement du concours dévoué qu'ils mont prêté. Leur nom ne sera pas oublié ; il est gravé sur une plaque de bronze dans la salle d'entrée.

Monsieur le Directeur, au nom de Mme la Marquise de Blocqueville, en ma qualité d'exécuteur testamentaire, j'ai l'honneur de remettre le phare d'Eckmühl au Gouvernement de la République. Dans quelques instants ses puissants rayons diront aux navigateurs du monde entier atterrissant sur ces côtes dangereuses, qu'une femme de bien a veillé sur eux et leur a donné la sécurité.

Grâce à elle « les larmes versées par la fatalité des guerres seront ainsi rachetées par les vies sauvées de la tempête ».